La bibliothèque

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Huit heures trente, nous sommes tous en rang, attendant les derniers ordres. Hier, nous formions un rideau devant le dernier cinéma. En rentrant dans la grande salle, nous avions perçu une dernière bande son d'un film des années 2020. Avec Tom, nous avions tremblé quand le commandant en chef avait lancé sans aucune sommation, feu. J'ai encore le goût de la fumée dans ma bouche. Cette odeur âcre a envahi mes narines. Une envie de vomir à nouveau. C'est notre lot quotidien depuis des mois, faire disparaitre ce qui avait pour eux provoqué notre perte.

Ce matin, la mission est simple, détruire la dernière bibliothèque, et surtout ne laisser aucune trace. Pour moi, il m'est impossible d'en arriver à de telles extrémités. Pour Tom, c'est définitivement mettre un terme à ses années de jeune adulte, quand il était bibliothécaire. Nous nous regardons au travers de la visière, équipés tels des cosmonautes prêts à sortir dans l'espace. À ce moment-là, j'aurais voulu pouvoir m’extraire de la pesanteur, et juste pouvoir m'envoler loin de tout.

J'entends le commandant m'appeler, ses mots se répètent encore et encore dans ma tête. La sentence est sans appel. Ma vie ou la bibliothèque. Dans un premier temps, je pense juste à un chantage, pour être sûre que j'obéis. Que nenni, il ne me laissera aucun autre choix. Essayer de quémander une grâce est sans issue. Je tente de trouver dans les yeux de Tom un peu de réconfort, comment allons-nous pouvoir faire ? Ce bâtiment contient tant de nous. Nos chemins se sont croisés au détour d’une allée, lui rangeant le dernier tome de Scribay, moi cherchant à pouvoir l’emprunter. Nous avons commencé à discuter, et de fil en aiguille, une belle amitié est née.

Ici, à cette heure, j’ai le cœur totalement en miette, nous venons de recevoir l’ordre de réduire tous ces ouvrages en cendre. Je ne peux me résoudre à une telle extrémité. Seule, face à cette horde de soldats, à laquelle j’appartiens, je ne suis que peu de chose. M’élever contre ce gouvernement provoquera immédiatement ma perte, je ne veux surtout pas entraîner Tom dans cette mort programmée. Je lui prends la main, et lui glisse un petit papier, que j’ai réussi à chiper malgré les restrictions. L’écriture a été abolie, ne plus transmettre, ne plus ressentir, ne plus rêver sont leur leitmotiv. Pour l’instant l’urgence est de sauver ce qui peut l’être.

Tom me sert la main, ne voulant plus la lâcher. Il ne peut pas accepter que je sacrifie ma vie pour des tas de bouquins. Je quitte à ce moment-là mon casque, me libérant ainsi de ce poids qui m’oppresse. Le vent balaye mon visage, mes yeux sont emplis de larmes, je sais que je ne pourrai plus faire marche arrière. J’avance lentement vers la grande porte, ses deux battants, tel des bras m’attendent. Un pas après l’autre, ma marche se fait plus rapide, ils n’oseront pas me tirer dans le dos.

***

Comme je m’en étais doutée, personne n’a tenté d’appuyer sur la gâchette. Un silence de mort accompagne ma progression, la poignée n’est plus qu’à quelques centimètres. Encore un effort, et mon sort sera scellé. Au contact de mes doigts sur le bout de métal en forme de tête de lion, tous mes sens s’éveillent. Le bien-être de pouvoir à nouveau rentrer dans ce lieu qui m’est si familier. L’odeur des vieux bouquins rangés à l’abri de l’air pour qu’ils ne soient pas abimés par l’usure du temps. Là, maintenant mon seul objectif, ne pas les laisser partir en fumée.

Je n’ai précisément que trente minutes, le temps qu’il a bien voulu m’accorder pour sauver trois livres que je souhaiterais. Pourquoi m’avait-il offert, un tel privilège ? Ma vie lui est bien plus précieuse qu’il ne l’espérait. Ou peut-être simplement qu’il attend mon retour pour me porter le coup de grâce et ainsi faire un exemple. Un simple leurre, une fois face à toute la compagnie, il pourrait autoriser mon exécution. Je ne sais plus ce que je dois penser. Peut-être que si je réfléchis assez vite, une solution me sautera au nez.

Je franchis la porte, que je laisse volontairement grande ouverte. Avoir un peu d’avance pourra me permettre un dernier coup d’éclat au cas où. Le grand hall d’entrée est resté telle que je l’avais conservé dans ma mémoire. Je me revois encore, il y a tout juste quinze ans, venir pour la première fois découvrir ce lieu. Mes parents s’étaient séparés, j’avais suivi maman dans cette grande ville où elle m’avait promis que je trouverais de nouveaux amis, que je pourrais assouvir la soif de lecture qui m’habitait. Il y avait dans ces murs, plus de livres que je ne pouvais en rêver. Cet argument avait contribué au fait que j'accepte de voir mon père bien moins souvent.

Le carrelage qui recouvre le sol, était comme une mosaïque que je pourrais dessiner les yeux fermer tant de fois je l’avais arpenté. Et là devant moi le grand bureau où chaque soir à seize heures, je retrouvais Tom un grand sourire aux lèvres conseillant au mieux les enfants qui venaient chercher des histoires qu’ils les transporteraient dans des lieux tout aussi incroyables que ce bâtiment. Je lui faisais un geste de la main, puis m’éclipsais au fond de la salle, pour trouver une table sur laquelle je pourrais bosser, puis lire aussitôt que j’aurais terminé.

Aujourd’hui, le silence s’impose, les petits chuchotements ne sont plus là, ils ont laissé la place au néant. Ce lieu plein de vie quand j’avais quinze ans, est devenu un vaisseau fantôme où l’équipage a été consciencieusement bâillonné, pour le faire taire. J’essuie une larme, je ne dois pas flancher, pas maintenant, je l’ai promis à Tom. Il était tellement fier, d’avoir eu ce poste qui lui permettait de financer ces études littéraires. Et qui sait pourrait plus tard lui offrir des opportunités de carrière. Dès qu’il avait un moment, il me rejoignait avec un livre dans les mains, il venait souvent de le découvrir, et voulait le partager avec moi tout simplement.

Seule dans cette grande bibliothèque, mon réconfort fut celui de tenir ce livre que nous avions tant aimé, et que je devais à tout prix sauver pour lui. Sur la couverture un homme avec un casque recouvrant ces yeux, il pousse un cri. Finalement il était surement bien plus qu'un simple livre, une prémonition. Son titre je le lu à voix haute pour le rendre vivant : La Brigade de l’œil de Guillaume Géraud. Je le serre sur mon cœur, voulant ainsi le protéger. Plus de temps à perdre, je dois trouver les deux autres.

Défi La dernière bibliothèque Echecemath https://www.atelierdesauteurs.com/defis/defi/703494625/la-derniere-bibliotheque

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