Chapitre 14 :
Hyde Park, Boston, Massachusetts
Fox :
Le silence baigne mon salon. Un silence qui, pour une fois, m'apporte la quiétude. À travers la fenêtre, les lumières de la ville resplendissent tandis que mon appartement est plongé dans une semi-obscurité. Si habituellement je passe mes nuits à observer les clichés lugubres qui jonchent la pièce et à décortiquer des comptes-rendus de diverses professionnels, ce soir, je profite du calme qu'apporte la présence de mon John Doe endormi sur mon lit. Son parfum s'est imprégné sur les murs ou plus probablement insinué en moi jusqu'à me faire vaciller. L'arôme particulier de sa peau, boisé et musqué, mêlé à une odeur plus âcre et entêtante. Celle du sang imbibé sur ses vêtements et marqué sur son épiderme hâlé. La peur ne m'a pas étreint en imaginant la scène potentiellement meurtrière qui s'est jouée pour qu'il se retrouve dans cet état. Non, c'est un soulagement immense qui m'a enlacé en le découvrant sur le pas de ma porte après une absence qui m'a laissé au bord de l'agonie.
Je peine à comprendre où s'est dissimulé mon instinct de survie. Il s'est volatilisé depuis son apparition, comme effacé, balayé par un désir viscéral qui me lacère les entrailles. J'ai pourtant parfaitement conscience du danger qu'il représente, je n'ai aucun doute que ses activités – autant professionnelles que personnelles – font froid dans le dos mais je ne parviens pas à m'alarmer. Je traque un détraqué mental depuis deux ans et un autre depuis quelques semaines avec la police de Boston, je sais ce qu'une personne comme Adone est capable de faire. Voilà pourquoi je peine à comprendre ma façon d'agir. Est-ce mon obsession pour cette envie de crever qui me pousse dans ses bras ou une attraction plus vile encore, un besoin malsain de son regard abyssal sur ma peau d'un blanc maladif ?
Malgré son emprise, ses bras puissants autour de mon corps, je n'ai pas trouvé le sommeil. Je suis alerte, trop survolté, excité par sa peau contre la mienne. Mon pouls ne semble pas vouloir se calmer tout comme mon érection qui tente de percer le tissu de mon caleçon. Je me sens comme un adolescent en rut, un sombre crétin aux hormones en ébullition. C'est à la fois dégradant et revigorant. Je n'ai pas perdu de ma vigueur ni de mon ardeur malgré mon besoin de douleur. Cette envie brutale de punition, ce désir de pénitence qui me rendent aussi instable qu'insensible.
Le vibreur de son portable posé sur la table basse s'élève pour la cinquième fois en l'espace d'une demi-heure. Ma curiosité mal placée m'a poussé à jeter un œil sur l'écran au bout du troisième appel. Un W s'affiche en guise de nom dans le répertoire et les coups de fils incessants me font me poser des questions. Qui est cette mystérieuse personne et pourquoi n'a-t'elle pas le droit à plus qu'une simple lettre ? J'aimerais traverser l'appartement afin de lui jeter son téléphone au visage et d'exiger des réponses mais je ne suis personne pour en quémander. J'ignore toujours qui il est véritablement et même si mon esprit abruti lui a offert une confiance aveugle sans qu'il ne la mérite, je ne suis pas en position de faire des crises de jalousies futiles. L'insistance de l'émetteur me tape sur les nerfs et l'envie de décrocher me titille le bout des doigts. Je récupère le portable en tapant des pieds alors que l'écran s'assombrit. S'il sonne une énième fois, je ne suis pas certain de résister à la tentation de hurler dans le micro pour faire comprendre à ce fauteur de trouble qu'il m'emmerde prodigieusement. En attendant le prochain coup de téléphone, j'entreprends un rangement rapide de mon salon qui ressemble davantage à une salle mortuaire qu'à une pièce à vivre chaleureuse. Je range mes dossiers, entasse les photos de cadavres dans un tiroirs et retourne le tableau blanc afin de dissimuler mes potentielles preuves à utiliser pour creuser les pistes obscures qui me rongent l'âme et la raison.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'enquiert Adone que je n'ai pas entendu approcher. Pourquoi tu ne dors pas ?
Sa voix à l'accent chantant me fait trembler alors que son souffle chaud s'échoue sur mon oreille. Ses mains glissent sur mon buste jusqu'à mon ventre pour me plaquer contre son torse. Un baiser effleure ma joue puis ses lèvres évoluent lentement jusqu'à ma tempe.
— Comment tu fais pour être si discret ? lâché-je à bout de souffle.
Sa présence à elle seule me met dans tous mes états. Comment une telle chose est ne serait-ce qu'imaginable ? Mon cœur s'emballe puis s'enraie. L'engrenage rouillé grince si puissamment que chaque battement résonne à mes oreilles.
— L'instinct de survie.
Sa réponse plus que vague me ferait presque lever les yeux au ciel si sa paume qui parcourt mon aine ne me faisait pas doucement vaciller.
— Ton téléphone n'arrête pas de vibrer, tu m'as l'air vachement demandé, marmonné-je sur le ton du reproche.
— Tu n'as pas répondu à ma question. Qu'est-ce que tu fais à moitié nu dans le salon au milieu de la nuit ?
— Tu ne réponds jamais aux miennes et je suis chez moi au cas où tu l'aurais oublié.
Il recule de quelques pas et me laisse enfin l'occasion de le détailler alors qu'il s'incline afin de récupérer son portable. Il observe l'écran à peine une seconde avant de le glisser dans la poche de son pantalon qui retombe négligeament sur ses hanches puis s'approche à nouveau de moi.
Ses mains m'obligent à lui faire face en maintenant fermement ma taille. Nos torses nus se heurtent alors que son regard, partiellement caché par ses boucles obscures, foudroie le mien. Son visage, encore embrumé par le sommeil qui l'a fraîchement quitté, est absolument divin. Il a la beauté d'un dieu et l'obscurité d'un poison dont le remède reste encore inconnu. Il représente, à mes yeux, le paradoxe de la belladone. La baie est juteuse et sucrée, elle attire par sa saveur douce et sa couleur appétissante en étant pourtant fatale pour celui qui aurait l'audace de la goûter.
— Comment cela pourrait arriver ? murmure-t-il en m'obligeant à reculer. Ta présence est partout et me rend fou.
Il m'accule, me pousse jusqu'au mur en me dominant de toute sa hauteur. Un gémissement de douleur m'échappe quand mon dos rencontre la surface en béton ciré. Il est si prêt que chaque partie de son corps écrase le mien. Sa cuisse glisse entre les miennes, m'incite à écarter les jambes tandis qu'un couinement s'élève lorsqu'il empoigne mes cheveux afin d'approcher mon visage du sien.
— J'ai envie de te baiser, susurre-t-il sans aucune gêne. De te retourner paumes contre le mur et de te pénétrer si fort que tu sentiras ma présence pendant des jours.
Une brûlure vivace me traverse et se loge essentiellement à mon entrejambe et partiellement sur mon visage probablement cramoisi.
— Qu'est-ce qui t'en empêche cette fois ? l'interrogé-je en un souffle. J'ai été sage, j'ai patiemment attendu ta venue en omettant de me faire fourrer par le premier passant.
— Je le sais, opine-t-il avec fierté. J'ai toujours un œil sur toi, Volpe bianca, alors embrasse-moi.
Je me hisse sur la pointe des pieds, sans chercher à réguler ma respiration chaotique, et écrase ma bouche contre le sienne en un râle de contentement. Ses baisers sont aussi bons que dévastateurs.
Ma belladone.
Mon poison à l'arôme exquis de la déchéance.
Peut-être, aussi, de la dépendance.
Il me dévore, mord mes lèvres si fort qu'un goût métallique se mêle à nos salives. Un grognement remonte ma gorge et s'échoue sur sa langue.
— C'est si bon, soupire-t-il à l'orée de mon visage. Quel drôle de sort tu m'as lancé ?
— C'est toi qui m'a ensorcelé.
Mes paumes glissent sur son torse recouvert de nombreuses cicatrices. Sa peau est un parchemin que j'aimerais déchiffrer. Les entailles sont profondes et semblent, pour certaines, avoir mal guerries. Ses doigts agrippent mes cheveux tandis que je me penche pour déposer mes lèvres sur son buste. Je le parsème de baisers humides, lèche son épiderme qui frémit plus glisse à genoux sur le parquet.
Son regard me transperce, un sourire carnassier étire ses lèvres tandis que j'effleure l'élastique de son vêtement.
— Tu t'aventures sur une terre dangereuse, me prévient-il.
Son regard sombre est magnifique lorsqu'il s'enflamme comme un feu crépitant dans l'âtre un matin d'hiver. Je glisse lentement mes doigts sous la ceinture de son pantalon que je baisse en emportant son boxer dans un geste brutal.
Fière, son érection se dresse sous mes yeux jusqu'à caresser ma joue. La peau brûlante et veloutée de son sexe me rend fébrile au point que ma vue se brouille le temps d'une interminable seconde.
— J'aime le danger, réponds-je en un souffle, surtout lorsque c'est avec toi que je joue.
— Les flammes de l'Enfer te tueront, cuore mio¹.
— Comme l'attente de te toucher.
Je dépose un baiser sur son extrémité humide sans lui laisser le temps de répondre. Un spasme le secoue alors qu'un grondement remonte sa gorge. Ma tête est désormais prise en étau entre ses paumes, son regard sombre semble crépiter lorsqu'il happe le mien. J'inspire profondément puis ouvre la bouche afin de l'avaler. Son membre bute au fond de ma gorge et me fait écarquiller les yeux de stupeur. Le coup de rein qu'il vient d'asséner m'a coupé le souffle.
— Dio, ne t'arrête pas, gronde-t-il en allant et venant dans ma bouche.
Son sexe heurte mon palais, mes dents le malmènent parfois mais les râles puissants qui lui échappent me font trembler. Mes ongles s'enfoncent dans ses cuisses alors que j'encaisse sans me plaindre les assauts bestiaux qu'il m'offre. Ses yeux se révulsent tandis que les miens laissent couler des traînées humides. Son pouce recueille une larme sur ma joue puis glisse jusqu'à mes lèvres qui l'accueillent avec détermination.
— Ne pleure pas, c'est ce que tu voulais !
Je tente d'acquiescer sans parvenir à bouger, sa poigne sur mon visage est trop ferme, délicieuse finalement. J'ai espéré ce moment, rêvé cet instant tellement de fois, sans jamais réussir à l'imaginer avec tant d'intensité et de bonheur éblouissant. Son regard percute à nouveau le mien, faisant palpiter mon propre plaisir qui peine et hurle de rester en retrait.
— Vas-y, touche-toi, m'encourage-t-il d'une voix qui me fait vriller. Tu attends que ça, regarde ça, cuore mio, tu es à ça d'exploser.
Je ne me fais pas prier, glisse mon caleçon sous mes fesses et empoigne mon érection avec félicité. Le soulagement m'envahit alors que je mime la cadence d'Adone. Mon poing coulisse sur mon sexe au rythme de ses hanches qui s'affolent. Mon sang pulse, brûle dans mes veines alors que je m'approche de l'extase.
Des coulées de salives s'égarent sur mon menton, ma respiration est hachée, aussi lourde que celle de ma Belladone qui se crispe sous l'effort. Ses muscles se bandent tandis qu'il pince les lèvres. Il fronce les sourcils, ses traits se durcissent et je m'interroge sur ce qui semble l'agacer jusqu'à ce que l'une de ses mains me délaisse pour attraper le téléphone dans la poche de son pantalon. Son mouvement vers l'avant m'a étouffé un instant puis son membre s'est gentiment calmé, donnant des coups plus mesurés.
— Je suis occupé, fratello, grince-t-il après avoir plaqué le portable à son oreille.
Nos regards se verrouillent. Le sien, tempétueux, fait battre mon cœur par saccades enragées. Excité à l'idée que son interlocuteur puisse comprendre ce qu'il se passe, je me caresse plus vigoureusement, laissant échapper des râles bridés par les assauts d'Adone.
— Je suis disponible pour une seule personne cette nuit, articule-t-il les mâchoires serrées, et ce n'est pas toi.
La chaleur qui se répand en moi m'oppresse, l'orgasme afflue alors qu'Adone se retire doucement de ma bouche pour se masturber près de mon visage. Ses joues sont joliment rosies alors que les miennes doivent être écarlates. Ma gorge est douloureuse, tout comme ma mâchoire et ma langue mais le goût divin de son sexe me brutlisant est trop plaisant pour que je songe à me plaindre.
— Je serai là. Maintenant oublie-moi jusqu'à demain dix heures, j'ai mieux à faire.
Adone inspire profondément en laissant tomber le téléphone sur le sol. Je l'observe, subjugué par sa beauté alors que son visage se tire en une expression de pur plaisir. Un râle guttural résonne à mes oreilles qui bourdonnent alors qu'il éjacule sur mon visage en relâchant tous ses muscles. Sa semence chaude s'échoue sur ma peau et m'achève en un soupir d'agonie. Mon orgasme est puissant, si dévastateur que je tombe sur les fesses, hébété et pourtant qu'à moitié comblé. J'aimerais qu'il glisse sous ma peau, que son âme et la mienne ne font qu'une. Je le désire au point de m'aliéner, de succomber à l'impensable et l'inimaginable.
Les bras de mon John Doe m'enlacent, son odeur boisée enivre mes sens alors qu'il me plaque contre son torse. Cotonneux, je me laisse porter en profitant pleinement de sa présence.
— Je brûlerai le monde pour toi, murmure-t-il contre mes lèvres souillées de son plaisir. Tu ignores dans quel bourbier tu t'es fourré.
— Je peux mourir pour un moment comme celui-ci.
Son sourire, bien que sombre, me désarme. Ses pensées sont impures, je le ressens dans sa façon de m'admirer mais je suis bien trop empêtré pour m'en inquiéter.
— C'était qui ? m'enquiers-je en scellant mes cuisses autour de sa taille.
— Mon patron.
J'acquiesce en bloquant les questions qui menacent de surgir. J'ai besoin de réponses en étant pourtant persuadé que rien ne me séparera de lui. Pas même l'horreur et l'immoral.
— Tu m'as manqué, avoué-je soudainement ému au point d'en chialer. Je ne peux pas me l'expliquer, je ne sais pas ce qui ne tourne pas rond chez moi, mais tu m'as manqué si fort que j'ai eu envie de crever.
— J'ai toujours été là.
— Ne reste plus neuf jours sans me donner de nouvelles !
— Et huit, je peux ?
— Ta gueule, Adone ! Je vais finir par te frapper.
Un rire franc secoue sa poitrine et immole mon âme d'un feu qui s'apparente grandement à un sentiment d'amour.
— Promesso, Volpe bianca.
¹ Cuore mio : mon cœur

Annotations