Les dix-huit ans de Niniel

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L'anniversaire de Niniel approchait. Elle allait devenir Reine des « Terres Éphémères » et devrait renoncer aux sentiments qu'elle éprouvait pour le prince. Les paroles cinglantes qu'il avait eues auraient dû la conforter dans l'idée qu'aucun avenir n'était possible entre eux et que sa place était plus que jamais auprès des siennes. Cependant, elle ne pouvait croire que l'Humain soit à ce point mesquin. Elle avait découvert en Auguste un être gentil, doux, amusant. Elle avait aimé chaque moment passé à ses côtés et voulait croire que la complicité qui s'était tissée entre eux avait un but.

Elle rejoignit le repaire de Ryu, l'esprit tourmenté par le doute qui s'immisçait en elle. Elle caressa son ami du bout des doigts et s'assit près de lui, le regard perdu dans le vide. Ryu s'approcha et souffla une petite nuée au visage de son amie qui laissa la fumée s'évaporer devant son air impassible. Soucieux, la créature inclina la tête et vint s'asseoir près d'elle. Il resta ainsi quelques temps, offrant à sa protégée le silence bienveillant de sa simple présence.

Niniel passa le reste de sa journée à sillonner les frontières, à remplir son cœur des trésors qui la fascinaient. En revenant au cœur de sa forêt, elle aperçut les Maternelles s'exciter. Une naissance allait avoir lieu. La patrouilleuse s'approcha et accrocha son regard à la tige de Dicentre qui s'animait de légers soubresauts. Les boutons fushia s'entrouvrirent doucement un à un, libérant chacun leur tour la jeune fée qui reposait en leur cœur. Les bras enveloppant leur frêle corps, les petites créatures descendirent lentement en tourbillonnant avant d'être recueillies par les douces mains de leurs protectrices. Une des Maternelles invita la princesse à s'approcher du dernier bouton. Les yeux brillants, celle-ci s'agenouilla et avança les mains sous la fleur. Le cœur se fendit en deux, dévoilant la chevelure dorée d'une petite fée. Les yeux clos, les bras croisés de part et d'autre de son corps, celle-ci tourna lentement sur elle-même avant de retomber au creux de ses mains. D'un doux baiser soufflé, Niniel éveilla la petite créature. Ses fines ailes se déployèrent et elle s'envola, laissant dans son sillage une trainée de poudre dorée. Émue par cette éclosion, l'héritière regagna son saule pleureur, l'esprit éclairci.

Elle attendit que toutes les fées se soient endormies, puis s'aventura à la frontière du monde des Humains pour partager un dernier moment au clair de lune avec Auguste.
Son ami paraissait aussi songeur qu'elle. Un silence profond, empreint de nostalgie et de regrets les enrobait. C'est Auguste qui brisa la quiétude de ce moment figé :

  • La cérémonie approche...

Ces mots accentuaient les battements de cœur de Niniel qui ne pouvait s'empêcher de superposer la cérémonie en son honneur à l'anniversaire imminent du prince.

  • Je souhaiterais présenter ma future épouse à mon père dès ce soir.

La fée en resta interdite. Ainsi Auguste avait fait son choix. Depuis des jours il lui affirmait se moquer des femmes qui lui tournaient autour et pourtant il allait se marier. La tête lui tourna quelques instants mais elle se reprit. Cet aveu arrivait à point nommé. Elle n'aurait pas à s'expliquer sur cette « rupture » qui se profilait dans ses pensées, Auguste prenait les devants et endossait la responsabilité. Elle aurait dû être soulagée : la Vie décidait pour eux.

Le prince se releva, l'invitant à en faire autant. Debout face au ruisseau qui brillait sous la lueur de la lune, elle se décida à tourner une dernière fois son regard enneigé vers celui qui avait provoqué ses premiers émois. D'un geste hésitant, Auguste glissa sa main sous la nuque de Niniel et avança pour déposer sur ses lèvres glacées un baiser enflammé.


****


« Je ne sais qui tu es ni d'où tu viens, mais je sais que si je dois lier mon cœur à celui de quelqu'un ce sera au tien. »

Les mots qu'Auguste avait prononcés juste après leur baiser résonnaient encore dans l'esprit de Niniel lorsqu'elle s'éveilla. Ivre de ces paroles qui faisaient frémir tout son corps, elle mit quelques instants avant de situer l'endroit où elle se trouvait. Elle sauta du grand lit à baldaquin dans lequel elle avait dormi et paniquée, se contorsionna pour considérer les ailes dans son dos. Mais elle ne vit rien.

Elle s'approcha de la psyché qui trônait au fond de la pièce et se tourna afin d'observer ses omoplates. Deux fines cicatrices longeaient le pourtour de ses os saillants. Niniel ne comprenait pas. Elle avait dix-huit ans aujourd'hui, ses ailes auraient dû se déployer à son réveil pour ne plus jamais la quitter. Se pouvait-il que cette promesse d'éternité ne se réalise que sur les Terres Éphémères ?

Un coup frappé à la porte la sortit de ses réflexions. Auguste entra.

  • Bien dormi ?

Il s'approcha pour lui déposer un chaste baiser avant de reprendre :

  • Je pars à la chasse. Fais comme chez toi.

Il lui sourit tendrement et la laissa, seule au milieu de ses questionnements. Lorsqu'elle eut la certitude qu'Auguste avait quitté le domaine, elle rejoignit la forêt et arriva au bord du ruisseau. S'assurant que personne ne l'observait, elle traversa le cours d'eau et grimpa dans l'arbre dont une des longues branches l'emmena au bord de la crevasse qui lui permettait d'entrer et sortir des falaises.

Ruy l'attendait. Niniel s'approcha de lui et lui emboita le pas lorsqu'il s'avança pour remonter à la surface. La fée hésita à poser le pied sur l'escalier de pierre. Voulait-elle vraiment de ces ailes à tout jamais ? Était-elle prête à renoncer à Auguste maintenant qu'elle avait la certitude de son amour ?

À regret, elle fit demi-tour, sous le regard attristé de son compagnon.

  • Je ne peux pas Ryu ! J'aime ces Terres plus que tout mais je crois en l'Humain. Je crois que nos destins peuvent s'unir et je ferai tout mon possible pour que cela arrive. Ne m'en veux pas ! Veille sur elles pour moi.

Elle ponctua ses mots d'une caresse sur le sommet de la tête de son ami et les yeux embués posa son front tout contre le sien. Dans un dernier regard perlé de tristesse, elle quitta l'antre et retourna au château.

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