Chapitre 34

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S’il y avait bien un endroit au lycée Lincoln où les élèves pouvaient se réfugier pour échapper à la chaleur de ces belles journées de printemps, c’était aux studios de musique. La fraîcheur des sous-sols de l’établissement offrait aux musiciens un havre de paix qu’ils fréquentaient quasi quotidiennement. En dépit du programme de révisions drastique qu’elle s’était imposé pour préparer son premier examen du SAT, Lisa continuait de s’accorder un minimum de temps libre à consacrer à ses séances de répétition avec les Screaming Donuts. Les horaires d’entraînement du groupe n’avaient pas changé et s’étalaient toujours de trois à cinq heures, le lundi et le jeudi après-midis, mais Lisa devait admettre qu’ils lui paraissaient de plus en plus contraignants, compte tenu de la charge de travail qu’elle avait à côté… Pour couronner le tout, elle supportait de moins en moins le comportement puéril de James. Non content d’inviter Kyle, son ami arrogant, à chacune des répétitions du groupe, il proposait désormais à sa petite amie, Jennifer Aspell, de venir assister à ses performances musicales, se faisant une joie de jouer devant elle ses solos de guitare. Il y en avait pourtant un qu’il rechignait sans cesse à jouer, et c’était précisément celui que Lisa avait composé.

Cette mélodie lente et triste, qu’elle avait écrite dans sa chambre un jour de fièvre et qu’elle avait osé proposer à son groupe en guise d’introduction pour un nouveau morceau, était décidément bien trop lente et bien trop triste au goût de James. A chaque fois que les Screaming Donuts décidaient de s’entraîner sur cette nouvelle chanson – ce qui arrivait en général en toute fin de session –, James reprenait sa guitare à contre-cœur et entonnait les premières notes d’un air contraint. Tout en grattant les cordes de son instrument, il regardait ses invités en faisant la grimace et en poussant des soupirs plaintifs. Il était clair que ce morceau l’ennuyait à mourir, et pourtant il se forçait à le jouer, car après tout, il faisait maintenant partie du registre des Screaming Donuts, et il fallait bien le répéter de temps à autre.

- Au moins, on est sûrs de ne pas le jouer au bal de promo ! lança-t-il d’une voix sarcastique, après s’être une nouvelle fois planté dans l’enchaînement pourtant si simple de ces notes aiguës jouées en arpège.

C’était le dernier jeudi du mois d’avril, et le groupe s’entraînait devant ses trois plus fidèles spectateurs : Kyle, Andrew et Jennifer. La remarque de James, balancée d’une façon aussi brutale face à cet auditoire, mit Lisa dans un tel état de rage que son visage tourna instantanément au rouge pivoine. Tout le monde savait que c’était elle qui avait composé cette intro, et elle n’en revenait pas que James puisse la critiquer si ouvertement en sa présence. Les grimaces et les soupirs du guitariste l’exaspéraient au plus haut point, et elle s’efforçait de ne pas le regarder lorsqu’il se mettait à jouer ce morceau malgré lui, pour ne pas s’énerver davantage. De toute évidence, il ne comprenait pas la beauté qui se cachait derrière ces notes si mélancoliques. Pour Lisa, cette musique avait un sens. James, hélas, y était totalement insensible.

- C’est vrai qu’on ne jouera pas au bal de promo, mais il se pourrait bien qu’on joue dans un des bars de Greentown, le mois prochain ! annonça Will à la fin de la séance, alors que ses camarades commençaient à ranger le matériel.

- Quoi ? Tu nous as trouvé une salle de concert ? s’exclama James en reposant soudain son ampli, qu’il s’apprêtait à transporter au local de stockage.

- Un de mes potes travaille comme barman au Cocoon, expliqua le batteur. C’est un bar qui propose souvent des concerts de petits groupes de rock locaux. 

- Waouh ! Ce serait génial de pouvoir y jouer !

- Pour l’instant, la date reste à confirmer, mais il y a de fortes chances que ça tombe un samedi soir. 

- Pas le samedi 6 mai, j’espère ? se récria Lisa. J’ai une épreuve du SAT, ce jour-là… 

- Je doute que ton épreuve ait lieu le samedi soir..., répliqua James.

- Non, elle a lieu le matin, mais si je dois me préparer à la fois pour mon exam de physique et pour le concert, ça risque d’être assez tendu pour moi... 

- Bah, au pire, on fera le concert sans toi ! lança le guitariste d’un air narquois.

Lisa, de nature très susceptible, lui jeta un regard noir. Avec lui, elle ne savait jamais vraiment s’il plaisantait ou non…

- Je peux toujours te remplacer, si tu as un empêchement, ajouta Kyle en s’adressant à Lisa pour la première fois depuis le début de la répétition. Tes lignes de basse ne sont pas très compliquées…

Abasourdie, la jeune fille entrouvrit la bouche pour riposter, mais aucun son n’en sortit. Elle était tellement vexée que les mots lui manquaient. Kyle sous-entendait donc que ses morceaux de basse étaient à la portée de tout le monde ? Que n’importe qui pouvait les reprendre ? Il ne manquait pas de culot, lui qui n’avait jamais daigné lui adresser la parole, ni lui apporter le moindre conseil ! Par miracle, Will vola au secours de la jeune fille et déclara :

- Je demanderai à mon pote du Cocoon si on peut éviter la date du 6 mai.

- Merci, dit Lisa.

Sur ce, les musiciens terminèrent de ranger leur matos, puis se séparèrent en deux groupes : d’un côté, James, Steve, Jennifer et Kyle, qui préférèrent rester traîner encore un peu dans la salle commune des studios ; de l’autre, Lisa, Will et Andrew, qui se dirigèrent vers la cour pour quitter le lycée.

Dans le couloir principal, Lisa fit un arrêt aux casiers, car elle devait récupérer son manuel d’espagnol pour réviser un contrôle prévu pour le lendemain. Les deux garçons l’attendirent près des portes qui donnaient sur la cour, discutant en aparté d’un sujet qui semblait beaucoup préoccuper Andrew. Lisa le voyait qui se massait la nuque d’un air gêné, gardant les yeux rivés sur le  sol, pendant que Will essayait – semblait-il – de le réconforter, tout en jetant parfois des regards dans sa direction. Craignant qu’il ne s’impatiente, Lisa se dépêcha de faire le code pour ouvrir son casier et mit son bouquin d’espagnol dans son sac à bandoulière. Elle entendit alors quelqu’un se rapprocher d’elle et se retourna pour constater que Will l’avait rejointe.

- Lisa, est-ce que tu aurais cinq minutes ? lui demanda-t-il.

- Euh… C’est-à-dire que j’ai mon bus qui passe dans un quart d’heure…, répondit la jeune fille, légèrement prise au dépourvu.

- Ça ne devrait pas être très long… Andrew aurait quelque chose à te dire…

- Andrew ? répéta Lisa d’une voix étonnée.

Cela avait de quoi la surprendre. A part un timide bonjour adressé au début de la répétition,  le jeune homme ne lui avait pas dit un mot de toute la séance. Pourquoi se décidait-il seulement maintenant à vouloir lui parler ? Et pourquoi donc ne venait-il pas l’aborder lui-même ?

- Je te laisse voir ça avec lui, reprit Will. Il faut que je file.

- Quoi ? s’écria Lisa, mais son ami s’en allait déjà, faisant signe à Andrew qu’il pouvait venir prendre sa place auprès de la jeune fille.

Celle-ci avait du mal à comprendre ce qui se passait. Tout cela lui paraissait si mystérieux... Elle vit Andrew approcher d’elle d’un pas mal assuré, et ne se rendit compte qu’à cet instant qu’ils se retrouvaient désormais seuls dans le couloir.

- Tu… Tu as quelque chose à me dire ? demanda-t-elle au garçon en constatant qu’il restait muet comme une carpe.

Elle avait beau chercher, elle ne voyait pas ce qu’Andrew pouvait lui vouloir… A moins qu’il ne s’agisse d’une demande de soutien en maths ? Oui, c’était probablement cela… Will avait dû lui parler de toutes les bonnes notes de Lisa en mathématiques… Mais n’était-ce pas un peu tard pour Andrew, lui qui finissait son année de terminale dans un mois et demi ?

- Oui, je… j’aurais une question à te poser…, commença le garçon en fixant son regard sur les Converse de Lisa.

- Vas-y, je t’écoute, dit la jeune fille, avant de refermer son casier et de jeter un coup d’œil impatient à sa montre – elle ne voulait vraiment pas rater son bus.

- Voilà… Ça fait un petit moment que je viens régulièrement aux répétitions de ton groupe, et… je... je me demandais si tu avais deviné la raison pour laquelle je venais aussi souvent… 

- Euuuh…, fit Lisa en se grattant la tête d’un air perplexe – cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas entendu une question aussi bizarre ! Eh bien, Will et toi êtes amis, non ? Il m’a semblé que tu venais pour le voir jouer...

- Pas seulement… 

- Ah bon ? 

- Je viens surtout pour te voir, toi

- Moi ?

Lisa tombait des nues. Andrew lui avait toujours paru si distant avec elle ! Voilà maintenant qu’il lui avouait qu’il s’intéressait à elle ? Jamais elle n’aurait imaginé cela un seul instant…

- Mais, euh… Pourquoi ? demanda-t-elle bêtement.

- Tu me plais beaucoup, avoua Andrew en la regardant enfin dans les yeux.

Lisa entrouvrit la bouche de stupéfaction. Pour rien au monde elle ne se serait doutée de cela ! Cet aveu lui paraissait tellement invraisemblable qu’elle avait même l’impression qu’Andrew la faisait marcher.

- C’est… C’est une blague ? lança-t-elle avec un petit rire nerveux.

- Non, je peux t’assurer que ce n’est pas une blague… Si c’en était une, mes mains ne seraient pas en train de trembler comme elles le font en ce moment…

A ces mots, Lisa baissa la tête pour regarder les mains du garçon, et s’aperçut en effet qu’elles étaient parcourues de légers tressaillements. Elle n’en croyait pas ses yeux. Andrew disait donc vrai ? Il était réellement en train de lui avouer ses sentiments ? Pour Lisa, ces frissons étaient une preuve indéniable de la sincérité du jeune homme. Elle aussi se serait mise à trembler comme une feuille, si elle avait dû déclarer sa flamme à M. Bates...

- J’aurais dû te le dire bien plus tôt…, reprit Andrew. J’ai commencé par en discuter avec Will, mais il m’a laissé entendre que tu avais déjà quelqu’un en vue, et que je risquais de me prendre un râteau… C’est pour ça que j’ai longtemps hésité avant de venir te parler… Et puis, en voyant que tu étais toujours célibataire, je me suis dit qu’il fallait quand même que je tente ma chance, et voilà… 

« Bien sûr… » pensa Lisa. Tant qu’elle ne sortirait pas avec celui dont elle se disait être amoureuse, tant qu’elle serait susceptible d’avoir des prétendants… Après Will et Joey, c’était maintenant au tour d’Andrew de lui faire sa demande... « Jamais deux sans trois », comme le disait l’expression.

Trois propositions en cinq mois... Comment était-ce possible ? Elle qui jusqu’alors n’avait jamais eu droit à la moindre demande… C’était à n’y rien comprendre ! A croire que depuis qu’elle était amoureuse de M. Bates, elle avait changé au point d’intéresser les garçons de son âge… Hélas, ce n’étaient pas eux qu’elle voulait attirer, c’était son prof de maths ! Quelle malchance, tout de même… Si elle n’avait pas été amoureuse de lui, elle aurait probablement répondu oui à l’un de ses trois soupirants. Entre Will, Joey et Andrew, c’était sans doute ce dernier qui lui semblait le plus honnête. Rien qu’à voir la façon dont ses mains tremblaient, cela en disait long sur ce qu’il ressentait… A moins qu’il ne s’agisse plus simplement d’une conséquence de sa timidité naturelle ? Dans tous les cas, la réponse de Lisa restait la même :

- Désolée, mais je suis toujours amoureuse de quelqu’un d’autre… Et même si je ne sors pas avec lui, mes sentiments ne sont pas prêts de changer... 

- Je vois…, fit Andrew en baissant la tête d’un air déçu. Au moins, j’aurais essayé…

L’amour inconditionnel de Lisa pour M. Bates n’était pas le seul motif de son refus. Le fait qu’Andrew restait pour elle un parfait étranger y était aussi pour quelque chose. Malgré l’assiduité du garçon à ses répétitions aux studios, elle ne le connaissait pas tant que ça – pour ne pas dire pas du tout – car rares étaient les fois où il avait osé lui adresser la parole. Et puis, elle ne se sentait pas du tout attirée par lui physiquement. Cela venait sans doute de ses cheveux blancs, qui le faisaient paraître beaucoup plus vieux qu’il ne l’était réellement… Elle eut la soudaine envie de lui demander : « Tu as quel âge, d’ailleurs ? », comme pour mieux justifier sa réticence à sortir avec lui, mais elle se retint finalement de lui poser cette question, car après tout, ne venait-elle pas de l’éconduire sous prétexte qu’elle aimait un homme qui avait au moins vingt ans de plus qu’elle ?

- Merci en tout cas pour ton honnêteté, dit Lisa en guise de compensation. Ça me touche beaucoup… D’autant plus que je n’ai pas l’habitude de ce genre de déclarations...

« Trois propositions en cinq mois, tout de même ! » protesta alors sa petite voix intérieure. « Tu commences à devenir une experte en la matière… »

- Moi non plus, tu sais, confia Andrew. Comme tu as pu le constater, ce n’est pas le genre de déclarations que je fais tous les jours…

Il était vrai que le garçon paraissait encore sous le coup de l’émotion. Pour un peu, Lisa aurait pris pitié de lui… Elle se demandait si elle ne s’était pas montrée un peu rude en le repoussant aussi vite. A force, elle avait l’impression d’être de plus en plus rapide à dire non à ses prétendants… Il fallait admettre aussi qu’elle était légèrement pressée : son bus passait maintenant dans dix minutes, et elle ne devait surtout pas le louper, si elle voulait avoir suffisamment de temps pour réviser son devoir d’espagnol.

- Mince, je dois te laisser, mon bus ne va pas tarder ! s’exclama-t-elle en regardant sa montre pour la énième fois.

- Ah… Euh… OK…, répondit Andrew d’un air totalement désemparé.

- A la prochaine ! s’écria la jeune fille avant de prendre ses jambes à son cou.

Mais alors qu’elle se précipitait dans la cour pour rejoindre l’arrêt de bus, quelque chose au fond d’elle lui disait qu’elle ne reverrait pas Andrew de sitôt.


La prédiction de Lisa se révéla exacte : le lundi suivant, Andrew ne pointa pas le bout de son nez à la répétition de l’après-midi. Lisa n’osa pas demander à Will pourquoi son ami n’était pas venu, craignant de connaître déjà la réponse. Elle se contenta de faire comme si de rien n’était, et remarqua avec un léger sentiment de culpabilité que cela n’était pas si compliqué, étant donné qu’Andrew n’avait jamais vraiment capté son attention.

En début de séance, Will avait annoncé aux Screaming Donuts la date retenue pour leur concert au Cocoon : le samedi 13 mai, à vingt heures, le groupe était attendu pour jouer en première partie des Kickass Brothers, un autre groupe de punk rock local, beaucoup plus populaire. La date proposée par Will convenait à tout le monde, car elle tombait pile une semaine après l’examen du SAT de Lisa, et une semaine avant le bal de promo du lycée. Inutile de préciser que les Screaming Donuts prenaient ce concert très à cœur, car ce serait pour eux la toute première fois qu’ils se produiraient en public, et ils voyaient là une occasion unique de se faire connaître.

Leurs répétitions aux studios avaient ainsi redoublé d’intensité. Ils s’entraînaient sans relâche sur les morceaux qui leur semblaient les plus représentatifs de leur style de musique. Sept titres avaient été retenus, parmi lesquels leurs grands classiques : Out Of Line et Nothing Wrong With Me, ce qui leur permettrait de tenir sur scène une bonne demi-heure. Sans surprise, la chanson dont Lisa avait composé l’intro – et que James avait ironiquement baptisée Nevermore, en signe de sa volonté de ne plus jamais la jouer – avait été rayée de la liste, après un vote unanime auquel la jeune fille avait dû se plier. Une chose était sûre : plus jamais elle ne proposerait de musique à son groupe. A l’avenir, elle garderait toutes ses idées pour elle.


L’entraînement des Screaming Donuts n’avait toutefois rien à voir avec la préparation intensive de Lisa à sa première épreuve du SAT. La veille de l’examen, elle resta éveillée jusqu’à plus de minuit pour refaire le point sur ses cours d’électronique, et lorsque le matin fatidique du samedi 6 mai arriva, elle ne put s’empêcher de se replonger dans des révisions de dernière minute, alors même que sa mère la conduisait en voiture au lycée Lincoln. L’établissement servait de centre d’examen pour toutes les épreuves du SAT et de l’ACT, ce qui n’était pas sans avantager les lycéens de Greentown, qui pouvaient ainsi passer autant de tests qu’ils le voulaient, sans avoir à parcourir trop de kilomètres.

Cela faisait tout drôle à Lisa de retourner au lycée un samedi matin. Son épreuve de physique avait lieu de dix à onze heures. Aussi sa mère avait-elle tenu à l’y emmener personnellement, pour continuer à l’encourager jusqu’au bout, et à l’attendre une heure en ville, pour la récupérer dès sa sortie de l’examen et recueillir au plus vite ses premières impressions.

- A tout à l’heure ! dit Amanda à sa fille en la déposant devant le portail du lycée. Je croiserai les doigts en pensant à toi !

Lisa lui répondit par un sourire qu’elle s’efforça de rendre confiant, même si, au fond d’elle, elle était terrorisée. Certes, elle avait révisé autant que possible, et elle pouvait même dire qu’elle se sentait prête à affronter cette épreuve, mais son pessimisme habituel refaisait surface et lui laissait présager le pire : questions pièges, questions hors programme, questions insolubles… Lisa, qui ne se sentait à l’abri de rien, estimait qu’elle devait s’attendre à tout.

Ce à quoi elle ne s’attendait pas, en revanche, c’était de croiser M. Bates sur son chemin vers la salle d’examen, au beau milieu du couloir principal du lycée.

- Bon courage pour la physique ! lui souhaita l’enseignant avec un sourire irrésistible, qui lui redonna tout de suite confiance en elle.

- Merci ! lui répondit Lisa, heureuse de constater qu’il se souvenait de la matière qu’elle avait choisie pour sa première épreuve du SAT.

Elle se demanda un bref instant ce que M. Bates faisait au lycée en ce jour d’examen, puis elle réalisa qu’il était certainement venu surveiller une des épreuves.

« Pourvu qu’il ne surveille pas mon épreuve de physique ! » se dit-elle d’un air paniqué.

Si jamais c’était le cas, comment pourrait-elle se concentrer sur son QCM ? Toutes ses chances de réussite à ce test seraient compromises, et elle n’aurait plus qu’à le repasser une deuxième fois ! Par miracle, l’enseignant la quitta pour entrer dans une des classes qui, d’après l’affiche collée sur sa porte, accueillait l’épreuve de mathématiques de niveau 1. Lisa poussa un soupir de soulagement. C’était bien la première fois qu’elle voyait M. Bates s’éloigner d’elle en se sentant rassurée ! Elle continua sa route le long du corridor, se frayant un chemin parmi les élèves qui se répartissaient dans les différentes salles de cours, selon l’épreuve qu’ils allaient passer dans quelques instants. Elle vit Arthur Macmillan disparaître à l’intérieur de la salle portant l’inscription « SAT 2017 – Chimie », et elle aperçut Astrid au bout du couloir, avant qu’elle ne s’engouffre dans une classe où devait certainement se dérouler une épreuve littéraire.

Lorsqu’elle entra dans sa propre salle d’examen, Lisa fut accueillie par son prof de physique, M. Sanders. L’homme au crâne dégarni et aux petites lunettes rondes l’invita à trouver sa table et à s’y installer. Comprenant que ce serait lui qui surveillerait son épreuve de physique, Lisa se demanda avec inquiétude si les profs n’étaient de surveillance que pour les tests des matières qu’ils enseignaient… Si tel était le cas, elle avait du souci à se faire pour sa seconde épreuve du SAT… Ayant choisi les mathématiques de niveau 2, elle avait quasiment une chance sur deux de se retrouver dans une salle surveillée par M. Bates ! Même si le fait de l’avoir vu entrer, quelques instants plus tôt, dans une classe où se tenait l’épreuve de mathématiques de niveau 1 lui laissait un peu d’espoir...

Tout en parcourant les rangs à la recherche de la table sur laquelle était collée l’étiquette portant son nom, Lisa reconnut quelques visages familiers, parmi lesquels Nils Brown, qui essayait de tuer le temps en dessinant des gribouillis sur une feuille de brouillon, et Scott Davis, qui triturait nerveusement sa calculatrice.

- Désolé, Scott, dit M. Sanders en s’approchant de son élève, pour cette épreuve, les calculatrices sont interdites de présence sur les tables… 

- Ah oui ? lança le garçon. Et sous les tables, alors ?

Cette question à la fois moqueuse et provocatrice suscita une vague d’hilarité dans la salle. Lisa devait reconnaître que, malgré son insolence, Scott avait au moins le mérite de détendre l’atmosphère. Or, elle avait justement besoin de se relaxer un peu avant de s’attaquer aux soixante-quinze questions à choix multiples du test de physique qui l’attendait…

S’asseyant à la table qui lui était attribuée et qu’elle avait fini par trouver au tout dernier rang, collée contre le mur de droite, Lisa déballa ses affaires et parcourut la classe des yeux. Elle se demandait combien d’élèves visaient comme elle le MIT… Peut-être était-elle la seule dans cette salle à avoir de telles ambitions ? Peut-être, au contraire, se trouvait-il quelqu’un qui partageait son rêve et était prêt à tout pour lui ravir sa place dans cette université prestigieuse ? Dans tous les cas, Lisa ne devait pas se laisser déstabiliser. Dans quelques minutes, sa toute première épreuve du SAT allait commencer, et elle savait qu’il ne lui resterait alors plus qu’une chose à faire : donner le meilleur d’elle-même. Pour elle. Pour sa mère. Et bien sûr… pour M. Bates.


La plupart du temps, quand elle ressortait d’un devoir surveillé, Lisa était assaillie de doutes plus oppressants les uns que les autres. Cette fois-ci ne fit pas exception. Elle avait buté sur au moins dix questions et elle se mordait les doigts d’en avoir laissé trois sans réponse – les réponses fausses donnant lieu à des points négatifs. Certes, elle avait préféré ne pas prendre de risque, mais désormais, elle était sûre de ne pas avoir la note maximale...

Dès qu’elle fut sortie de la salle d’examen, Lisa tacha de s’attarder le moins possible dans les couloirs du lycée. Ceux-ci fourmillaient déjà d’élèves qui, comme elle, venaient tout juste de terminer leurs épreuves, et qui s’empressaient d’échanger entre eux leurs premières impressions. Lisa, qui voulait à tout prix éviter de se saper le moral en entendant des commentaires du style « J’ai réussi ! », « Qu’est-ce que c’était facile ! », « C’était bien la réponse B qu’il fallait entourer à la question 42 ? », fila comme une flèche vers la cour du lycée. Elle n’avait qu’une hâte, c’était de rentrer chez elle pour se jeter sur son bouquin de physique et vérifier à l’intérieur si les réponses qu’elle avait entourées dans son QCM étaient correctes. Heureusement que sa mère l’attendait dans sa vieille Ford Fiesta sur le parking du lycée : au moins, elle serait de retour à la maison en un rien de temps. Mais à peine Lisa fut-elle remontée dans la voiture qu’elle eut droit à l’inévitable question :

- Alors ? Comment ça s’est passé ?

- Bof, fit la jeune fille en haussant les épaules. On verra bien le 8 juin…

C’était la date de publication des résultats sur internet. D’ici là, Lisa n’avait plus qu’à se concentrer sur ses révisions de maths pour sa prochaine épreuve du SAT… et à s’entraîner sur sa basse pour son concert au Cocoon.

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