4.VI // Face-à-face

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Angoisse. Edwige, les mains crispées sur la poignée de son épée, fixait de ses yeux turquoise les miliciens en train de foncer sur elle et sur ses camarades. Elle était à deux doigts de lâcher son arme et d’attendre silencieusement la mort, mais espérait malgré tout parvenir à se faufiler jusqu’à Gaël pour le tuer avant de mourir.

Choc. En mettant sa lame en travers devant son visage, Edwige avait réussi à parer la charge de son adversaire, non sans vaciller. C’était un jeune. Il avait peut-être le même âge qu’elle, ou une paire d’années de plus, et son regard suintait de terreur. Nul doute qu’il n’aurait jamais voulu en arriver là, lui non plus. La jeune femme eut un regain de combativité et de confiance en réalisant que son adversaire était peut-être encore moins apte à se battre qu’elle. Il n’allait pas retenir ses coups pour autant : c’était elle ou lui.

Réflexe. Profitant de sa parade réussie, elle parvint à ajuster un violent coup de pied dans le tibia non protégé de son opposant, lui faisant perdre l’équilibre. Elle se décala d’un bond sur le côté lorsqu’il s’effondra à terre, puis leva son épée au-dessus de sa tête.

Hésitation. Non, il ne fallait pas hésiter. Surtout pas ! Edwige laissa le poids de son arme guider ses bras menus et vit sa lame pénétrer sans peine dans le dos exposé du jeune homme. S’il n’était pas mort sur le coup, il était au moins très sérieusement amoché et ne risquait pas de se relever.

Secousse. Une violente frappe dans l’épaule la fit chanceler, et elle s’effondra à son tour sur le dos. Ce n’était pas une attaque directe, plutôt un milicien qui l’avait heurtée dans le tumulte de son propre combat, mais ce dernier réalisa rapidement qu’il venait de prendre l’avantage sur une ennemie. Se plaçant au-dessus d’Edwige, il leva son arme de la même manière qu’elle l’avait fait quelques secondes auparavant pour achever son adversaire éphémère.

Esquive. En se jetant sur le côté, la jeune femme parvint de justesse à échapper à la lame de son opposant, qui se planta dans la terre grisâtre plutôt que dans sa peau pâle. Cela lui offrit suffisamment de temps pour qu’elle se relevât et qu’elle se mît face à ce nouvel ennemi. C’était un homme corpulent, voire carrément massif. D’habiles manœuvres ne suffiraient pas à le mettre à terre. Il la surpasserait systématiquement en termes de force brute.

Chance. Alors que l’imposant milicien préparait une nouvelle attaque, Edwige vit ses yeux se troubler, et un crachat de sang s’échappa de sa bouche. Lorsqu’il s’effondra, elle vit apparaître derrière le colosse sa compagne albinos. Sybil s’était rendu compte que son amie était en fort mauvaise posture, et avait réussi à profiter d’un temps mort de son côté pour lui venir en aide. Edwige lui devait la vie.

Doute. Où en étaient ses autres compagnons ? La bataille faisait rage à un tel point que toute la poussière et la cendre ordinairement posées au sol s’étaient soulevées, créant un épais brouillard gris. Edwige était incapable d’énumérer ses ennemis, ni ses alliés. Elle aurait aimé croire qu’ils avaient pris le dessus, après avoir survécu à deux des miliciens, mais avait parfaitement conscience que le rapport de force était bien trop déséquilibré pour cela.

Surprise. Elle ne put guère poursuivre sa tentative d’état des lieux. Sortant de la brume grisâtre en hurlant comme une furie, une femme d’une quarantaine d’années asséna une frappe puissante à l’attention d’Edwige. Par chance, elle avait mal estimé la distance qui la séparait de son adversaire, peut-être à cause de l’épais nuage de cendres, et sa frappe n’avait pas fait mouche. Les deux femmes échangèrent alors une série de coups bien ciblés, mais chacune parvenait à parer les tentatives d’attaque de l’autre.

Erreur. La milicienne ajusta une frappe d’estoc en ciblant la poitrine d’Edwige. Celle-ci, ne parvenant pas à choisir par quel côté esquiver l’attaque, tenta une parade et parvint à dévier la lame de son ennemie, laquelle se ficha malgré tout en plein dans son épaule, laissant échapper un épais filet de sang, et arrachant un terrible cri de douleur à Edwige.

Souffrance. La jeune femme serra les dents, mais sa blessure, sans être sur un point vital, lui faisait atrocement mal, au point qu’elle laissa tomber son arme. L’issue évidente de cette bataille était là, juste devant elle. Elle n’aurait vaincu qu’un seul pion de Gaël, disons deux, avant de mourir sans réussir à atteindre l’immonde tyran. Elle ne lui planterait jamais son épée dans le cœur. Elle avait… perdu.

Stupeur. En baissant les yeux, elle remarqua que son compagnon à plumes s’était mis juste devant elle, face à leur adversaire commun. Soudain, un flash de lumière blanche l’aveugla, et une détonation assourdissante lui fit bourdonner les oreilles, au point qu’elle perdit un instant les sens associés. Cela l’amena à se demander si elle venait de mourir, ou si autre chose d’incompréhensible s’était produit.

Être libre, c’est aussi savoir braver l’interdit pour protéger ceux qui nous sont chers, n’est-ce pas ? entendit-elle alors dans sa tête, d’une voix cristalline qu’aucun parasite sonore ne vint gâcher.

Après d’interminables secondes, la vue revint la première. Sur un large cône à la pointe duquel elle se trouvait, tous les miliciens étaient à terre, la poussière retombant lentement sur leurs corps éparpillés. Non loin, Gaël lui-même était étendu au sol, ses loyaux porteurs ayant été eux aussi renversés par l’impressionnante secousse. Aucun ne semblait mort : tous étaient indéniablement sonnés, certains durablement étourdis, mais d’autres étaient déjà en train d’essayer de se relever, même si ce n’était pas chose facile avec leurs plastrons d’acier.

Sans réfléchir davantage ou chercher à comprendre ce qu’il s’était vraiment passé, Edwige ramassa son épée et s’élança à travers le champ de bataille ainsi libéré. C’était l’occasion ou jamais d’atteindre Gaël ! Léon et Sybil lui emboîtèrent le pas sans hésiter : faire tomber l’ignoble pseudo-Empereur était bien plus important que de vaincre n’importe quel milicien, surtout sachant qu’une moitié d’entre eux environ n’aurait jamais souhaité être là aujourd’hui.

Lorsqu’Edwige atteignit enfin l’homme qu’elle voulait abattre à tout prix, celui-ci était encore allongé sur le dos, désarmé. La jeune femme serra les poings sur la poignée de son épée et se mit en garde. Son mystique compagnon venait de se téléporter et de se replacer à ses côtés. Ses deux amis ex-miliciens étaient là aussi, juste derrière elle. Eux devaient être dans un drôle d’état à se retrouver nez à nez avec leur ancien employeur, mais Edwige, elle, était déterminée à en finir.

— Tiens donc, si ce ne sont pas là deux infâmes déserteurs… hasarda Gaël. Et mon étrange captif à plumes, aussi ! Que de retrouvailles ! J’imagine donc que c’est toi qui l’a libéré… lança-t-il à l’attention de celle qui le menaçait de sa lame. À qui ai-je l’honneur ?

— Je m’appelle Edwige, mais cela ne va sans doute pas te dire grand-chose… et si je te disais que je suis la fille de Cassandra, ou plutôt, de… 0157F22 ? Cela te parle !?

— J’ai vu tellement d’insignifiants matricules du genre défiler devant mes yeux, et tellement de prénoms à oublier… Non, cela ne me dit rien du tout. Et cesse donc de me tutoyer, barbare !

Autour d’eux, nombre de miliciens commençaient à retrouver leurs esprits. Il fallait en finir rapidement.

— Cela ne te dit rien du tout !? hurla Edwige. La mine, le traitement des déchets nucléaires, la radioactivité… le cancer ! Bien sûr que cela ne te dit rien du tout ! La vie des autres est tellement insignifiante à tes yeux !

— Oh, je vois. Je me souviens maintenant. Je suis désolé d’apprendre que ta mère est morte, mais dis-toi qu’elle l’est pour une noble cause : celle d’avoir servi l’humanité.

— Elle n’est pas… pas encore morte, sanglota Edwige. Et je suis ravie à l’idée que tu meures avant elle !

La jeune femme souleva son épée au-dessus de sa tête, prête à mettre un terme à la vie du tyran.

— Att… Attends ! cria Gaël. Vous tous, baissez vos armes, hurla-t-il à l’attention des miliciens venus le défendre, que Léon et Sybil tâchaient de retenir par l’intimidation.

— Attendre quoi ? demanda Edwige en fronçant les sourcils.

Elle hésita. Le tuer maintenant sous les yeux de toute son armée revenait à s’auto-condamner la seconde suivante. Même si bien des miliciens devaient avoir envie de se libérer de son emprise impériale, il était certain que nombre d’autres le suivaient corps et âme, le protégeraient au péril de leur vie et le vengeraient s’il venait à mourir sous leurs yeux.

Le laisser s’exprimer ne coûtait rien, de toute façon. Après tout, il venait d’ordonner à ses hommes de baisser leurs armes, figeant la situation et laissant à chacun tout le temps nécessaire pour la considérer avec soin.

— Ta mère est mourante, c’est bien ça ? reprit l’Empereur. Il y a… un moyen de la sauver. J’imagine que ton compagnon à plumes t’en a parlé ?

Edwige, décontenancée, ne sut quoi répondre, et regarda en coin son ami resté statique à ses côtés.

— Non, il ne t’a donc rien dit ? insista Gaël avant de laisser échapper un rire nerveux. Je suis bien étonné d’apprendre que je suis finalement son confident préféré !

— Où veux-tu en venir ? Parle ! intima Edwige à son interlocuteur, en pointant à nouveau sa lame vers lui.

— D’après ton ami volatile, il existerait, loin sous l’écorce de cette planète, un lieu qu’il appelle « le Berceau », source de leur immortalité… et qui sait, peut-être de la nôtre ? Accompagne-moi là-bas, et sauvons ta mère avant qu’il ne soit trop tard.

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