Chapitre 10
Le sentier était de plus en plus difficile à suivre. La végétation devenait plus dense, les arbres se resserraient au-dessus de leurs têtes comme pour avaler la lumière. Julien, concentré mais visiblement perdu, s’arrêta soudain et sortit une carte froissée de sa poche.
Samuel leva un sourcil.
— T’as une carte de la région, toi ? Depuis quand ?
Julien, tout fier, déplia le document et le tourna dans tous les sens.
— Bon, alors... si on est là, le lac devrait être... euh... là. Non... peut-être là ?
Léa soupira, agacée.
— Arrête le massacre, sérieux. Tu pourrais même te perdre dans ta propre maison.
Elle attrapa la carte et la replia.
— Le lac est à plusieurs heures de marche, d’après ce que Clara m’a dit l’autre soir.
Andres, un sourire en coin, lança :
— Vous parlez souvent de lacs hantés pendant vos soirées entre filles ?
Léa lui colla une petite tape derrière la tête.
— On parle de trucs bien plus intéressants que toi, t’inquiète.
Elle les invita à la suivre, prenant la tête du petit groupe qui s’enfonça plus profondément dans la forêt. Pour se divertir pendant la marche, ils décidèrent de faire un jeu : chacun leur tour, ils devaient raconter deux mensonges et une vérité, les autres devant deviner la vérité.
— Ok, c’est moi qui commence, annonça Samuel. J’ai embrassé une prof au lycée, j’ai sauté d’un toit une fois, et j’ai gagné un concours de danse.
— Le concours de danse, dit Clara sans hésiter.
— Faux ! C’était le toit. La danse c’était une vidéo TikTok foirée…
Ils firent trois tours chacun, riant des anecdotes ridicules ou gênantes. Puis peu à peu, la fatigue les gagna, et ils continuèrent leur route en silence, écoutant seulement le bruissement des feuilles.
Léa, soudain, râla :
— Génial… Merci Julien, j’ai ruiné mon pantalon !
— C’est pas moi, c’est l’arbre ! répondit-il en ricanant.
— Tu m’as poussée, espèce d’abruti.
Clara s’arrêta brusquement, les yeux légèrement écarquillés.
— Attendez... Vous entendez ? Un bruit de courant, là-bas.
Ils tendirent l’oreille. Un léger murmure, comme de l’eau qui glisse sur des pierres. Ils se mirent à suivre le bruit à travers les fougères jusqu’à ce que, enfin, ils débouchent sur une clairière. Le lac.
Le paysage les laissa sans voix. L’eau miroitait sous les derniers rayons du soleil, calme, presque figée. Le silence était presque trop parfait.
Andres sentit une sensation étrange lui serrer la poitrine. Il ne savait pas pourquoi, mais il était partagé. L’endroit était magnifique, oui... mais quelque chose clochait. Les vieilles histoires, les rumeurs de meurtres… Il secoua la tête et chassa l’idée.
Ils s’installèrent et commencèrent à monter leurs tentes. Samuel galérait avec Julien, les piquets refusant de tenir.
— Tu veux pas lire les instructions ? proposa Julien.
— Y’en a pas, génie. On va l’faire à l’instinct.
Pendant ce temps, Andres finissait déjà de monter la sienne.
— Sérieux, t’as triché, grogna Samuel.
— Mon père m’emmenait souvent camper quand j’étais petit, répondit Andres avec un sourire.
Les autres hochèrent la tête, se souvenant peu à peu de ces récits partagés lors de soirées entre amis.
Clara consulta l’heure sur son téléphone.
— Il nous reste un peu de lumière. On se divise ? Un groupe pour aller chercher du bois et des pierres pour le feu, les autres s’occupent d’aménager le coin.
— J’viens avec toi, dit Andres aussitôt.
Pendant qu’ils marchaient dans la forêt, Clara brisa le silence.
— Être ici… ça te fait du bien ? Ou au contraire, ça te rappelle trop ton père ?
Andres prit un moment avant de répondre, ramassant une branche bien sèche.
— Les deux, je crois. Mais je suis content d’être ici. Avec vous.
Ils revinrent les bras chargés de bois et de pierres. Andres prépara le feu, l’alluma en quelques gestes précis. Les flammes dansèrent bientôt, réchauffant l’air devenu plus frais. Le ciel s’assombrissait doucement, teinté d’orange et de violet.
Ils sortirent leurs petits sachets de nourriture préparée. Samuel tenta de faire griller un morceau sur le feu, mais le fit cramer à moitié.
— Mais c’est pas possible ! râla-t-il.
Clara éclata de rire.
— Comment t’as décroché ce poste dans un resto, déjà ?
— J’ai un sourire irrésistible, répliqua Samuel en tirant la langue.
Andres les observa tour à tour, un sourire discret sur les lèvres. Heureusement qu’il avait ses amis.
La nuit tomba complètement. La lumière du feu lançait des ombres vacillantes autour d’eux. Ils se racontèrent des histoires, de vraies, de fausses, des souvenirs, des rêves.
Puis, dans un moment de calme, Clara se leva.
— Attendez… vous vous souvenez du symbole qu’on a vu tout à l’heure, sur l’arbre ?
Ils hochèrent la tête.
Elle s’approcha d’un tronc à quelques mètres du camp.
— Il y en a un autre. Exactement pareil.
Tous la suivirent. Gravé à même l’écorce : un œil, au centre d’une spirale irrégulière.
Clara fronça les sourcils.
— Mon grand-père m’a déjà montré un symbole un peu comme ça... ou raconté quelque chose à son sujet. Mais je me souviens plus. C’est flou.
Un silence inquiet s’installa. Même Samuel ne trouva rien à dire. Le feu, derrière eux, crépitait doucement. Une brise fraîche passa sur leurs visages.
— C’est peut-être rien, murmura Andres.
Mais aucun d’eux n’y croyait vraiment.
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