Il existe un temps, un temps limité par l'expansion de son berceau. Plongeons-nous au cœur de cette période, à travers les glorieux siècles à venir, de l'universalité de la vie. Il existe un temps où une infinité d'espèces ont peuplé l'univers. L'humanité n'était pas unique, aussi grande, semble-t-elle, ses connaissances demeurent limitées. Aveuglée par son égocentrisme, elle se mure dans son propre mensonge. La vérité ne se trouve pas sur Terre, la vérité vient d'ailleurs, la vérité se cache dans le cosmos.

Nous nous identifions descendants de ces êtres, présentés comme nos créateurs. Ainsi, l'ascendance se nomme démiurge. Leur langage, perdu. Leur histoire, oubliée. Nos pères, nos mères, parents de tout. Étoiles, galaxies, planètes, existences, nous leur devons. Nous ignorons la cause de leur apparition, encore moins les conséquences de leur disparition. Aux commandes de cette civilisation, le premier membre, Prior.

La principale particularité de ces individus, c'est une masse d'énergie, de l'énergie plasmatique qui rayonne à l'intérieur de ces corps célestes. Par conséquent, leur existence devient possible. Si le flux est canalisé, alors ces forgerons de l'espace engendrent. Le secret de leur longévité réside dans leurs œuvres.

Localisé au milieu de l'ensemble, construit par le démiurge originel lui-même, Trilhardum. Stabilisé à une certaine hauteur, le hameau fournit une vue sur le tout. Préserver le fruit de leur labeur, un objectif auquel chacun se doit de s'y tenir, pour eux comme pour nous. Chacune d'entre elles cohabite en parfaite harmonie, aucune d'entre elles n'éprouve quelconque nuisance envers autrui, jusqu'à maintenant.

Quelque chose résonne au sein de l'âge d'or démiurgique, quelque chose entrave tout bon développement. Cette perturbation est ressentie par les ingénieurs, elle se répand telle une maladie. Discrète, elle se faufile dans les entrailles des ténèbres, elle se rapproche, oui. La distance qui la sépare de la citadelle se raccourcit de plus en plus, ce n'est plus qu'une question de temps avant d'affronter cette évidence.

Perchée sur une des tours de la forteresse, accroupie au bord du gouffre sidéral, Sero s'égare dans ses pensées. Le regard vide, néanmoins ébloui par les derniers instants de ces lueurs scintillantes. Une à une, elles succombent sous le courroux de ce fléau des dieux. Malgré la gravité de la situation, la démiurge reste spectatrice de cette tragédie. Celle-ci est plus supportable, comparée aux jérémiades de ces sempiternels citoyens de la cité astrale.

Le vacarme infernal bombarde ses tympans. L'annonce maladroite, qualifie-t-elle, du suprême, suscite un climat de terreur. Une peur de ne pas être apte à éradiquer la menace grandissante, la peur que le mal qui commence par grignoter un bout de lumière finit par en dévorer le tout. L'assemblée l'irrite, tous cèdent à la panique.

« Sero ? Prior appelle au regroupement, interpelle un de ses pairs.

— Pourquoi cela ? Nulle utilité à discourir avec ces geignards, répond-elle, excédée.

— Notre sort t'importe si peu ?

— Au contraire, nous devons demeurer lucides. Bon, hâtons-nous avant qu'il nous morigène de sa fidèle sagesse Verus, cède-t-elle.

— Préserve-nous de cet odieux persiflage. Tu abdiques ? Toi qui es si tenace ?

— Ma défense est percée, l'omniprésent écoute, informe la non-conformiste. »

Les deux camarades quittent la tour puis empruntent une interminable passerelle avant de rejoindre leurs compatriotes. Au loin, debout, près de son siège, le visage dénué de toute émotion, il patiente, les autres s'impatientent. Verus souhaite rebrousser chemin, elle ne supporte pas de captiver l'attention, au contraire de son amie. Celle-ci s'en moque, son audace terrasse la totalité de ces pleurnichards.

Aujourd'hui, l'antique extraterrestre s'apprête à inculquer une énième leçon auprès de ses deux sujets. Sero, la préférée du Prior ? Les démiurges ne cessent de réitérer ce fait, ses bienfaiteurs le prétendent. Toutefois, l'information manque de fiabilité, la favorite, à coup sûr, ne peut être que la charismatique démiurge nommée Rego. Située à la droite de son supérieur, droite comme un piquet. Née pour diriger, elle est destinée à devenir la succession du grand créateur, en voilà un exemple à suivre.

« Tes piques, Sero, je les sens. Elles me transpercent, regrette le guide divin.

— Épier tes pareils, profaner mes pensées, distrayante occupation Prior ? s'insurge l'immortelle.

— La démarche est indispensable surtout lorsqu'un tel comportement dont tu fais preuve n'est pas cautionnable.

— Tes méfaits ne sont pas légitimes, tu te loves dans un confort, loin de la lumière. Depuis quand tes mains te cachent-elles la vue sur l'ensemble ?

— Témoigne de ton indéfectible gratitude, tu oses négliger ton créateur, averti Rego révoltée par cette attitude sans-gêne.

— L'indéfectible gratitude, je la témoigne lorsque j'engendre, réplique-t-elle, la colère qui inonde ses propos.

— Cela, hélas, remonte à loin, gausse la créature.

— Arrêtez ces brimades, récupérez le contrôle, ordonne le dirigeant, l'urgence vient d'ailleurs. »

Tout le monde le sait, c'est un sujet sensible qui l'inquiète. Un torrent de larmes désire se déverser le long de ses joues. Tourmentée par ses propres doutes ainsi qu'à l'idée de compromettre son adhérence envers l'unique précepte. Cependant, son instinct recommande de maintenir les vannes fermées. Sa vulnérabilité ne doit pas la compromettre, elle doit rester secrète, cachée à la vue de tous les regards braqués sur elle.

Son excessive loyauté stupéfie Sero. Après analyse de sa semblable, accepte-t-elle sans discuter les fraîches manigances de Prior ? Lire en ses adeptes ? Laisser les graines de la zizanie germer au sein de la terre des dieux ? Un comportement anormal. Le leader paraît affaibli, son enveloppe charnelle ne contient plus sa propre énergie, elle le consume. Même le premier d'entre eux n'échappe pas à la fatalité. Bientôt, le contenant sera réduit à l'état de braise.

L'exponentielle croissance du raffut démiurgique contraint le dirigeant à s'installer au fond de son trône. Ses fidèles s'agglutinent, tous proposent une assistance. Encore autonome, le vieillard repousse tout soutien. Essoufflé, faible, une douleur s'installe. Au centre de son poitrail, se dessine une plaie, elle grandit au fur et à mesure que son plasma s'échappe de son organisme. Le temps s'écoule, ses pieds arpentent le chemin tandis que l'heure approche. Déficient, son étincelante lueur se prépare à sillonner sans relâche l'univers.

Jusque-là, à l'écoute, un nouveau personnage se heurte à l'amas divin par sa hardiesse et sa carrure. À travers la jungle céleste, il se poste devant son créateur, fier. Diplomate, un intrépide combattant, reconnu parmi tous, le démiurge Proskop. Lors de conflits, ses confrères relatent que son éloquence persuade autant que retentit le bruit de ses coups de poings, un médiateur hors pair.

« Des nouvelles de l'expertise ?

— Le contact a été rompu, répond le chef.

— L'expertise doit être reportée, nous devons rapatrier nos similaires, propose le guerrier.

— Tu sembles décidé, remarque son supérieur.

— Votre grandeur m'emplit de vaillance, affirme-t-il.

— Recrute d'autres braves à tes côtés, que ta vigueur fasse trembler la perturbation.

— Une telle excursion, cela ressemble à un traquenard, conteste Rego, utilises-tu tout ton potentiel Proskop ? Je l'escorte, Prior.

— Ma foi envers Proskop se révèle sans failles, décrète le tout-puissant, reste auprès de ton concepteur.

— Je me plie à vos exigences, capitule-t-elle. »

Envoyer en mission de sauvetage le principal atout des démiurges et quelques soldats ? La foule s'avère interloquée, autoriser cet aller sans garantie de retour ? Une décision prise à la va-vite, pense Sero, son instinct stipule une solution alternative. Quant à Proskop, sa demande est-elle pleine de bonnes intentions ? N'y a-t-il pas une appétence pour la gloire ? À quoi cela rime ? Lui qui possède déjà un palmarès à en faire saliver ses compagnons ? Elle désire avec ardeur sa réapparition auprès des siens.

Ce verdict devient un prétexte de débat pour Verus contre elle-même. Sa plaidoirie s'appuie sur la bizarrerie des évènements actuels. Plus que tout, elle émet un radical changement de ses traits de caractère, elle aspire à calquer les qualités de son entourage. Malgré sa défense, sa conscience l'emporte toujours. Le manque de confiance en soi et la peur, ces deux cartes dévoilées lui permettent de rafler la mise.

Humiliée sous les yeux de ses identiques, frustrée, Rego convoite depuis des lustres la place du Prior. Son arrogance, reconnue coupable, freine son ambition. Récupère le contrôle de ses émotions, se préconise-t-elle, ce malentendu ne doit pas tâcher sa réputation, elle doit refléter une exemplarité plus coriace qu'auparavant. Son choix fait, la dévotion à son souverain demeure inchangée.

La cellule de crise achevée, le troupeau se dissémine sur la plaine éternelle. Chacune de ses créatures recommande une vigilance accrue. Le peu d'énergie utilisée se dissipe en grande quantité, assisté de deux de ses serviteurs, Prior regagne ses quartiers. Une fois le concepteur escorté, Proskop quitte l'estrade royale. Ses pas le mènent droit à Sero et à sa complice. À proximité, les inquiétudes de Verus la conduisent à se précipiter dans les bras du guerrier.

« Quelles sont tes véritables intentions ? exige-t-elle, dominée par l'angoisse.

— Obtenir la fierté de mes identiques, ta fierté, confesse le combattant.

— Je la définis sans limites. Tu me combles tant, je refuse de pleurer ta perte.

— Éternellement liés, toi et moi, nous nous retrouverons, affirme-t-il le regard plongé dans le sien.

— Cette fois-ci, la situation paraît différente. Mes ressentis restent subjectifs.

— Sauvegardez notre pérennité, je dois remplir ma fonction. »

L'étreinte exercée sur son conjoint ressemble davantage à l'ultime étreinte. La démiurge refuse son sacrifice, prête à entraver sa décision afin de préserver son existence. Le célèbre Proskop lui dépose un long et doux baiser passionné. Les larmes se déversent sur ses joues, la tête hors de cet océan d'émotion, elle se décide à abandonner toutes tentatives qui va à l'encontre de la volonté de son compagnon.

Aucun des démiurges n'a prédit leur union. Ces deux opposés, attirés l'un par l'autre depuis toujours. Leur histoire, sans doute, désignée comme la plus belle de toute la divine treille. Leurs forces combinées à leurs faiblesses créent un duo solide, un duo efficace. À contrecœur, elle relâche son étreinte, ses bras relâchent Proskop qui récupère la liberté de ses mouvements.

« Penses-tu mimer la prudence lors de l'expertise ? charrie la démiurge Sero.

— Me pavaner ? Bien-sûr, tente de dédramatiser le soldat.

— L'usage d'ironie à ce moment précis, Verus apprécie, prévient-elle.

— Je compte sur toi pour la rassurer. Restez auprès de l'originel et modère tes propos envers lui. »

L'heure sonne le début de la mission, un émissaire lui fait signe. Proskop et sa troupe suivent jusqu'à une plate-forme de lancement. À une dizaine de mètres de plus que la salle du rassemblement, la plèbe les fixe, un silence règne. Un petit laps de temps s'écoule avant qu'ils ne lévitent à quelques mètres du sol. Chacun d'entre eux déploie son énergie sur la totalité de leurs corps et créer un bouclier protecteur, ils sont prêts à partir.

Une violente lumière surgit, elle éblouit la vue du meneur du groupe, elle le déstabilise, elle l'affaiblit. Un mal s'infiltre, parcourant son bras gauche d'abord puis se loge au creux de sa tempe. Une vision lui apparaît. Autour du protagoniste, l'obscurité totale et dans sa noirceur serpente la sombre difformité.