Chapitre 11

9 minutes de lecture

Quand on arrive devant le lycée, la sonnerie vient de retentir.

Les derniers élèves courent dans tous les sens, sacs en travers de l’épaule, vestes à moitié mises.

On est en retard, forcément. Il Fallait déposer les mioches à l’autre bout de la ville, dans leurs école.

C'est bénef pour moi ce petit retard. Comme ça, j’ai pas à croiser la tronche fermée d’Isa dès le matin. Il doit déjà être en cours.

Une mauvaise humeur de moins à supporter.

Je descends de la voiture et referme la portière un peu trop fort.

Et là, je vois Mykal adossé à sa bagnole un peu plus loin, les bras croisés et des lunettes de soleil plantées sur le nez.

Je fronce les sourcils.

Qu’est-ce que ce bordel ?

Je me tourne vers Hailey qui verrouille la voiture tranquillement.

— Tu lui as demandé de venir ? je lâche en pointant du menton dans sa direction.

Elle relève les yeux, regarde Mykal, puis me répond sans ciller :

— Je n’avais pas le choix. Je ne suis liée à toi par rien de légal. Je peux pas te représenter. Mais lui, si.

Je serre les dents.

Putain. Les adulte.

Toujours en train de prétendre, de jouer à ceux qui assurent alors qu’ils n’ont même pas les cartes en main.

On peut jamais leur faire confiance.

— Jada et Bastien sont encore plus des inconnus que toi, mais eux, ils m’ont toujours représenté sans problème.

Je la vois hésiter, ouvrir la bouche pour dire un truc.

Mais j’ai déjà plus envie de l’entendre. Ses explications, elle peut se les foutres où je pense.

— T’aurais juste pu me le dire franchement que tu pouvais pas gérer. Que tu voulais pas. J’me serais démerdé.

Je la vois se raidir un peu, ses lèvres se pincent, mais elle ne répond pas.

Je secoue la tête.

— Ce genre de combine, je supporte pas. Si t’as pas les épaules, dis-le. Pas besoin d’enrober. Moi au moins, quand j’ouvre ma gueule, c’est pas pour baratiner.

Je commence à marcher en direction du bâtiment, sans lui laisser le temps de répliquer.

Elle m'a vraiment énervé avec sa combine de merde. Je déteste qu'on se foutent de ma gueule, et c'est clairement ce qu'elle vient de faire.

Je sens déjà le regard de Mykal me suivre comme un prédateur qui a trouvé son prochain divertissement.

Ça me fout encore plus la rage.

Les profs ont intérêt à pas m’emmerder à ce conseil.

Je suis à deux doigts de péter un plomb.

Déjà que ces deux zouaves m’ont mis les nerfs en vrac avant même qu’on ait franchi la porte du bâtiment… alors s’il faut en plus supporter le ton condescendant du directeur et les regards faussement compatissants du personnel éducatif, je jure que je réponds plus de moi.

Je monte les marches sans me retourner. J’entends Hailey me suivre, silencieuse. Elle a compris que je suis fermé à toute tentative d'approche actuellement. Tant mieux pour elle.

Mykal, lui, prend son temps.

Je l’entends discuter brièvement avec quelqu’un. Il se connaissent probablement puis qu’il le tutoie et lui colle une tape dans le dos comme si c’était un vieux pote.

Toujours à se faire remarquer. Toujours à frimer.

J’ai envie de lui en coller une rien que pour sa façon de respirer.

En arrivant devant la porte du bureau du directeur, je marque une pause.

Un surveillant est là, visiblement chargé de filtrer les entrées. Il me reconnaît, me dévisage de haut en bas comme s’il faisait un check-up moral en 2 secondes chrono, puis pousse la porte sans un mot.

— Entrez, dit-il simplement.

Le silence de la pièce me frappe en premier.

Il y a là le directeur, deux membres du personnel, et bien sûr, cette prof que je peux pas blairer, Madame Halimi.

Toujours la même tête de poisson mort, les yeux mi-clos comme si elle méditait sur la misère du monde… alors qu’en vrai, elle croit juste comprendre les ados parce qu’elle lit deux blogs éducatifs et qu’elle regarde des séries sur Netflix avec ses chats.

Son regard se pose sur moi dès que j’entre. Je soutiens, sans cligner.

Et là, plus loin dans la salle, à moitié planqué derrière son mug de pseudo-thé vert, je repère le crâne difforme du responsable de tout ce cirque.

Monsieur j’ai-l’ego-fragile Flaubert.

Je m’installe dans le siège vide, celui qu’on m’a gardé comme à un procès.

Cette salle est rempli de gens avec qui on ne se supporte pas mutuellement. Ils auraient été plus nombreux si la plupart n'avaient pas court ce lundi matin.

C'est dommage, j'aurais pu jouer à deviner qui me détestes le plus, pendant qu'ils seraient entrain de faire mon procès.

J’ai même pas le temps de croiser les jambes que Mykal s’assoit à côté, bras croisés, sourire commercial en place.

— Bonjour à tous, commence le directeur, d’un ton trop calme pour être honnête. Merci d’être présents ce matin. Nous allons essayer de rester dans un cadre de dialogue respectueux...

Dialogue respectueux mon cul.

Pourquoi ils prennent toujours ce ton condescendant, comme s’ils nous recevaient à l’ONU ?

Franchement, on aurait pu faire ça autour d’une pizza, ou d’un café rassis dans le hall. Le message aurait été le même.

Mais non. Il faut que ça soit solennel et théâtral: le grand spectacle de l’éducation.

Je sens Hailey s’asseoir de l’autre côté, droite, impassible.

Le directeur déroule son discours comme s’il lisait une notice de micro-onde. Sauf que c’est moi le micro-onde.

— Monsieur Stormrider a cumulé plusieurs avertissements depuis son arrivée dans notre établissement : retards répétés, insolence verbale, refus d’obtempérer, comportement jugé inapproprié en classe…

Il marque une pause, regarde autour de la table, puis me fixe.

— … Et je ne parle même pas de l’incident de la semaine dernière.

Oh, si, vas-y, parle-en. Je t’en prie.

Je me retiens de lever les yeux au ciel.

Ils adorent faire d’un pet de travers un drame national.

À croire qu’ils ont rien de mieux à faire que de psychoter sur des ados qui refusent de baisser la tête.

— L’objectif aujourd’hui, poursuit-il, ce n’est pas de l’exclure immédiatement, mais d’évaluer s’il est encore possible de le réintégrer dans un cadre stable. De lui offrir une dernière chance. Parce que, depuis son arrivée, ses fautes ont été souvent passées sous silence, au vu de ses antécédents familiaux...

Et là, il jette un regard appuyé vers Monsieur Flaubert, planqué à l’autre bout de la table comme un flic frustré.

— ...Mais aujourd’hui, Monsieur Flaubert refuse de laisser passer l’incident de la semaine dernière.

Évidemment.

Ce type est la raison même de ce cirque.

Monsieur j’ai-l’égo-fragile, qui s’est senti humilié parce que je lui ai répondu sans trembler.

Et maintenant, il veut ma tête en sacrifice.

Je me cale un peu plus dans mon siège et j’attends qu’on m’allume.

Mais le directeur semble enfin remarquer que je ne suis pas venu seul. Il jette un regard dans notre direction, fronçant les sourcils.

— Puis-je savoir qui sont ces personnes, Calyx ?

Je m’apprête à répondre, mais évidemment, ce vieux crouton de Flaubert me devance :

— Sûrement des gens qu’il a trouvés en route pour jouer le rôle de ses parents.

Qu’est-ce qu’il est con.

Il me prend vraiment pour un demeuré ? Il croit que je suis sorti chercher des figurants au supermarché du coin ?

Je sens la colère me monter à la gorge, une réplique bien salée au bord des lèvres… mais Hailey me coupe l’herbe sous le pied.

— Je suis Hailey Stormrider, la belle-mère de Cal. Et lui, c’est Mykal, son oncle paternel.

"Belle-mère", hein..., elle se rapproche plus de la *belle* que de la *mère*, si vous voulez mon avis.

D’ailleurs, qui a eu l’idée pourrie d’inventer ce terme ?

J’suis sûr que c’est un mec, un de ceux qui a remplacé sa femme par une plus jeune, plus canon, et qui a cru que ça allait passer crème en l’appelant *belle-mère*.

Et pour Mykal… "oncle", c’est un mot trop grand pour lui.

Il squatte une dépendance de la maison de son frère, glandouille toute la journée, et vit comme un parasite.

Franchement, *saprophyte*, lui va bien mieux au teint.

Le directeur acquiesce lentement, mais Flaubert, toujours aussi piqué dans son orgueil, lâche :

— J’ignorais que Monsieur Stormrider avait de la famille biologique.

Ah, voilà, il recommence.

Toujours à parler de moi comme si j’étais un dossier médical ou un phénomène sociologique. Pas un élève. Encore moins un être humain. Non, un "cas" à observer et commenter froidement entre adultes surdiplômés.

Je sens mes doigts se crisper sur l'accoudoir.

Si je lui balance une insulte maintenant, je vais encore passer pour "l’élève impoli, agressif, incapable de se maîtriser".

Mais c’est toujours lui qui commence.

C’est toujours lui qui me cherche.

Avec ses phrases déguisées en courtoisie, ses mots choisis exprès pour piquer là où ça fait mal, sans jamais se salir les mains.

— Quoi, vous pensiez que j’étais tombé d’un arbre ? Ou livré par des mouettes ?

Je le fixe droit dans les yeux.

— Ça m’étonne même pas de vous, Monsieur Flaubert. Vous êtes du genre à croire que les mômes poussent dans les ordures et que vous êtes là pour les trier.

Un petit silence gênant s’installe dans la pièce.

Hailey ne bronche pas.

Mykal lève vaguement les yeux au plafond comme s’il s’attendait à pire.

Et moi, je me redresse légèrement, prêt pour la suite.

Allez-y, continuez. Que je sache combien de merdes vous comptez me balancer à la figure aujourd’hui.

— Calyx, j’attends de toi que tu aies un comportement respectueux, tonne le directeur en me lançant un regard sévère. Tu n’es pas avec ton groupe de potes ici, mais avec des personnes à qui tu dois du respect.

Je ne réponds pas. Je le regarde simplement. Fixement.

Parce que si j’ouvre la bouche, je vais rire. C'est marrant de le voir essayer d'exercer une forme d'autorité.

Le directeur se racle la gorge, comme s’il essayait de reprendre un semblant de dignité dans cette ambiance tendue. Puis il tourne la tête vers Hailey, qui reste droite et imperturbable.

— Et je suis désolé, Monsieur... Dame, dit-il maladroitement, si ma question vous a blessés. C’est juste que... je m’attendais à voir Monsieur et Madame Howard, comme d’habitude.

Hailey ne répond pas tout de suite.

Elle le regarde quelques secondes, puis elle sourit.

— Les Howard n’ont plus besoin d'intervenir dit-elle calmement.

Elle jette un bref coup d’œil vers moi.

— Calyx a fait le choix d’être là avec nous, et nous respectons ce choix.

Je détourne les yeux.

Qu’elle se calme un peu, la biche.

C’est pas comme si j’avais eu un éventail d’options sous les yeux.

Elle était là. Point.

Ce qu’on appelle *disponibilité logistique*.

Quant à l’autre macchabée silencieux, Mykal, qui n’a pas décroché un mot depuis qu’on est entré...

Il s’est ramené parce qu’il espère se taper la veuve de son frère. Voilà la vérité.

Je lui ai rien demandé.

Je veux même pas qu’il soit là. Il m’agace rien qu’en respirant trop près.

Faut d’ailleurs que je pense à leur poser la question, un de ces jours : *est-ce que vous avez déjà couché ensemble ?*

Histoire de mettre les pieds dans le plat une bonne fois pour toutes.

Peut-être même à table, tiens. Devant les gosses.

Ce serait drôle.

Flaubert croise les bras, l’air de rien, mais je sens sa mâchoire se contracter. Il n’aime pas qu’on lui enlève ses repères. Il préférait quand c’était Jada et Bastien qui se ramenaient à chaque conseil.

Eux au moins, ils ont le pouvoir de me faire avaler mes remarques au lieu de les sortir.

Et surtout, j’ai un minimum de respect pour eux.

Un minimum suffisant pour ravaler mes griffes quand ils sont dans la pièce.

Mais là personne ne m’impose assez de silence.

Hailey reste droite, mais elle joue à l’adulte diplomate, pas à la figure d’autorité.

Et Mykal… bon, lui, il est juste décoratif.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Keisha.hj ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0