1) De nouveaux arrivants ~Newt~
Ma tête tremble légèrement quand l'avion se pose. Je détache ma ceinture sans prêter attention au bavardage incessant de mon père. Depuis le divorce, il avait eu du mal à trouver du travail. Mais de là à se réjouir d'avoir été engagé comme secrétaire chez un sombre comte dans une ville aussi paumée que Yellowknif, il y a des limites.
A peine sortie de l'aéroport , je sais que je détesterais cet endroit. Il fait si humide et froid que j'ai l'impression de me baigner. La lumière du soleil peine à passer à travers les nuages gris, si bien que les lampadaires sont allumés. A midi! Mais surtout, aucune voiture... Quelle ville, en 2025, n'a pas de voiture? A la place, des cariolles, tirées par des chevaux, attendent les passagers. Un simple coup d'oeil à mon téléphone me confirme l'inévitable: pas de réseau.
Notre chauffeur,un étrange homme camouflé par un chapeau et une écharpe, nous fait signe. Il nous arrache quasiment nos bagages et les fourre dans le coffre d'un étrange corbillard noir tracté par deux chevaux. Il nous ouvre la porte et monte à sa place sans mot dire.
"Très glauque" Pensé-je tandis que nous nous mettons en route. Je m'accoude à la fenêtre et observe le paysage. Pas mal de jeunes trainent dans les rues. La plupart des adolescents portent des caisse de bois, distribuent des papiers, ou discutent. Aucun n'a de telephone. Il est d'ailleurs étonnant qu' ils soient aussi nombreux quand on sait qu'il n'y a aucune école ou collège à des kilometres à la ronde. Ce qui au passage n'avait pas inquieté mon père. Apparemment je suivrai les cours avec les enfants de son patron qui ont une gouvernante.
Alors que notre étrange attelage quitte la ville pour monter sur une colline vertigineuse, mon père me met en garde pour la 7ème fois:
"Je compte sur toi Newton! Euh... Newt, se reprend-il en croisant mon regard assassin, Ce travail est important, si je veux l'avoir tu dois bien te tenir."
Je hoche la tête, distrait. Je déteste mon prénom. Ma mère voulait se donner des airs intelectuels alors elle m'a donné le premier nom de scientifique célèbre qu'elle a trouvé.
Le cocher s'arrête enfin devant le manoir. Mon père verifie sa tenue et descend. Le manoir est très sombre, il est entouré d'un jardin plongé dans la pénombre. A travers les fenêtres, entourées de la façade noire, on devine d'épais rideaux rouges qui masquent à coup sûr la lumière.
Sur le perron se tient une femme au regard sévère. Elle porte des vêtements sombres mais distingués et ses cheveux noirs sont retenus en un chignon à l'apparence d'un nid de corbeau. Son visage se durcit un peu plus à notre arrivée.
" Je suis Miss Devon, toujours Miss, précise-telle d'une voix âpre comme du vinaigre. La gouvernante de ce domaine. Vous devez être le nouveau secrétaire du comte Crock."
Sa voix devient méprisante à la mention de la profession de mon père. Elle nous fait entrer, accroche nos manteaux dans le hall et ordonne au cocher d'amener les valises dans nos appartements.
L'intérieur de la maison est encore plus lugubre que l'extérieur. Les meubles, tous anciens, sont recouverts d'une fine couche de poussière. Le sol est habillé de tapis rouges aux motifs noirs. Toutes les lourdes portes sont fermées. Les rideaux sont tous tirés et ne laissent passer aucune lumière . Le seul éclairage provient de bougies suspendues ou posées dans toute la pièce.
Miss Devon nous entraine à travers les couloirs en poursuivant son monologue:
"Ici nous avons la salle de séjour, au fond le petit salon, à l'étage se trouvent les chambres..."
Elle s'arrête devant un sombre petit escalier en bois.
"Vous ne devez jamais monter ici, nous met-elle en garde. C'est l'espace personnel de la famille Crock."
Sa voix menaçante me dissuade de demander toute précision.
La gouvernante nous annonce que nous rencontrerons la famille après le coucher du soleil dans le salon rouge.
"-Monsieur Crock est-il occupé en ce moment?, demande mon père
- Vous ne verrez jamais Monsieur pendant la journée.
- Pour quelles raisons?
- Il vous l'expliquera lui-même.
- Mais..., commence à protester mon père"
C'est à ce moment que je décide d'intervenir afin d'éviter qu'il ne soit renvoyé avant même d'avoir été officiellement engagé:
"- Excusez moi, pourrai-je savoir où trouver du réseau pour appeler ma mère? j'aimerais lui signaler que je suis bien arrivé.
- Pas de réseau ni téléphone."
Sans se soucier de mon air ahuri, elle me conduit dans un petit bureau et m'explique que je pourrai écrire un télégramme qui sera transmis à ma mère immédiatement. Puis elle rejoint mon père et ils poursuivent la visite.
En soupirant, je m'installe au bureau et commence à rédiger mais je suis immédiatement arrêté par des rires enfantins qui résonnent dans mon dos. Je me lève et regarde dans le couloir. Deux petits garçons d'environ six ans aux cheveux noirs, à la peau translucide et aux pupilles rouges, sortent de derrière une statue. Ils se ressemeblent comme gouttes d'eau. En me voyant, leurs yeux s'aggrandissent d'effroi:
"- Ne dis pas à miss Devon que tu nous as vus..., commence le premier.
- Si elle apprend que nous sommes sortis en plein jour..., poursuit le deuxième
- Elle nous punira pour dix ans! terminent-ils d'une même voix."
Une fois que je les ai rassurés, ils s'enfuient en riant. Je retourne m'assoir au bureau et continue ma tâche.
Lorsque j'ai enfin trouvé une formulation correcte pour rassurer ma mère, la gouvernante revient me chercher pour me guider jusqu'au salon et rencontrer enfin l'employeur de mon père.
Le salon noir porte bien son nom, la totalité des murs sont peints en noir. Collée à un mur, une cheminé éclaire la pièce d'une vive lumière. Deux canapés en velours se font face, séparés par une table basse en bois. Dans le premier mon père est installé, bien droit. En face, un grand homme d'environ 30 ans le regarde. Le comte Crock. Il est très pâle, ses cheveux noirs balayés de mèches grises sont plaqués en arrière, ses yeux sont d'un rouge sang. Les jumeaux que j'ai croisés cet aprés midi l'encadrent. Derrière eux, une jeune fille d'à peu près mon âge est adossée au mur. Elle a la peau encore plus blanche que le reste de sa famille. Elle porte une robe à carreaux noir et rouge avec de hautes bottes montantes à lacets. Ses cheveux noirs tombent sur ses épaules et sont ponctués de deux mèches rouge. Ses yeux sont vairons: l'un est bleu l'autre rouge.
Une fois que je suis assis mon père nous présente:
"Je suis Tibeau et voici mon fils Newton, il préfère qu'on l'appelle Newt. Je... Je suis ravi de faire votre connaissance monsieur Crock."
Le comte répond avec un sourire:
"Allons pas la peine de s'embarrasser de convenances ridicules, appelez moi Fabien. Voici mes deux fils: à ma droite Willam et à ma guauche Gustave. Ainsi que ma fille Elisabeth.Tout le monde nous appelle comme ça au manoir. A l'exception de miss Devon.
-Toujours miss !, s'écrient les jumeaux en choeur.
-Bien mon...euh Fabien, je serai ravi de travailler pour vous."
Le comte lui tend un document:
"Vous trouverez toutes les informations là dedans. Avant toute chose sachez que ma famille n'est pas comme les autres, nous sommes tous...
-Haaaaa!!!"
Le cri de mon père l'interrompt. Le comte le regarde avec des yeux ronds tandis qu'il tente de s'expliquer:
"Désolé, il y avait un moustique, ces insectes me terrorisent. La seule idée qu'ils boivent du sang me dégoute. Enfin, je suis désolé de vous avoir interrompu.Que vouliez vous dire?"
Le comte le regarde avec des yeux ronds puis reprend d'une voix mal assurée:
"Oui, nous sommes tous albinos. C'est pour cela que nous évitons de sortir le jour."
Mon pere acquiesca et ils continuérent de parler des termes compliqués du contrat. Je me perdis dans mes pensées. Il me semble que les albinos ont les cheveux blancs. Alors pouquoi ont-ils tous les cheveux aussi sombres que la totalité de ce manoir? Soudain, je sursaute. Je n'avait pas vu la fille Crock qui s'est aprochée doucement de moi. Elle sourit:
"Newt? Enchantée. Je suis ravie qu'il y ait à nouveau quelqu'un d'à peu près mon âge au manoir. Appelle moi Beth. Je déteste aussi mon prénom. J'imagine que c'est pareil pour tout le monde."
Je n'ai pas le temps de lui répondre que mon père se lève et que la gouvernante nous entraine jusqu'à notre chambre.
Quatre heures du matin, c'est l'heure qu'affiche mon réveil lorsque je me décide à quitter mon lit et sortir. Depuis que je me suis couché, impossible de fermer l'oeil.
Nos "appartements" comme les a qualifiés miss Devon, sont composés de 3 pièces: Ma chambre et celle de mon pere, qui ne contiennent que le strict minimum pour dormir et se laver malgré leurs tailles démesurées, ainsi qu'une pièce de vie abritant une cheminée, une grande table, trois étagères,une bibliothèque et deux fauteuils moelleux.
Je traverse cette étrange salon le plus discrètement possible pour ne pas réveiller mon père. Une fois dehors, je me mets à déambuler doucement. Les couloirs sont interminables et sombres. Pourtant, je m'y sens étrangement en sécurité.
Je plonge ma main dans ma poche à la recherche de mon téléphone, mais je ne le trouve pas. Soudain j'entends des rires enfantins au bout du couloir. En scrutant la pénombre, j'aperçois les jumeaux qui agitent l'appareil en riant.
Aussitot je pars à leur poursuite. Ils me font courir dans tout le manoir en s'assurant que je les suis toujours. Ils courent étonnament vite pour leur âge. Je me stoppe en les voyant s'engouffrer dans le petit escalier que Miss Devon nous a spécifiquement défendu de monter. Tant pis, je préfère être puni que de perdre mon téléphone. Je m'engage dans le petit passage et débouche sur... une salle à manger?!
La piece est tapissée de rouge. Sur le mur du fond, une grande fenêtre aux rideaux de velours rouge ouverts se découpe sur le jardin. Sur le mur à ma gauche repose une cheminée dans laquelle ronfle un grand feu. Au centre de la pièce, une grande table repose sur un tapis vermillon aux motifs d'or. Elle est decorée d'une nappe assortie et d'un chemin de table en dentelle noire. Devant chacune des huit chaises aux coussins de velours qui l'encadrent est posé un verre en or. Au centre, entre les chandeliers noirs, un plat contient une substance rouge comme de la viande crue.
En apercevant mon téléphone posé sur la table, je m'approche pour m'en saisir. En regardant le plat mon estomac se retourne: ce n'est pas de la viande, c'est un tas de coeurs.
Terrorisé, je quitte la pièce, dévale les escaliers et cours jusqu'à ma chambre.
"Papa! Papa! Pap..."
Il sort de sa chambre et me fixe avec des yeux éberlués:
"Mais qu'est ce qui se passe?
-On doit partir! Tout de suite! Les Crock ne sont pas qui ils disent être! Je suis monté par l'escalier en bois et...
-Tu es monté où?!, m'interrompt-il, C'est le seul endroit du manoir où on n'a pas le droit d'aller et c'est là où tu te précipites? Tu as envie de me faire perdre mon travail? Reste ici. Je vais essayer de régler ça avec monsieur Crock. Attends toi à la punition de ta vie lorsque je reviendrai."
Il sort en trombe et j'entends la serrure se verrouiller de l'exterieur. On va mourrir ici. Je sursaute lorsque j'entends une voix:
"Il n'a pas totalement tort."
Je me retourne et aperçois Beth qui s'approche de moi. Je n'ai aucun échappatoire. Elle poursuit:
"Ce n'est pas très poli de fouiller chez les gens.
-Dit la tarée qui collectionne des coeurs.
-On n'est pas taré."
Elle n'est désormais plus qu'à quelques centimètres de moi. Mon sang se glace lorsque elle souffle:
-On est des vampires."
-Donc vous nous avez demandé de venir ici pour boire notre sang."
Elle recule, offusquée:
"Non! On ne boit que du sang animal. Et les rares vampires qui ne peuvent pas se passer de sang humain ont un approvisionnement dans les hôpiteaux. On vous a demandé de venir car mon père a besoin d'un secrétaire et que l'ancien est parti à la retraite.
-Si vous êtes si gentils, pourquoi ne pas nous l'avoir dit à notre arrivée?
-On comptait vous le dire mais mon père à juger que le tien était..."Trop enclin à la panique". Enfin si tu veux que l'on reprenne depuis le début..."
Elle me tend la main en souriant:
" Elisabeth Crock, vampire."

Annotations
Versions