La porte

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Le manoir de tante Hilda était vraiment immense. Trois étages avec plus d’une centaine de pièces, remplis presque entièrement de livres. Contes, philosophie, sciences… Ce n’était pas un endroit où vivre mais une gigantesque bibliothèque. Si nous avions au moins eu le droit de lire.

« Je vous INTERDIS de toucher à mes trésors. Que ce soit bien clair : le premier que je vois avec un de mes livres ira dormir aux écuries ! »

Tel a été le mot de bienvenue de tante Hilda : une femme d’un âge incertain, vieille fille, aigrie, engoncée dans son châle violet qu’elle semble ne jamais vouloir quitter. Nos parents sont en instance de divorce, maman a décidé de venir vivre ici, dans ce manoir froid et glauque, avec ma petite sœur et moi-même, le temps de trouver mieux, qu’elle disait. Cela fait maintenant trois semaines que nous sommes ici. J’ai perdu trois semaines de mes vacances d’été : pour un adolescent de 14 ans, c'est toute une vie !

L’été a fui le manoir de tante Hilda : ici, il fait sombre même à midi, le temps est toujours pluvieux et le brouillard semble s’être accroché aux murs. Pour occuper ma petite sœur, nous avons commencé des parties de cache-cache mais tante Hilda nous l’a formellement interdit. A croire que ce mot est son préféré : interdit de toucher à ses livres, interdit de jouer, interdit de crier… interdit, interdit, interdit ! Léane n’ose pas aller dans le jardin : il lui fait peur.

Elle se renferme sur elle-même de plus en plus. Le divorce n’était pas une nouvelle très réjouissante, le déménagement encore moins. A présent, elle ne peut même plus jouer ni rire. J’ai toujours été doué pour inventer des histoires : pour passer le temps je lui en raconte le plus possible. Tout est bon pour lui redonner le sourire, même pour quelques secondes.

Un jour où Léane était particulièrement morose, je lui proposais une partie de cache-cache.

- Mais tante Hilda ne veut pas !

- Ecoute, on n’a qu’à ajouter une règle : tante Hilda ne doit pas nous trouver non plus sinon on a perdu !

- Oui ! Bonne idée !

La partie commença. Ce fut la dernière fois que je vis ma petite sœur.

Nous l’avons cherché partout : dans les pièces, derrière les coffres, les armoires… Introuvable. Ma mère, déjà abattue par la séparation, était inconsolable. Je sombrais moi-même dans une sorte d’apoplexie. D’abord le divorce, puis le manoir de tante Hilda maintenant la disparition de ma sœur. Je me sentais affreusement coupable : peut-être que si je n’avais pas proposé cette partie de cache-cache…

- Nii-chan… Nii-Chan…

- Léane ? Léane où es-tu ?

- Nii-chan… viens jouer avec moi…

La voix venait de derrière une énorme double porte en bois sculptée de nombreux petits chérubins avec des visages plus ou moins effrayants. Je m’approchais…

- Alex ! NON ! hurla tante Hilda. Ne t’approche surtout pas de cette porte ! Jamais !

- Mais … mais… tante Hilda… Léane… Léane est…, lui expliquai-je en sanglotant.

- Non… c’est impossible… elle n’a pas pu… »

Ce fut la première fois que je voyais tante Hilda éprouver un sentiment et c’était… de la peur. Plus tard, elle m’expliquait que je ne dois absolument pas m’approcher de cette porte, et ce quoique j’entende. Elle me l’a fait promettre. J’ai trouvé cela bizarre mais du moment que ma tante était rassurée et qu’elle me laissait tranquille, j’étais prêt à lui dire n’importe quoi. Si ma sœur se trouvait derrière cette porte, je la retrouverai !

Le soir venu, je décidais de partir à la recherche de cette porte. Tout le monde dormait, le manoir était encore plus silencieux que d’habitude, ce qui n’était pas pour me rassurer. J’ai arpenté tous les étages en vain, impossible de la retrouver. Sur le point d’abandonner, j’entendis Léane m’appeler :

- Nii-chan, Nii-chan…

Je suivais donc le son de sa voix. Au détour d’un couloir, l’énorme porte sculptée apparut devant moi : les chérubins semblaient me regarder et me faire non de la tête, la bouche grande ouverte dans un cri silencieux.

- Nii-chan… viens jouer avec moi… viens…

J’ai posé ma main sur la poignée de porte, elle s’ouvrit sans faire le moindre bruit… J’entrais dans la pièce d’un noir profond…

Sur la porte, près du visage d’une petite fille, apparut celui d’un adolescent de 14 ans que l’on ne revit jamais.

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