HIIIII HAAAAN !

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Dans une prairie parsemée de délicates pâquerettes et de charmantes primevères, au fond d'une vallée où les oiseaux chantaient de douces mélodies, un petit âne se promenait. Avec ses grands beaux yeux marron en forme d'amande, son poil touffu gris argenté aussi doux qu'un bisou et ses longues oreilles mobiles amusantes, il attendrissait les personnes les plus sérieuses qui devant lui devenaient complètement gâteuses. Tout en le caressant, elles ne pouvaient s'empêchaient de radoter : " C'est qui le plus mignon des petits ânons ? hein c'est qui ? C'est Pomponet."
Chaque jour, en rentrant de l'école, les enfants du village lui apportaient des croutons de pain bien secs comme il les aimait. Lorsqu'il les voyait à la barrière, il trottait jusqu'à eux, la queue en trompette pour les amuser. Le soir, il allait se coucher dans sa petite cabane de pierre avec un toit de chaume quand il voulait. Personne ne lui demandait d'aller se brosser les dents ou d'aller faire un dernier pipi avant la nuit. Il était aimé de tous les autres animaux qui vivaient heureux comme lui en toute harmonie dans une petite ferme très jolie.

Mais, le jour de son anniversaire, Monsieur le fermier reçut un cadeau incroyable : une gigantesque collection de disques vinyles de musique classique : des symphonies, des opéras, des ballets, des concertos, du Bach, du Mozart, du Vivaldi et même du Beethov'âne. Lorsqu'il les écouta les uns après les autres, les notes de musique s'échappèrent de la maison et vinrent chatouiller les oreilles de Pomponet. Il eut alors une grande révélation sur sa destinée : Musicien il deviendrait, ou plutôt, comme il n'avait point d'instrument, chanteur lyrique, et pour cela il devait entraîner sa voix fantastique.

Il ne perdit pas de temps et, dès le lendemain, avant même que le coq n’eût lancé son cocorico matinal, pomponet prit une énorme inspiration. Avec le fracas d'une vieille locomotive à vapeur, Il gonfla ses poumons au maximum, " Hiiii, Hiiii, Hiiii " et d'un trait, il expulsa tout l'air d'un coup " HAAAAAAAN ! " Quel vacarme ! Madame la fermière croyant entendre la sirène des pompiers en tomba de son lit ; Les vaches furent choquées et leur lait crémeux se transforma directement en camembert ; Les poules pondirent leurs fragiles oeufs sans descendre de leur perchoir. Ils explosèrent sur la tête du bouc qui était venu se réfugier dans le poulailler. Aveuglé par cette omelette, il cabriola dans toute la ferme, effrayant les animaux qui se mirent à beugler, caqueter, bêler à qui mieux mieux. Une vraie pagaille !

Mais ce n'était que le début de leur déconvenue. Ils eurent à peine le temps de se remettre de leur émotion que Pomponet poussa un second braiement tonitruant. "Hiiiii, HAAAAAN ! " Et il en fut ainsi toute la journée et tous les jours suivants. Exaspérées, les bêtes à plumes et à poils, à deux et quatre pattes, s'éloignèrent le plus loin possible du chanteur amateur. Pomponet ne remarqua pas qu'il cassait les pieds ou plutôt les oreilles de son entourage. Se croyant l'unique élu du conservatoire de la nature, il cloua même le bec aux oiseaux, muets de stupeur devant toute cette ardeur.
Enfin, un après-midi, le silence et la quiétude furent soudain de retour. Pomponet était-il enfin revenu à la raison ? c’était pire que cela : il préservait sa voix pour un grand récital qu'il donnerait devant l'étable le soir même et où chacun était invité. Personne n'eut à coeur de décliner, car très fort ils l'aimaient et ne voulaient pas attrister leur ami, mais tous étaient effrayés. Ils n'allaient pas sortir indemnes de cette aventure : leurs tympans n'allaient pas résister et ils deviendraient sourds à tout jamais ou complètement fous ou les deux à la fois. Heureusement, le dindon, le gallinacé le plus futé de la basse-cour, eut une idée lumineuse grâce à laquelle le concert de Pomponet eut un succès phénoménal. Tous les spectateurs saluèrent la prestation en frappant le sol de leurs pattes en guise d'applaudissement.

L'ânon était heureux comme jamais, et un peu fier il faut l'avouer. Il fanfaronnait en trottinant la tête bien haute tout autour de son pré. Cela énerva une pie moqueuse qui passait par là. Et juste pour rire comme ça, elle lui dévoila que personne n'aimait sa voix. La preuve, tous s'étaient bouché les oreilles avec des boulettes de terre que le dindon leur avait préparées avec ses petites pattes. Ce fut un tel choc émotionnel pour notre jeune vedette qu'il n'émit plus aucun son. Les oiseaux purent de nouveau interpréter leur douce partition mais un voile de tristesse s'était abattu sur tous les environs. Dans son petit champs, Pomponet déprimait. Il s'était résigné à passer une vie silencieuse et ennuyeuse. Les jours passèrent les uns après les autres, monotones, avec les longues journées de l'été, les pommes de l'automne, le foin de l'hiver.

Puis le printemps revint et avec lui l'oiseau à l'habit noir et blanc, se repentant d'avoir été si méchant. Il se percha sur la tête de Pomponet et lui pépia un secret fabuleux. Au début, il n'en crut pas ses grandes oreilles. C'était trop beau. Il ne résista pas longtemps à la curiosité et alla vérifier si cela était bien vrai. ». Alors il prit son élan en galopant à toute allure et hop, il sauta par-dessus la clôture. Puis, il se mit aussitôt en route dans la direction que l'oiseau lui avait indiquée. " Cataclop, cataclop ", ses sabots frappaient gaiement la terre des chemins ; " Plif plaf plof ", ils plongeaient dans les flaques, "frrrtt, frrrtt, frrrtt" l'herbe haute frottait sous son petit bidon.

Il arriva ainsi à l'adresse exacte que l'oiseau lui avait indiquée, dans l'enceinte d'un château abandonné, caché au regard de tous par des montagnes d'épines et de broussailles. Le vent sifflait des hurlements désespérés au travers des fenêtres aux carreaux brisés ; des corbeaux croassaient leurs lugubres requiems au sommet d'une tour délabrée par les intempéries et les années ; à la nuit tombée, des chauve-souris jouaient leur sinistre ballet autour du pauvre Pomponet terrorisé. Rien ne ressemblait à ce que la pie lui avait prédit. L'ânon sombra dans un sommeil peuplé de cauchemars où le monde entier riait de lui et de sa crédulité.

Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil réchauffèrent ses paupières et lorsqu'il ouvrit les yeux, le tableau de la veille avait gagné en merveille. Les pierres blanches du château recouvertes de rosée scintillaient ; un rossignol chantait ; lapereaux et parents lapins jouaient à cache-cache entre les fougères. Il eut à peine le temps d'apprécier ce tableau bucolique qu'il sentit le sol trembler sous ses sabots. Au loin, à l'horizon, il vit un nuage de poussière qui grossissait et qui se déplaçait dans sa direction. Puis, il entendit des cris sortant de cette nuée. Mais de quoi s'agissait-il ? Pomponet était paralysé de peur.

A son grand soulagement, il reconnut une horde où cavalait toute une bande de ses congénères : des ânes de toutes sortes, de toutes les couleurs et de toutes les grandeurs. Il y avait même quelques zèbres. Ils s'arrêtèrent devant lui de lui puis, à l'unisson, ils se mirent à braire joyeusement. "Hiiiiiii HAAAAAN" ! Tout en baissant la tête en signe de respect, Pomponet leur dit fort impressionné : " vos voix sont magnifiques. Vous devez être des stars dans le répertoire lyrique." Un silence pesant suivit ses paroles. On n'entendit plus rien sauf le vrombissement d'une mouche qui cessa bien vite, chassé par un coup de queue adroit. Puis, remis de leur surprise, les ânes s'esclaffèrent tout en se roulant par terre. Pomponet ne comprenait pas quelle ânerie il avait bien pu proférer.

Au bout de quelques minutes, un grand baudet du Poitou s'approcha de lui. "Excuse-nous, l'ami mais nous ne sommes pas très "classique". Par contre, nous allons te faire découvrir un autre style de musique." Pomponet les suivit jusqu'au bas d'un grand rocher plat où trois ânes entrèrent en scène. Levant leurs sabots, les uns après les autres, ils frappèrent la pierre avec entrain. Toute la foule des équidés les imita dans un rythme endiablé. Pomponet s'amusait comme un fou et, ne pouvant retenir son enthousiasme, il se mit à braire très très fort. Les membres du groupe "R'Âne Stein" furent si impressionnés qu'ils lui proposèrent directement de devenir leur chanteur.

Pomponet revint avec sa nouvelle bande dans la petite ferme et ses amis l'accueillirent soulagés à bras ouverts. Ils étaient si heureux de retrouver l'ânon, certes un peu bruyant, mais tellement attachant. Ils lui organisèrent une fête du tonnerre pour son retour. Un reporter animalier, caché tout près, filma cet évènement. Le fermier et la fermière n'en revinrent pas de découvrir quelques jours plus tard à la télévision, leurs poules battre des ailes en cadence, les vaches secouer la tête, les cochons tourner en rond, les moutons se jeter les uns sur les autres tandis qu'une bande d'ânes brayait à qui mieux mieux. Les animaux avaient l'air de s'amuser follement et ils décidèrent d'en faire autant en se rendant dans tous les festivals de musique des environs.

Depuis, grâce à la pie, qui chante ses louanges, Pomponet brait dans toutes les fermes du monde. Vous l'avez certainement déjà entendu. Si vous êtes fragiles des oreilles, ne vous inquiétez pas : le dindon peut vous fabriquer des bouchons avant le concert.

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