Que se passera-t-il quand vos yeux liront ses mots ?
Allongée dans l’herbe sous sa coupole de verre, le regard d’Hoshi s'attarda sur une étoile que jusque-là elle n'avait pas cartographiée. Ses mains tâtonnèrent à la recherche de son carnet abandonné au soleil couchant. Son stylo esquissa les courbes de ce nouvel astre naissant dans l’obscurité. Une lueur étrange émanait de cette planète sans nom. Intriguée par le halo qui enveloppait ses formes, la jeune femme saisit le télescope pour observer de plus près cette terre inconnue. Depuis toute petite et sa première sortie au planétarium avec son grand-père, elle n'avait qu’une idée en tête , établir une carte des plus précises des étincelles qui brillaient dans le ciel. Son pépé Augustin, tous les week-end, l’emmenait à la bibliothèque. Ensemble, ils choisissaient un livre qu'ils parcouraient à la tombée de la nuit sur la minuscule terrasse en bois de son chalet encore à ciel ouvert. Assis sur la balancelle, face au lac, devant ce tableau magique, la petite fille et son grand-père rêvaient. Un soir de pleine lune, alors que l’orage menaçait au loin, l'ancien avait demandé : “Que se passerait-il si le vent se levait et nous emportait dans son sillage?”
Cette question devint son mantra pendant ses années d'études en sciences. Elle avait établi son mémoire sur cette interrogation et aujourd'hui encore elle ne put résister d'appeler son grand-père. “ Que se passerait-il si l'étoile qui brille devant mes yeux m'invite à la rejoindre ?” Aussitôt, elle reçut une réponse d’Augustin : “avant de répondre à son appel, rends-toi à la bibliothèque, la lumière te guidera. Suis le rayon, il te montrera le chemin”. Intriguée par tant de mystère, elle prit ses affaires et se précipita vers le bâtiment en pierre qui se trouvait à deux pâtés des jardins où elle prenait place pour scruter le ciel.
Devant l'édifice plongé dans le noir, une lumière artira son attention, elle la suivit sans se poser de question et ne croisa aucune âme dans les couloirs déserté en cette heure tardive. À chacun de ses pas, par réflexe elle se retournait, sentant une présence à ses côtés. Une fois arrivée en haut des escaliers, sur le palier, la lumière semblait l’attendre, son grand-père avait raison. L'étudiante se stoppa net devant une porte en bois que jusqu'à présent elle n’avait point remarquée. Elle posa ses doigts sur la poignée et sursauta. Un léger picotement remonta le long de son bras. La lueur glissa dans la tête de la serrure. En un clic, elle se déverrouilla. Dans la pièce, une chaise, un bureau et des étagères remplies de livres. Sur la table en bois, une carte du ciel était dépliée. La lumière pointait un point précis, un espace vide. Puis elle se mit à virevolter et dessina des courbes similaires à celles qu'elle avait observées. Un courant d'air plaqua son corps contre le siège, sans savoir d'où venait la voix qui murmurait à ses oreilles, ses doigts suivirent un chemin tracé entre différentes planètes. Puis un éclair zébra le ciel au travers d’une minuscule lucarne, la température chuta, un frisson parcourut tout son être.
Des semaines s’écoulèrent, plus aucune trace de l'astre, la porte de la bibliothèque s’était évanouie emportant avec elle son secret. Après les fortes tempêtes et les pluies incessantes, la météo changea du tout au tout, les températures avoisinant les quarante degrés. Les nuages de pollution rendirent l'air irrespirable. Les tenues de protection reprirent leur place. Les humains ressemblaient à des pantins branchés à leur bouteille d'oxygène. Plus aucun engins à moteur ne pouvaient être utilisés sous peine de voir le monde s'enflammer. Il fallait patienter. Combien de temps ? Personne ne le savait. Depuis un siècle, les saisons avaient disparu ou plutôt suivaient un calendrier capricieux. D’une semaine à l'autre, les conditions climatiques faisaient voler en éclat toutes les théories. Les tempêtes de neiges s’abattaient en dix heures aussi bien qu’en douze mois, le soleil pouvait se montrer frileux et ne briller que dix minutes ou irradier les terres pendant des semaines, brûlant tout sur son passage. L’homme apprenait à ses dépens à s’adapter, la nature tentait à sa façon de survivre. Pour se protéger de ces humeurs belliqueuses, des citadelles de verre avaient vu le jour, d'autres pays avaient choisi de se terrer comme des vers. Aucune solution n'avait grâce auprès des gouvernements qui préféraient continuer à se voiler la face. Tous les scientifiques planchèrent sur la situation. Bon nombre conseillait de migrer vers d'autres planètes. Mais aucune n'était guère plus accueillante. Les états acceptèrent d’utiliser les aéronefs de télétransportation pour ouvrir les frontières, sans succès. Dans ce climat toxique, l’humain tentait de survivre.
Hoshi empruntait toujours à reculons ce moyen de locomotion. Que se passerait-il si ses molécules se voyaient réparties dans l'espace ? se demandait-elle à chaque fois. Ferait-elle partie d'un tout ? Malgré bons nombres de précautions, elle craignait de ne pouvoir aller au bout de son aventure. Depuis le début de cette expédition, chacune de ses avancées était un saut vers l'inconnu. Pourtant elle avait le sentiment que quelque chose ou quelqu’un l'avait protégé. Au cours des recherches entreprises, toutes découvertes l'emmenaient dans une impasse. Elle avait étudié sans relâche les notes prises par ce que certains de ses confrères appelaient avec mépris des illuminés. Pour sa part, même si sa part scientifique prônait la méfiance, à cette heure, à ce moment précis où elle posait le pied sur cette planète, elle savait qu’il en serait autrement. La jeune femme ne venait pas en terre conquise, au contraire, elle avait conscience que l’entité qui l’avait appelée, attendait quelque chose en retour et que l’invitation ne serait pas gratuite. Qu'elle que soit l’obole, le risque méritait d’être prix. La vie de sa planète dépendait de sa présence ici.
Plus de temps à perdre, le prochain orage pourrait être fatal à la terre. Même si l’homme se montrait un enfant capricieux et peu scrupuleux, même si ses actes depuis des millénaires avaient épuisé le capitale de la planète bleue, du moment qu’il subsistait un espoir, infini soit-il, elle se devait de tenter sa chance. Une voix douce et mélodieuse continuait de l’accompagner. Devait-elle s’en méfier ou se contenter de lui accorder sa confiance. Il était trop tard pour faire marche arrière. Elle retira sa combinaison et marcha pieds nus sur le sol recouvert d'herbe. Sa voûte plantaire ressentait les battements de l'étoile, comme si son pouls se calait au sien. Une lumière guida à nouveau ses pas, traçant un chemin en direction du plus haut sommet. Face à l’impossible, nul n’est tenu, Augustin aimait répéter cette formule. Enfant, Hoshi pensait que son grand-père était un magicien. Elle savait qu’il était un être à part sans vraiment chercher des explications. Avait-il des pouvoirs ? Que ferait-il devant cette muraille infranchissable ? La scientifique posa ses mains sur la roche pour saisir une première prise. Elle leva les yeux pour trouver la suivante. Ses pieds se calérent contre la paroi. L'ascension s’avéra plus aisée qu’elle ne l’aurait imaginé au départ. Hoshi se sentait pousser des ailes, ressenti réel ou imagination délirante. Elle n’osa pas retirer ses paumes de la paroi pour vérifier son impression. Pourtant, même si sa silhouette était fine, son poids ne gênait pas sa progression. Arrivée au sommet, elle jeta un œil en arrière, le sol avait disparu dans une mer de nuage. Face à elle, une étendue d’eau recouvrait le haut plateau. Au loin, une cascade se jetait dans ce lac aux couleurs insensées.
Son regard balaya l’espace à la recherche d’un quelconque moyen de locomotion. Devrait-elle nager jusqu’à la cascade ? Ses mains effleuraient la surface, le liquide cristallin semblait être d’une pureté sans pareille. À nouveau, une lumière s’étala sur la surface pour guider ses premières brasses. Les éléments s’unissaient à chacune de ses décisions, elle faisait corps avec eux. Le moindre obstacle devenait à chacune de ses actions, un petit rien, comme si la planète voulait lui faciliter la tâche. Un seul point l'interpella, malgré l’eau, l’oxygène et les températures douces, aucun être vivant dans les parages. Pourtant de ce qu’elle pouvait constater, toutes les conditions nécessaires étaient réunies pour permettre à un être de chair et de sang de trouver son équilibre. Un frisson parcourut son échine, à l’idée que les têtes bien pensantes de la terre découvrirent cette planète. Elle réprima aussitôt cette idée. Que se passerait-il si son monde venait à atterrir en ce lieu ? Le réduirait-il à néant ?
Arrivée au terme de sa traversée, Hoshi franchit la cascade pour découvrir l’entrée d’une grotte. Enfin, une forme de vie apparut prenant la forme de lucioles. Les petites étincelles la guidèrent pas à pas jusqu’au profondeur de la terre d’où la voix semblait venir. Un son, ricochet mélodieux, accompagnait son exploration. Les gouttes glissaient des stalactites et remplissaient des coupelles qui à leur tour se déversaient dans une rivière souterraine. Tout à coup, ce lieu lui sembla commun, elle l’avait déjà vu. Elle prit le temps de réfléchir et l’image revint à sa mémoire. La grotte était la réplique parfaite d’une lithographie dans un livre de son grand-père, un de ceux qu’il conservait dans un coffre au grenier. Tout était similaire, la disposition de chaque espace, les lucioles, les baignoires de fées, les couleurs. Quand elle avait découvert ce recueil, Augustin lui avait demandé : “Que se passerait-il si tu te trouvais dans un tel lieu?”. Du haut de ses dix ans, Hoshi se souvint qu’elle avait répondu : “je rêverai.”
Était-elle en train de rêver ? se demanda Hoshi. Allait-elle se réveiller dans son lit, sous une bulle de verre en attendant de pouvoir respirer à plein poumons. Comment Augustin pouvait-il connaître un tel lieu, sans être venu un jour dans cette grotte ? La planète parlait-elle ou la voix appartenait à quelqu’un ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête. Trop de réponses restaient en suspens. Une main se posa sur son épaule, Hoshi sursauta. Elle n’était pas seule, ses yeux étaient grands ouverts, le contact bien réel. La femme qui se tenait à ses côtés ressemblaient à sa grand-mère, trait pour trait. Elle ne l’avait connu qu’au travers de clichés ou des mots d’Augustin.
- Que se passerait-il si je te disais que tu es un être hors du commun ? demanda la vieille dame au regard si doux.
- Je ne te croirai pas, soupira Hoshi.
- Mon enfant, tu n’es pas là par hasard.
- Alors qu’attends-tu ? insista la jeune scientifique.
- La même chose que tes prédécesseurs ?
- Je ne comprends pas. D'autres avant moi sont venus ici ?
- Oui à chaque début de siècle.
- Pour quelle raison ?
- Déposer un fragment de roche
- Mais je n’ai rien dans mon sac.
- Hoshi, tu es la seule à pouvoir reconstituer le cœur du noyau de la terre.
- Comment puis-je réaliser un tel exploit ?
- Tu dois te rendre dans le sanctuaire.
- Et ensuite ?
- Le pendentif que ton grand-père t’a offert te servira de clé.
Lentement, Hoshi saisit le médaillon qui renfermait une opale sertie dans une étoile. Elle avait reçu ce bijou pour son dix huitième anniversaire. Augustin l’avait accroché autour de son cou et lui avait demandé : “ Que se passerait-il si tu avais le pouvoir de sauver notre terre ?” Ce jour-là, elle n’avait pas trouvé de réponse adéquate. Devant la beauté de la pierre, elle s’était contentée d’offrir un baiser sur la joue de son grand-père. La jeune femme réalisait peu à peu que son ainé en savait bien plus qu’il ne laissait entrevoir. Toutes les histoires, tous les questionnements et tout le temps à observer les étoiles s'avéraient en cette nuit être une passerelle entre un passé endormi, un présent de folie et un futur reconstruit. Elle avança à pas de loup sur le raie de lumière qui l’a guidée et marqua un temps d’arrêt devant la porte. Le bout de bois qui la composait était la copie conforme de celle de la bibliothèque. Dans sa main, son médaillon brillait. Elle positionna la pierre délicatement dans l’espace vide. Un clic et le battant se déverrouilla. La pièce était identique avec sa chaise, sa table et ses livres. Hoshi retrouva la carte où les planètes s’alignaient et au cœur la fameuse étoile où elle avait atterri. Un petit coffre contenait des brisures de roches, ses doigts les caressèrent, une chaleur se diffusa dans tout son corps. Enfant, Augustin lui avait appris à reconstituer des puzzles des plus compliqués et des casse-tête où d’autres auraient abandonné sans hésiter. Avec patience, elle avait toujours su relever le défi sous le regard admiratif de son grand-père. Encore une fois, il l’avait préparé à ce jour si important. Avec minutie, la jeune femme rassembla les éléments et quand elle eut finit, elle tenait au creux de ses mains un noyau, il ne manquait qu’un petit fragment. Rapidement, elle comprit qu’il se trouvait autour de son cou. L’opale brillait à son tour.
Que se passerait-il si l’histoire s’arrêtait là ?
Une issue utopique avec un retour sur terre avec le noyau, Hoshi en grande sauveuse, remettra le Graal dans son écrin. L'équilibre ainsi trouvé, les saisons reprendront leur cours, l’hiver couvrira la nature de son doux manteau, pour permettre au printemps de s'éveiller avant d'offrir au peuple de délicieuses victuailles l'été venu et récolter à l’automne le fruit de leur labeur. Le vin coulera à flot au cours des repas festifs de fin d'année. Les pluies fines viendront alimenter les ruisseaux. Les rivières viendront gonfler les fleuves à la fonte des neiges pour se déverser dans les deltas des océans. La nature pourra s'épanouir, l'humain s’en réjouira et après tout ce bonheur retrouvé, stupidement il retombera dans ses travers piétinant ce nouvel Eldorado sans aucun scrupule.
Un épilogue tragique, Hoshi n’a pas pu revenir à temps. La terre est devenue un brasier à ciel ouvert. Son aventure sur l'étoile a duré une éternité. Pendant qu’elle réalisait sa traversée pour rejoindre le sanctuaire, des années se sont écoulées. À son retour, le monde qu’elle avait connu a disparu dans un tas de cendres. Le noyau, entre ses mains, devint poussière. Dans ce tableau dystopique, l’artiste n'a négligé aucun détail. Le chaos est au pouvoir, plus aucune place pour la liberté, les hommes sont devenus les esclaves d’un groupe d'opportunistes. Les bibliothèques ont été démantelées, les livres ont été brûlés. Quel choix lui resterait-il ? Lutter avec les survivants ou retourner sur son étoile ?
Ou une fin ouverte où je vous laisse dessiner la conclusion qui vous sied, vous les auteurs aux imaginaires multiples. Chacun pourra ainsi donner du sens à cette histoire : un retour dans le passé au travers d’une machine extraordinaire pour corriger les erreurs, la recherche d'un nouvel artefact pour contrecarrer les plans d’un dictateur insatiable, un don non révélé à cette heure pour notre héroïne qui devriendra une femme au super pouvoir.
Je pense qu’il y a tant d’autres possibles, alors amusez-vous.
Attrape rêve
Défi Discord ; thème science-fiction
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