Chapitre 33

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Suzie

Annie m’a appelé ce matin pour me prévenir que Maddie avait accouché. J’ai donc appelé Maddie à ma pause déjeuner pour les félicitations qui sont de circonstances. Puis nous avons convenu que dès qu’elle rentrerait chez elle, nous passerions les voir toutes les deux, elle et son bébé. Il me tarde de pouvoir revoir Maddie et de découvrir enfin si ce bébé ressemble à sa maman.

La fin de semaine est enfin arrivée, ce vendredi, je finis plus tôt que d’ordinaire. Aédan étant en rendez-vous extérieur, plus rien ne m’oblige à rester au bureau. J’appelle Annie et lui propose d’aller rendre une petite visite à Maddie puisqu’elle nous a prévenu de son retour chez elle en début de semaine. Mon impatience de faire la rencontre de cette petite merveille m’a valu un petit souci de concentration cette semaine. Lors de la dernière réunion de mercredi j’ai interverti deux dossiers. Heureusement qu’il ne s'agissait que d’une réunion interne entre collaborateurs. Par contre Aédan m’a envoyé des éclairs noirs à travers ces yeux et il m’a conseillé ou ordonné devrais-je dire de prendre du temps pour me libérer l’esprit. Evidemment vu que pour lui il n’y a que le travail qui compte, il était inévitable que son reproche fuse. Pour une fois, je ne le contredit pas et accepte volontiers sa demande de repos forcé. J’ai tellement hâte de revoir Maddie.

Mais avant de se rendre chez Maddie, nous nous sommes mis d’accord sur le fait que nous ne pouvions pas arriver les mains vides. Nous partons donc à la recherche d’un présent pour le bébé. Annie avait déjà jeté son dévolu sur une boutique du centre ville et elle m’invite à la rejoindre.

Mon oeil est attiré dans la vitrine par une peluche doudou rose et blanc avec une tête de lapin. Sur le petit carré blanc il y est écrit : “I Love You” en rose. Elle est présentée dans une jolie boite en forme de cœur rose et blanche. C’est trop mignon ! Nous ne résistons pas à l'idée d’offrir se présent au bébé.

Nous craquons à nouveau dans la boutique sur des bodies personnalisés et petites robes pleines de froufrou pour cette petite fille que nous n’avons pas encore vu mais que nous imaginons déjà dans tous ces vêtements. Avec Annie, on devine déjà Maddie qui nous arrache les yeux d’avoir autant dépenser pour son petit bout.

Maddie nous accueille avec les traits tirés mais elle est aux anges de nous recevoir. Elle nous présente son petit flocon qui dort dans sa balancelle et qui nous fait littéralement fondre comme la neige sous la chaleur du soleil.

Maddie est enchantée que nous ayons eu l’idée de lui rendre visite. Elle se porte à merveille malgré un petit souci technique du papa qui sous la pression s’est écroulé dans la salle d’accouchement. Un papa qui s’évanouit à la naissance de son enfant n’est pas rare. On prépare la maman à l'arrivée du bébé mais les papas eux ne sont souvent pas prêt à ce que leur femme peut endurer. Un sentiment d'impuissance grandit tout au long de cette journée en regardant sa compagne souffrir sans rien pouvoir faire. La soupape a lâché et il a perdu connaissance quelques secondes juste assez pour avoir une énorme bosse sur la tête. Cette anecdote fera rire sa petite fille quand ils y penseront plus tard.

Maddie en rit maintenant mais sur le coup elle ne sait pas rendu compte qu’il était à terre pendant qu’elle poussait. Heureusement il n’a pas manqué le plus important, l’arrivée de son bébé. Le personnel soignant a juste eu le temps de le relever et de l'asseoir sur un fauteuil pour qu’il puisse assister à la venue au monde de son bébé. Ses esprits revenus il a même pu couper le cordon ombilical même si cette partie de l’histoire reste encore un peu flou pour lui.

Maddie semble avoir besoin de discuter avec ses amies, de se libérer d’un poids qu’elle a sur le cœur. Elle nous avoue que depuis que son mari a repris le chemin du travail, celle-ci se sent perdue. Elle culpabilise de ne pas savoir comprendre son enfant comme son mari. L’instinct maternel chez la femme n’est pas innée. Pour certaines femmes il est existant avant même l’envie d’avoir un bébé. Pour d’autres, il apparaît soit durant la grossesse, soit à l’arrivée du bébé et pour les autres ce lien entre la mère et l’enfant se travaille. Maddie fait partie de cette catégorie. La maman doit se montrer plus patiente, plus aimante sans se sentir coupable de ce manque de lien qu’elle n’arrive pas à créer. Ce lien naît chaque jour de petits moments où la maman accompagne son bébé comme le bain, les changes multiples et les moments ou l’on nourrit bébé. Il faut prendre le temps de s'asseoir dans un fauteuil confortable, de positionner le bébé et surtout de profiter du contact entre vous, de l’osmose de ces moments uniques. Nous lui proposons notre aide, de profiter des bons cadeaux baby sitting que ces collègues lui ont offerts pour qu’elle puisse prendre un peu de temps pour elle.

Nous discutons pendant des heures et nous nous usons les yeux devant cette merveille qui dort et qui n’a pas l’air d’être dérangée dans son sommeil par nos éclats de rires.

Maddie avait besoin d’être rassurée et de se sentir comprise même si on a pas fait grand chose aujourd’hui, elle sait dorénavant que nous accourons dès qu’elle appellera au secours.

- Les amies servent à ça ! dit Annie.

- Merci pour vos cadeaux et pour votre visite qui m’a rempli de bonne humeur. J’avais besoin de voir des adultes et d’avoir une discussion entre filles. Je suis reboostée, dit Maddie, sa joie se lisait sur son visage fatigué.

- Tu es une mère fabuleuse, Maddie. Tu dois penser à toi de temps en temps pour pouvoir mieux t'occuper de ton flocon, lui dit Annie plein d’espoir.

Je ne veux surtout pas que Maddie nous fasse un baby blues.

Le début de soirée approche, nous rentrons chez Annie. A notre arrivée, Alex est dans la cuisine et il prépare le repas de ce soir.

Annie me rejoint dans ma chambre.

- Suzie, je peux te demander quelque chose ? me demande-t-elle timidement.

- Tu as un air grave, Annie. Tout va bien ?

- Nous n’avons pas eu une enfance très chaleureuse comme tu le sais. Alex m’a déjà parlé d’avoir des enfants et j’élude à chaque fois ma réponse.

- Tu seras une mère formidable soeurette, lui dis-je avant même qu’elle ne pose sa question.

- Comment peux tu le savoir ?

- Tu m’as élevé, tu as été plus qu’une sœur pour moi durant mon enfance.

On se fixe les yeux larmoyants et on s’embrasse avant de retourner auprès d’Alex. Je me dirige vers lui alors qu’Annie part à la salle de bain.

- Alex, on ne se parle pas souvent mais je voulais te dire que je t’apprécie beaucoup. Tu rends ma sœur heureuse, lui dis-je tout en lui déposant un gentil baiser sur la joue.

Avant de quitter la pièce, je lance à la volée que j’adorerais être tata Suzie un jour quand il se déciderait à faire un bébé à ma sœur. Et lui lance un clin d'œil. Celui-ci reste debout ébahi le couteau dont il se servait à la main. Je dois dire que je suis très contente de mon petit effet. Il n’a rien compris à ce qui vient de se passer mais j’espère bien que l’idée germera.

Des œillades n’ont pas arrêté d’être lancées tout au long du repas. J’ai entendu du bruit durant la nuit, je pense que je suis à l’initiative de cette nuit agitée et j’en suis plutôt fière. Tata Suzie ! Ça sonne bien, je trouve.

***

Le lendemain matin, je reprends mon poste après un petit café et je regarde les nouvelles du jour sur internet. De nouvelles publications sont dévoilées. L’image de la société a encore été ébranlée mais Aédan est sur le coup. Une enquête est en cours. Cela ne m’empêche pas d’être inquiète pour Aédan. Comment prend-il la révélation de ses informations dans les tabloïdes ? Lui qui aime contrôler chaque aspect de sa vie est dans la tourmente depuis ces publications.

On ne s’adresse que très rarement la parole depuis notre petite mise au point. Nous échangeons par mail essentiellement et je ne vois pas comment lui poser la question sans paraître me mêler de ce qui ne me regarde pas. Nous ne sommes plus aussi proches et ce genre de questionnement ne m’est pas autorisé. Je ne suis que son assistante, je dois rester à ma place.

Les jours passent et se ressemblent lorsqu’un jour par hasard semble-t-il, je tombe sur Jean dans une de mes boutiques préférées ou je me rends régulièrement depuis que je remplace Maddie. On y trouve aussi bien des produits régionaux tout comme des produits un peu exotiques comme des mangues, des fruits du dragon, de la papaye mais aussi du manioc, de l'igname et encore tellement d’autres articles comme du fromage et des yaourts.

J’aime ce magasin et ses propriétaires, ils leurs arrivent de me conseiller et de me donner quelques recettes. La qualité des produits est indéniable. Il n’est pas proche de l’appartement mais les produits qui y sont vendus valent bien le détour. C’est une des mes contributions au seing du foyer, des légumes et des fruits frais pour un corps sain, c'est une des devises d'Alex. Le fiancé de ma sœur n’ingurgite que des produits frais, il fait attention aux graisses et au sucre pour maintenir son corps d’athlète. J’ai presque adopté sa manière de se nourrir car il m’arrive encore de manger quelques produits gras et sucrés mais jamais devant lui pour ne pas voir ses yeux réprobateurs.

J'ai espoir qu’il ne me remarque pas et que je puisse m’enfuir sans avoir à le saluer mais ma gaucherie fait son grand retour. En voulant l’éviter dans un rayon, je me retourne trop brusquement et je bouscule une vieille dame. Immédiatement je m’excuse et Jean a dû m'entendre et reconnaître ma voix car il me rejoint aussitôt. Il engage la conversation et me dit avoir découvert par hasard ce magasin en rentrant d’un rendez-vous professionnel qu'il avait dans le quartier. On échange comme de bon camarade, il s’excuse à nouveau de son comportement lors de cette soirée de gala. L’abus d’alcool lui est monté à la tête et il se sent penaud.

Je lui accorde le bénéfice du doute, sotte que je suis et il en profite sournoisement pour me proposer de boire un café la prochaine fois que l’on se croise. Je n’en ai pas envie mais je suis une femme bien éduqué, à ce moment précis je trouve même être trop bien élevé et je ne refuse pas d’emblé. Je suis seule ce soir, personne pour venir à ma rescousse. Alex et Annie ont décidé de s’offrir une soirée en amoureux. Je lui lance un “pourquoi pas”, un sourire gêné et me dirige vers la caisse d’un pas peu assuré.

A peine ai-je franchi le seuil de la porte d’entrée que je ne peux m'empêcher de souffler comme si j’avais retenu ma respiration depuis la rencontre fortuite de ce soir avec Jean.

Une fois les amoureux rentrés, je ne peux m'empêcher de raconter ma curieuse rencontre de ce soir et la proposition qui s’en est suivie.

- Je ne sais pas comment le lui refuser sans le froisser.

- Même si je te dis que c'est une mauvaise idée, tu n’arriveras pas à lui dire non. Il usera de son charme sur toi et tu céderas. Pas vrai ? Je croyais que tu n’étais plus sous son influence ? me nargue-t-elle.

- Annie ! Je ne suis pas une petite fille ! Je lui dirai non en plus. dis-je agacé.

- J’espère que tu n'oublies pas tout le mal qu’il t’a fait ? Je ne veux qu'il te fasse souffrir à nouveau et c'est ce qu'il se passera si tu acceptes de le revoir !

- On discute pour rien, je ne pense pas qu’il revienne dans ce magasin. Il s’agissait d’une coïncidence. Et pour ta gouverne, je ne suis sous aucune influence !

Nous nous disputons pour la première fois depuis mon emménagement chez elle. Notre dernière dispute date du tout début de ma relation avec Jean, elle m'avait fait la même scène que ce soir. Elle a raison, Jean a eu une influence sur moi, j’en ai pris conscience à notre rupture mais je ne l'admettrai pas devant elle. Je suis une grande fille et j'assume mes choix même si ils sont mauvais.

Faire deux fois la même erreur, mais pour qui me prend-elle ? Je ne suis pas si naïve et encore moins stupide ! Assumer mes choix m’aide chaque jour à aller de l’avant.

Je me rends dans cette boutique au moins deux fois par semaine et j'y recroise Jean une seconde fois, il me propose un café mais je refuse rien que pour rabattre le caquet à Annie et pour me prouver que je peux le faire. Il le prend plutôt bien ce qui me surprend mais je ne compte pas approfondir le sujet et je rentre directement à l’appartement pour pouvoir retrouver mon souffle au plus vite. A chaque fois que je le croise, ma respiration se stoppe net, je suis en apnée.

La fois suivante, il est de nouveau charmant. Nous discutons à la porte du magasin. Il s'intéresse à moi, à mes envies, à mes espoirs. Je retrouve l’homme qui m’a séduite au début de notre relation.

Attention, fillette, la pente est glissante !

Un midi alors que je déjeune avec des collègues dans un bistrot près de notre bâtiment. J’y aperçois Jean. Une coïncidence, certainement vu qu’il n’est pas seul. Peut-être qu’il m’a dit la vérité en fin de compte. Il est attablé avec deux autres personnes. Il me salue et m’indique qu’il est avec des clients. Il rit du fait que nous n’arrêtons pas de nous croiser ces derniers jours. Il me fait alors une proposition pour que nous ne croisions plus et que nous puissions discuter sans avoir à regarder notre montre. Je suis perplexe, l’angoisse qui me tenaillait ces dernières années avait disparu depuis que j’avais emménagé chez Annie. Le fait de sans cesse me heurter à Jean la ravive un peu plus à chaque hasard.

Jean veut m’emmener au théâtre. Il déteste le théâtre. Il fait des efforts, ça me flatte mais je reste sur mes gardes. Comment Annie va-t-elle prendre cette proposition ? Est ce que je suis obligé de lui dire ? Evidemment, elle va bien voir que je lui cache quelque chose, je ne sais pas lui mentir. Pourquoi je me pose autant de questions alors que je n’ai aucune envie qu’il m’accompagne au théâtre. Une brève idée me traverse l’esprit, aller au théâtre oui mais pas avec Jean, avec Aédan.

Je refuse poliment et avec tact, je l’espère, sa proposition. Mais il insiste pour que j’y réfléchisse. Il me tend sa carte avec son numéro de téléphone pour que je le rappelle quand j’aurais pris ma décision. Je la prends la main tremblante. Même si je lui dis non, il n’accepte pas la retraite. Cela me met mal à l’aise, ma gaucherie est de retour. Je le remercie et m’excuse car je dois retourner travailler. Son regard s’assombrit. Il sait que l’homme qui m’a volé à lui lors de cette soirée n’est autre que mon patron et que c’est lui que je vais retrouver.

Je le salue et lui tourne le dos lorsqu’il me lance :

- Bonne journée Suzie ! Pense pas trop à moi aujourd’hui sinon tu as mon numéro. Appelle-moi !

Je ne me détourne pas et accélère le pas pour aller me cacher au plus vite dans ce grand bâtiment, là où il ne pourra pas me trouver si facilement. Il n’a pas l’intention de lâcher sa proie. Le doute qui m’avait assailli lors de notre deuxième rencontre fortuite laisse place à la certitude aujourd’hui. Il ne s’agissait pas de concours de circonstances.

Il chasse ! Et je suis sa proie !

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