Chapitre unique

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Quelle belle journée, il n'y a pas un chat, c'est agréable d'être assis là à ne rien faire. Depuis que je suis arrivé, il y a vingt minutes, je n'ai vu que trois personnes.

Un vieux qui promenait son chien, il avait l'air en forme pour son âge.

Un quinqua qui courrait, c'est important de s'entretenir.

Une mère de famille qui promenait son nouveau-né, elle avait l'air radieuse. Pas du tout l'image fatiguée qu'on se fait des jeunes parents.

Voilà. C'est tout et ça me va. Je n'ai envie de voir personne aujourd'hui, j'ai juste envie de profiter du soleil et du beau temps sans prise de tête et sans être dérangée.

Tiens, une quatrième personne, un jeune homme qui semble chercher quelque chose ou quelqu'un.

A mon avis, il a un rendez-vous avec une jeune femme rencontrée en ligne, ça risque d'être amusant.

Pourquoi vient-il vers moi en me souriant?

Il me fait signe maintenant, il se rapproche, s'arrête, me regarde, me fait de nouveau signe et...

"Bonjour Mademoiselle, c'est bien vous?"

Bah non, ça n'est pas moi, mais comment lui dire?

"Pardon, je pense que vous vous trompez monsieur, je n'attends personne"

Je ne vais pas me laisser importuner par un inconnu alors que tous les bancs du parc sont vides.

"Si, c'est vous, je sais que c'est vous. Ne me mentez pas, vous devez le savoir que c'est vous. Je sais que les gens ne s'attendent pas à cette apparence mais il n'y a plus que vous ici, vous ne pouvez pas nier que c'est forcément vous."

Cette réponse me laissa sans voix, je sais que ça n'est pas moi, je n'attends personne. Mais il reste là, pire, il s'installe à côté de moi.

"Je vais m'assoir ici et attendre"

Mais attendre quoi? Qu'elle finisse par venir pour qu'enfin tu comprennes que ça n'est pas moi?

"Faites donc, attendez. Vous finirez par comprendre que ça n'est pas moi".

Au bout de quelques minutes, et afin de reprendre ma flânerie, je finis par dire:

"Mais vous n'avez pas son numéro pour l'appeler?

- Non, je n'ai pas de téléphone

- Ah, ça n'est pas courant par les temps qui courent.

- Je suis un peu vieux jeux, ça n'est rien. Et puis je n'en ai pas vraiment besoin.

- Bon, mais vous n'avez même pas vu une photo d'elle? Ou alors il s'agit de ma jumelle maléfique!

- ça ne fonctionne pas comme ça, on me dit d'aller à un endroit et que la personne sera là.

- C'est particulier comme système, je ne connaissais pas. Vous me direz, je ne suis pas une consommatrice de ce genre de chose.

- Personne ne l'est vraiment, mais il faut bien y passer à un moment ou à un autre."

Cette phrase me fit froid dans le dos. La société en est donc arrivée là... Tout le monde doit passer par le web pour rencontrer quelqu'un, c'en est fini des bars, des boites de nuit, des ami-e-s d'ami-e-s, maintenant tout le monde doit y passer comme il dit.

"Je ne suis pas totalement d'accord avec vous, je ne pense pas que tout le monde doive y passer. C'est vraiment déprimant ce que vous dites, je suis désolée mais j'étais assise tranquillement ici sans rien demander et vous êtes arrivé pour vous installer sans vraiment prendre en compte mon avis. Je vais donc être franche, je n'apprécie pas trop votre présence et je vous demande d'aller vous assoir ailleurs s'il vous plait.

- Les gens n'apprécie que très rarement ma présence et j'en suis navré mais... Je ne peux pas m'en aller mademoiselle, et vous ne pouvez pas partir non plus. Nous sommes liés jusqu'à ce que vous m'ayez suivi"

Mais mince sur quel taré je suis tombée encore, il n'y a qu'à moi que ça arrive... Depuis que Christophe m'a quitté je touche le fond et il ne manquerait plus que je me fasse agresser par un psychopathe. Je vais me lever rapidement et partir en courant. Il n'a pas l'air très sportif et mes performances au marathon devraient me laisser suffisamment de marge pour ne plus jamais revoir cette personne.

Un, deux, tr... Mais, je n'arrive pas à me lever. Qu'est ce qui se passe? Mes jambes ne veulent pas me porter. Ai-je peur? Suis-je tétanisée? Non, ça n'est pas ça, je n'arrive juste pas à me lever.

"Vous essayez de vous lever là? Je vous avais prévenu, vous êtes coincée avec moi."

Mais comment fait-il pour savoir ça? Il m'a droguée c'est ça? Mais quand? Ça fait des jours que je n'ai rien mangé... Des heures que je n'ai rien bu.

"Comment? Comment avez-vous fait ça?

- Moi? Je n'ai rien fait... Je vous ai dit que je venais pour vous, vous ne vouliez pas me croire. Je sais ce que c'est, vous n'êtes pas ma première à prendre les choses de cette manière. Mon rôle est de vous accompagner jusqu'au bout, de vous faire prendre conscience. Je sens qu'on y est presque.

- Mais de quoi parlez-vous?

- C'est à vous de faire le pas, rappelez-vous tout ce qui s'est passé depuis que vous êtes assise sur ce banc, allez-y, faites un effort."

Mais de quoi parle-t-il? Où peut-il en venir?

"Il ne s'est rien passé depuis que je suis là, je n'ai vu que trois ou quatre personnes.

- Oui, c'est ça, souvenez-vous d'elles."

Et là, tout me revint, mais pas de la manière dont je l'avais perçu tout à l'heure, tout me revint de manière claire et limpide.

Le vieux qui promenait son chien, n'avait pas vraiment l'air en forme, il semblait triste et lui dire adieu.

Le quinqua qui courait, il repensait à tout ce temps passé à s'entretenir pour rien.

Et cette femme avec son bébé, quel malheur...

Tous, tous les quatre venaient de mourir, tous les quatre étaient avec moi, à l'hôpital.

Le vieux avait fait un arrêt cardiaque dans son lit.

Le quinqua avait fait une crise cardiaque en plein trail.

Et cette femme, cette pauvre femme, était morte en couche. Elle... et son enfant. Aucun des deux n'avait survécu.

Quant à moi... J'avais enfin réussi ma tentative de suicide... Christophe m'avait quitté s'en était trop, je n'en pouvais plus alors j'ai sauté.

Nous étions tous arrivé ensemble à l'hôpital, tous morts au même instant.

La mort était là, à côté de moi, sur ce banc... Banc qui était la dernière chose que j'avais vu en sautant de ce pont. Elle attendait que j'accepte de partir. Je comprenais maintenant, il était là pour moi, pas pour un rendez-vous amoureux non, juste pour mon dernier rendez-vous... Tout le monde doit y passer, il l'avait dit.

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