Chapitre 20 : Confrontation

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« Et j'entendis un son qui venait du ciel, pareil au bruit de grandes eaux et à la voix d'un puissant tonnerre. »

(Apocalypse de Saint-Jean, 14, 2)

L’un des deux soldats entra sans hâte dans le salon, puis s’approcha d’Alice.

— On a des nouvelles du dragon… Il a pourchassé les hélicoptères jusqu’à notre base. Ils tentent de l’abattre, ou au moins de le contenir.

L’adolescente croisa les bras et fit une mine renfrognée. Pour elle, l’armée n’avait aucune chance de faire mordre la poussière à un tel monstre. Mais l’espoir fait vivre, alors… il fallait laisser vivre l’espoir. Aussi, elle ne répondit rien au militaire qui laissait déjà transparaître une tension considérable. C’était inutile de lui ajouter une pression supplémentaire.

L’un des deux s’était assis tandis que l’autre faisait nerveusement les cent pas autour de la pièce. Au bout de quelques minutes, l’une de leurs radios se mit à résonner à nouveau.

— Cette… chose a… noyé la caserne sous un flot d’acide. Une sorte de liquide violet… vert et… l’instant d’après, les bâtiments étaient transformés en vrai gruyère, tout bonnement… désintégrés de toutes parts !

— … et les forces aériennes ? demanda le soldat dans son talkie-walkie.

— Anéanties, mon lieutenant. Il a balancé d’son vomi acide sur les machines, et… c’était moche à voir. J’vous passe les détails. On l’a blessé et il a l’air de galérer à voler droit mais… faut bien dire que ça s’annonce mal. On essaye de se replier et de limiter les frais.

— Courage soldats, répondit l’homme dans sa radio, avant de couper celle-ci. Ils sont dans la merde, ajouta-t-il alors.

— Ça fait bizarre de dire ça, mais… j’crois qu’il va falloir s’en remettre à toi, gamine, reprit l’autre, désespéré. T’es la seule qui puisse faire quelque chose contre ces trucs, faut croire.

Alice resta sans voix. Elle qui avait si longtemps eu l’habitude de passer incognito, de se fondre dans les murs, et presque de disparaître aux yeux des autres, voilà qu’elle était devenue l’unique héroïne capable de mettre fin à une menace dont personne d’autre ne saurait avoir raison. Elle savait bien que l’armée n’avait aucune chance contre les dragons, mais elle avait quand même espéré… et ses espoirs venaient de voler en éclats. Elle resta assise un long moment, silencieuse et songeuse. Dehors, le soleil brillait et réchauffait la Terre de sa douceur printanière. C’était la première fois qu’un dragon attaquait en plein jour, sans essayer de se couvrir sous les nuages. Berûtu était tellement persuadé de sa victoire qu’il ne faisait preuve d’aucune prudence. Et si… Et s’il y avait là quelque chose à saisir ?

Faut pas qu’on reste là, Alice, murmura Zoé dans sa tête. Tu le sais bien : c’est à nous deux d’affronter les dragons. Et si tu ne vas pas les chercher, ce sont eux qui viendront alors… tu sais ce qu’il te reste à faire.

— Je remonte au Fer à Cheval, enchaîna Alice à l’attention de ses compagnons, tout en se relevant. Ce ne sont pas quatre murs et un toit qui vont résister à ce monstre lorsqu’il va revenir, alors autant l’éloigner de cette maison et tenter de le surprendre, puisque c’est moi qu’il cherche.

— On t’suit, ajouta l’un des soldats sans consulter son camarade. On pourra pas faire grand chose, mais on va pas rester ici bras croisés pendant qu’tu t’bats contre lui.

Alice hocha la tête et jeta un regard entendu à l’homme qui venait de s’adresser à elle. Elle voyait la terreur dans le regard de son frère d’armes : il n’avait plus vraiment l’air d’un soldat, mais plutôt d’un pirate sans honneur prêt à sauter du navire pour tenter de sauver sa peau, quitte à laisser tous ses matelots dans la galère. Elle ne pouvait lui en vouloir toutefois, tant il était normal de perdre espoir face à une telle menace.

— Mamie. À tout à l’heure… j’espère… dit Alice d’un ton décidé, en se tournant vers elle.

La vieille femme acquiesça du regard, confiante en l’optimisme tout relatif de sa petite-fille. Le trio sauvé de justesse par la paire d’hélicoptères se mit en route et remonta sans hâte ni grande conviction la courte pente en direction du cirque, prêt à se jeter une nouvelle fois dans la gueule du… dragon. Ils ne voyaient pas vraiment comment ils parviendraient à prendre l’ascendant sur le monstre après l’échec essuyé lors de la rencontre précédente, mais ils n’avaient pas le choix, alors ils avancèrent… le moral bas, surtout pour les deux soldats.

— Ce monstre peut me sentir, et c’est pour ça qu’il va revenir par ici. Je suis sa cible numéro un, car il veut se débarrasser des mages afin d’éliminer toute résistance humaine sur Terre, exposa Alice aux deux hommes qui l’accompagnait. Mais s’il ne peut pas me voir, ça va le perturber un petit moment, comme le précédent. Alors on va se cacher dans le sous-bois, et espérer que notre petite taille comparée à la sienne suffise à le faire hésiter quelques secondes… Ce sera toujours ça de pris.

Sommairement installés sous les arbres au fond du cirque, les trois compagnons s’esquivaient du regard, comme s’ils n’avaient pas envie de dévoiler la terreur qui s’y cachait. Les oiseaux chantaient le retour des beaux jours juste au-dessus de leurs têtes, et cela formait un contraste dérangeant avec l’atmosphère pesante que faisait régner le dragon dans les parages. Lorsque son cri strident se fit à nouveau entendre, les oiseaux se turent d’un coup et Alice ainsi que les deux soldats relevèrent immédiatement la tête, cherchant le monstre du regard. Ils ne mirent guère de temps à le repérer : l’envergure massive des dragons n’était pas toujours à leur avantage.

— Il est là ! Juste au-dessus de nous, dit l’un des soldats.

Maintenant, Alice ! cria Zoé.

L’adolescente, sans attendre, serra son poignet et canalisa son énergie, comme un tireur embusqué se serait préparé à faire feu en concentrant toute son attention dans la lunette de son fusil. Puis, lorsqu’elle eut le dragon en ligne de mire, elle propulsa un projectile magique d’une vive lumière blanche. Celui-ci vint frapper le monstre dans sa patte arrière gauche, le forçant à un atterrissage en catastrophe.

— Touché ! Bien joué gamine ! Allez, on fonce et on l’achève ! cria l’un des soldats, redevenu enthousiaste.

Sortant du sous-bois, le trio fit face à Berûtu. Ses ailes étaient percées de part en part et sa patte gauche portait une plaie rouge vif circulaire, d’une cinquantaine de centimètres de diamètre.

Les deux soldats s’agenouillèrent, braquèrent leurs fusils et se mirent à faire feu sur le monstre ; sans succès toutefois, puisque cette fois encore, les projectiles semblaient ricocher contre ses écailles noires. Dans un accès de rage, celui-ci prit une vive impulsion de sa patte intacte et fonça en avant, puis saisit l’un des deux pauvres hommes avant de l’écraser violemment sur son camarade d’infortune. En une fraction de seconde, le binôme de soldats venait de se faire exterminer sous le regard médusé d’Alice, pour qui la scène était allée bien trop vite.

Fin des… parasites. À nous deux maintenant… graine de… magie ! Le combat sera plus noble… en face-à-face, grogna Berûtu de sa voix rauque et lente.

Alice, plutôt que de répondre, ne perdit pas de temps : elle canalisa une lame magique, comme celle avec laquelle elle avait vaincu Dappānu. Elle la propulsa en avant sur Berûtu mais ce dernier parvint, malgré sa patte blessée, à faire un rapide bond sur la gauche. Le projectile meurtrier alla s’écraser contre les falaises du cirque, décrochant quelques pierres instables.

Le monstre ne perdit pas de temps. Il prit une longue inspiration et son gosier se chargea de l’épaisse fumée verdâtre et empoisonnée. Alice, l’ayant vu venir, courut rapidement vers l’un de ses flancs tandis que celui-ci expirait son souffle fétide sur le sous-bois. Ce dernier se transforma instantanément en désolation aux airs lugubres et morbides.

Leur échange d’attaques vaines se fit soudain interrompre par la traditionnelle voix lente et caverneuse d’un dragon… sauf qu’il ne s’agissait pas de Berûtu, dont la gueule était restée fermée.

Grandiose… Voilà un combat… comme je les aime…

La voix faisait écho entre les falaises du cirque, rendant sa source difficile à localiser. Alice n’avait pas envie de quitter Berûtu des yeux, alors… elle n’essaya pas de trouver l’origine de ces paroles fort peu rassurantes.

Masla'tu… Tu as failli… être en retard, gronda Berûtu.

Ainsi, les craintes d’Alice étaient fondées. Un second dragon venait s’inviter à leur affrontement… Cette fois, c’était vraiment fichu. À moins que Berûtu ne tînt son engagement de combat « en face-à-face », comme il l’avait lui-même souligné. Mais même en les prenant un par un, aurait-elle l’énergie nécessaire pour vaincre deux dragons d’affilée ? C’était fort peu probable.

Masla'tu vint se poser à côté de son frère. C’était un dragon sensiblement plus petit que les deux autres, et d’une corpulence intermédiaire. Ses écailles étaient d’une couleur beige pâle irrégulière, un teint blême qui inspirait un certain dégoût à Alice. À moins que ce ne fussent les multiples verrues et furoncles qui couvraient sa peau écailleuse, jusqu’à son visage ? C’était sans doute cela. À le regarder, on pouvait raisonnablement se questionner sur sa puissance : il paraissait… affaibli. Au bord de la mort, même. Peut-être serait-il plus simple à abattre que ses deux autres frères ?

Je suis… Masla'tu, la Mort. Tremble… humaine… car je suis venu… sonner le glas de ta… misérable résistance futile.

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