Tout a commencé 

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Tout a commencé le premier jour où Sarah a mis les pieds dans ce loft du quartier Latin. Au premier coup d’oeil, la jeune femme tomba sous le charme des murs en pierres apparentes où les poutres en fer conféraient un certain cachet. Sa grand-mère l’avait soutenu financièrement dans son projet. D'après les ouï dires et les commérages, l’affaire était en or, le bien de qualité sans défauts apparents. À l'époque, elle et deux autres clients le convoitaient. D'après Stéphane, son agent immobilier, son dossier s'avérait plus solide. Tout le monde ne pouvait prétendre à avoir comme garante une comtesse du Poitou. Le téléphone sonna, l'affaire fut conclue un vendredi, treize de surcroît. Encore un indice qui aurait dû mettre la puce à l’oreille de la jeune étudiante en art. Pour l’aider à réaliser des travaux, Sarah fit appel à sa copine Valérie, une experte en aménagement d’intérieur. La brunette en connaissait un rayon dans le monde de la décoration. Ensemble, elles établirent des plans pour sublimer le lieu et le rendre chaleureux. L'été suffit à tout mettre en ordre ainsi que quelques bras supplémentaires. Maxence et Hector se joignirent à l'équipe et les tâches fastidieuses parurent moins ennuyeuses. À coup de pinceau, marteau et autres objets divers et variés, le mois de juillet fut un joli concerto de bricolage. Au rayon montage, le rugbyman Max la menace se montra déterminé à remettre les étagères de la cuisine en ordre. Son pote de mêlée se chargea des robinets, la tuyauterie il en connaissait tous les rouages. Le futur plombier trouva dans ses murs un lieu idéal pour s’exercer.

Tout a commencé, l’après-midi où Hugo, tout jeune diplômé en sciences, a débarqué dans la capitale avec pour seul bagage son courage. Il a tout quitté, sans regrets. Après de nombreuses années à être balancé de famille d’accueil en famille de substitution, il voulait enfin voler de ses propres ailes. Le seul souvenir qui lui restait de sa mère était une berceuse griffonnée dans un carnet à dessin. Elle l’avait glissé dans le couffin avant de disparaître à jamais. À tout juste quelques mois, il se retrouvait tel un oisillon tombé du nid. Dans le sud de la France, l'enfant était devenu un adolescent solitaire et rêveur. Prisonnier de son internat, il prenait à cœur de bosser dur. De collégien imbattable en mathématiques, il devint un lycéen intraitable en physique pour finir premier de sa promotion d'université. De gringalet des bacs à sable, son corps se transforma avec des formes plus athlétiques. Pour ce nouveau départ, il ne voulait rien laisser au hasard. Le téléphone sonna, l’affaire fut conclue, un vendredi treize, il signa son contrat. Sur le quai de la gare de Lyon, l'ingénieur admirait chaque détail de l'édifice, il attendait sa correspondance pour la rue de la Paix où son nouveau boss l’attendait. Chaudement recommandé par ses pairs, les offres s'étaient multipliées. Devant tant de choix divers et variés, il avait hésité et finalement l’option du hasard s'imposa. Les dés furent lancés sur le Monopoly, le pion choisit son point de chute. Le métro filait entre les murs, surpeuplé. Autour de lui, la foule s’agitait. Impassible, il patientait. Avec le temps, Hugo avait compris que dans la précipitation, on pouvait facilement s'égarer. Même au plus bas, il n'avait pas franchi la limite, son ami lui n’eut pas cette chance. Le matin de ses funérailles, Hugo prenait le train, le cœur en miettes. Dans la rame de métro, un nouveau départ, un nouveau souffle se dessinait à grande vitesse.

Tout a commencé, le matin où Josette a franchi pour la première fois, la porte de son immeuble du quartier Latin, seule. Tant d'années de bonheur se sont écoulées au bras de son élégant Gaston. Ils s'étaient rencontrés au cours d'une soirée au Moulin Rouge. Elle assurait le service, lui était venu avec ses collègues. À tout juste vingt-trois ans, le soldat était promu capitaine de l'armée de l'air et pour l’occasion ses amis avaient souhaité marquer le coup lors de leur permission. Pendant l’occupation, Josette avait pris ses fonctions dans les murs du cabaret transformé en dancing. Elle venait de fêter ses dix-huit printemps et souhaitait à sa façon aider sa mère à subvenir aux besoins du foyer. Son frère aîné avait été enrôlé dans l'armée, son père avait disparu la première année du conflit et sa mère avait du mal à joindre les deux bouts. Le téléphone sonna, le rendez-vous fixé un vendredi treize, elle fut embauchée. Ses premiers pourboires permirent d’offrir des sucettes et une paire de chaussettes neuve à ses trois petits frères. Quelques jours avant la libération de Paris en 1944, Josette eut la chance de rencontrer Édith Piaf dans les loges avant son entrée sur scène avec Yves Montand. Cette nuit-là, Gaston demanda Josette en mariage et l’artiste fut le témoin de leur union. Dans le hall de l'entrée, une larme roula sur la joue de la vieille fame, dans le cendrier se perdait le dernier mégot de son Gaston.

Tout a commencé, la nuit où Henri, perdu dans ses pensées a failli se faire renverser par un taxi trop pressé. Déambulant sur le trottoir, il cherchait dans le noir, une issue de secours. Depuis des années, il errait sur les pavés, avec pour seul compagnon son chien Léon. Les deux marchaient toute la journée en quête d'un lieu discret où il pourrait abandonner leur solitude loin des vicissitudes de cette société qui les boudait. En son temps, le saltimbanque avait su charmer les passants, leur chantant de douces sérénades. Léon, allongé à ses côtés, veillait sur le chapeau dans lequel les pièces s'étaient amoncelés. Les touristes, sur le parvis de Notre Dame, se montraient généreux. Le téléphone sonna, pas le sien, il n’en avait point, un vendredi treize, un homme lui tendit son portable. Dans le combiné, une voix qu’il ne connaissait pas lui promettait monts et merveilles. Il déclina la proposition avec politesse, Henri était libre et voulait le rester. Comme l'oiseau, il voulait parcourir le monde sans en être prisonnier. Son quotidien, il l’avait désiré et pour rien au monde ne voulait en changer. Dans le froid de l’hiver ou la chaleur étouffante de l'été, il se sentait bien heureux dans ce Paris, la ville de lumière.

Tout a commencé, en cette fin mai, sur les quais de la Seine. Sarah flânait le long du fleuve. Elle s’assit sur le ponton libéré par une péniche. Le bateau à fond plat était parti voguer vers d’autre sphère. Les pieds de l’étudiante se balançaient dans le vide au rythme de la musique qu’elle percevait au loin. Elle posa son sac sur le rebord, sortit un calepin. se munit d'un crayon à papier et commença son dessin.

Tout a continué, en ce début d’après-midi, quand Hugo distrait par un vol de pigeons, laissa échapper son portable sur les graviers qui garnissaient le chemin longeant les peupliers. Il se pencha pour le ramasser quand le téléphone sonna. La quiétude de sa balade venait d’être balayée en un claquement de doigt. Le numéro de son boss s’affichait comme un refrain sans entrain. Un instant, une envie de balancer cet instrument de torture, lui effleura l’esprit.

Tout à débuté, à quatorze heures, quand Josette est sortie. Son rez-de-jardin ne suffisait plus à calmer ses angoisses passagères, la vieille dame avait besoin de prendre l’air. Tout son monde s’était évanouie comme la fumée sournoise qui enveloppait les poumons de son mari. Combien de fois avait-elle voulu brûler les paquets qui traînaient sur la table du salon extérieur ? Combien de fois, l’avait-elle suppliée d’arrêter de laisser cette insidieuse le consumer à petit feu. Le téléphone sonna, elle claqua la porte sans se retourner.

Tout aurait pu se terminer, au moment même où Henri réalisa que son ami fidèle ne se révélerait pas. L'animal ne répondait plus à son doux nom de Léon. Il sortit son accordéon et entama cette chanson qui une nuit les avait réunis et ainsi sauva deux vies. Les premières notes de l’instrument entamèrent une mélodie lente, les notes se diffusaient le long des quais.

Toutes les histoires débutent ainsi, des rencontres imprévues, des chemins qui se croisent, un malentendu, des yeux qui se toisent, une main tendue, des doigts qui s’enlacent, un sourire volé, un regard échangé.

Tout a commencé qui sait comme ça, dans un petit coin de Paris, sous un parapluie, au détour d'une rue, au milieu d'une cour, sur un banc public ou sur une terrasse idyllique, dans un cabaret ou au comptoir d'un troquet.

Tout aurait pu être autrement si le téléphone n’avait pas sonné à ce moment précis, si les choix avaient été différents, si le destin s’était mêlé au hasard, avec des si on mettrait Paris en bouteille pour la laisser voyager sur la Seine.

Josette avançait le cœur léger. Elle avait fait un crochet dans sa boutique préférée. La fleuriste prit soin de concocter un bouquet de pivoines, celles que la vieille dame préférait. Attirée par la mélodie, Josette prit place à côté de Henry qui chantait. De concert, ils reprirent en chœur, cette chanson d’Édith Piaf qui avait accompagné leurs jeunes années.

J' m'en fous pas mal.

Y peut m'arriver n'importe quoi,

J' m'en fous pas mal.

J'ai mon dimanche qui est à moi.

C'est p't'êt' banal,

Mais ce que les gens pensent de vous,

Ça m'est égal ! “

Sarah ne quittait pas des yeux la scène. Il dégageait de ses deux êtres, une lumière si douce. À l'ombre d'un tilleul, deux âmes se soutenaient dans les paroles de l'artiste :

“J'ai vécu des heures si jolies

Quand il me tenait entre ses bras.

J' n'aurais jamais cru que, dans la vie,

On puisse être heureuse à ce point-là

Mais un jour où tout n'était que rires,

Un jour de printemps rempli de joie,

Il s'en est allé sans rien me dire,

Sans même m'embrasser une dernière fois…”

Hugo à son tour, éteint son téléphone pour ne pas briser l’instant magique qu’il vivait. Pour la toute première fois, il ne se sentait plus seul.

Tout a commencé, ici, sur ce quai de la Seine, quatre histoires se sont nouées sans le vouloir pour faire un petit bout de chemin supplémentaire. Aujourd'hui, Hugo assit dans son bureau, est le patron à son boulot, maître à bord, il fait tant d’efforts pour s’offrir le plus grand des conforts. Josette a ouvert sa porte à Henri qui dort dans le jardinet, voulant continuer à admirer les étoiles. Tous les dimanches, ils vont fleurir la tombe de leur bien aimé au cimetière du Père Lachaise, mais depuis ils ne repartent plus seuls. Et Sarah dans tout ça ? Le téléphone sonna. Hugo se précipita, ferma le robinet de l'évier, déboula au rez-de-chaussée sous le regard inquiet de Josette qui nettoyait le cendrier du poêle. Henri, alerté, posa le papier sur lequel il écrivait la suite de la berceuse.

“Je m'en fous pas mal, ça m'est égal, aujourd'hui je vais être papa, c’est génial” s'écria Hugo survolté.

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