Mily (Fin)

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- Booonnnjjjooouuurrr mmmaaadddaaammmmeeee !

Je ne peux retenir un sourire lorsque j’entends le ton désespérément lent de Joyce. Cela fait maintenant un peu plus de cinq mois qu’il s’est engagé. Et un peu plus de six que Giovanni est parti. On se texte parfois. Sans plus. Il me manque atrocement. Mon cœur se serre à chaque fois que je pense à lui. Je me retourne péniblement vers Joyce et il manque de s’étouffer lorsqu’il aperçoit mon ventre.

- Madame Mily ! Vous jardinez encore dans votre état !

Et oui. Je suis enceinte de sept mois. Mon ventre est énorme. Dès que j’ai appris ma grossesse, je me suis effondrée. J’étais seule et Giovanni était parti depuis trois semaines. Je ne lui ai rien dit. Je ne sais même pas s’il s’est marié ou pas… Ma crevette et moi, on s’en sortira très bien ! Après tout, son père est un soldat et sa mère une battante : elle ne peut qu’être forte !

J’ai déménagé : j’ai troqué mon petit appartement pour une petite maison avec un jardin. La terre me détend depuis que je suis enceinte : je passe mes journées à planter des fleurs !

- Salut Joyce ! Entre ! Tu n’es plus mon élève aujourd’hui.

Il s’approche doucement et me prend par la taille afin de me ramener à ma chaise longue. Je suis essoufflée et en nage. Vive les hormones !

- Quel bon vent t’amène ?

- Je voulais remercier encore une fois celle qui a réussi à me faire changer ! Mais quelle surprise ! Le sergent-chef le sait ?

- Et qui te dit que c’est lui le père ?

- Pas de ça avec moi… J’avais bien compris qu'il se passait quelque chose entre vous…

Je souris. Évidemment que Joyce le savait.

- Non… Il ne le sait pas. Il a une femme tu te souviens ? je lui rappelle en baissant les yeux de honte.

- Mais quel abruti ! Il a une perle sous les yeux et il préfère jouer avec les cailloux…

Je ne peux m’empêcher de rire. Joyce est adorable. Nous passons le reste de l’après-midi à bavarder : il me raconte ses premiers pas au RSMA, son bizutage, ses bagarres. Joyce est resté Joyce avec un peu plus de maturité. Le voir me fait un bien fou. Je suis toujours autant seule. Vivement que ma crevette arrive.

- Je dois rentrer ou la capitaine va m’arracher les yeux.

- Joyce... promets-moi de ne rien lui dire. S’il te plaît.

- Je ne peux pas faire ça. Et puis même si je voulais lui raconter, je n’ai aucun contact avec lui. Nous ne sommes pas de la même compagnie, il soupire et me regarde droit dans les yeux. Mais bon je n’ai pas envie d’avoir un énorme bouton dans mon œil... Au revoir, Madame Mily ! Prenez bien soin de vous !

Sur ces mots, il se penche pour m’embrasser la joue avant de me faire un petit salut militaire et de partir. J’adore ce gamin. J’espère seulement qu’il saura tenir sa langue.

Peine perdue je crois… Bah on verra bien…

Il semblerait que finalement Joyce ait réussi à tenir sa langue. Cela fait maintenant un mois qu’on s’est vu. Je suis soulagée… Je ne veux pas que Giovanni revienne uniquement parce qu’il pense me devoir quelque chose…

Crevette est bien agitée ce soir… Elle n’arrête pas de gigoter. J’ai comme des barres dans le ventre comme si une ceinture me serrait de plus en plus. Ca ne peut pas être des contractions c’est encore trop tôt… Je suis allongée dans mon canapé devant une série.

Mon téléphone sonne. Un numéro que je ne connais pas… Je ne sais pas pourquoi mais je dois répondre.

- Allô ?

- Bonsoir belle demoiselle…

Mon cœur rate un battement. Giovanni. Non… J’espère que Joyce n’a rien dit ! Je vais le tuer sinon !

- Hello… Que me vaut ce plaisir, jeune homme ?

- Je m’étais dit que j’allais appeler une vieille amie pendant mon temps libre…

- Une vieille amie hein ? J’en suis flattée…

A ce moment précis, une douleur me prend aux tripes, j’ai l’impression que mon ventre va s’ouvrir de lui-même. Je serre les dents mais émet tout de même un petit son de douleur.

Non… C’est trop tôt…

- Tout va bien ?

- Mmmh… Oui, oui tout va bien merci… Et toi alors ?

- Ça peut aller… Mmmhh… Je voulais te dire une chose… En fait…

Une contraction. Énorme. Je ne m’y attendais pas… Je hurle ma douleur en me tordant sur mon canapé. C’est comme si une centaine de poignards m'attaquaient en même temps. J’en ai le souffle presque coupé. La porte d’entrée s’ouvre brusquement et Giovanni déboule dans mon salon. Il est là devant moi. Ses yeux s’arrondissent de surprise lorsqu’il me voit et sa bouche se décroche. En fait, je ne sais pas qui est le plus surpris des deux. Puis je réalise...

Oh seigneur ! Qu'est-ce qu’il fait là ? Je rêve ! C’est impossible !

- Mon dieu ! Mily ! Mais que… ?

- Gio… Giovanni ? Mais… que… que fais-tu ici ?

Nous parlons en même temps.

Crevette choisit ce moment-là pour percer la poche des eaux. Le liquide s’écoule sous nos yeux ébahis, accompagné d’un peu de sang. Une autre contraction me prend : la douleur est si forte que j’en pleure. Je serre contre ma bouche un coussin afin d’étouffer mon cri.

Giovanni se reprend et se place à côté de moi. Il m’installe : il ouvre le canapé lit et m’allonge un peu plus confortablement. Il place des coussins sous ma tête. Je suis en position semi-assise.

- Écarte les jambes.

Je me sens pudique tout à coup.

- Non.

- Ne dis pas n’importe quoi. Je connais très bien cette zone, rappelle-toi… Et puis… Ce n’est pas mon premier accouchement. Vas-y. Ouvre.

Je m’exécute de mauvaise grâce.

- Ton travail a commencé. Choisis : l’hôpital ou moi.

La contraction suivante lui donne sa réponse. Je ne retiens pas mon cri.

- Ça va être moi. Je vois la tête. Il va falloir pousser ma puce. Je sais que tu peux y arriver sans problèmes. Je suis là. Respire. Voilà c’est bien. Quand tu sens que la douleur arrive, n’hésite pas : crie, hurle et pousse en même temps.

La prochaine arrive : je la sens. Je serre les dents et m’apprête tant bien que mal à affronter la douleur. Je prends une grande inspiration. Ça y est : je pousse aussi bien que je le peux. Giovanni est là et m’encourage.

- Encore. Vas-y ma puce encore un effort. Tu vas y arriver !

Soudain, un cri retentit dans la pièce. Un pleur déchirant. Giovanni dépose une petite boule gluante sur ma poitrine. Le temps s’arrête. Ma fille. Notre fille. Elle se calme instantanément. Je prends ma chemise de nuit et essuie délicatement son visage. Elle ouvre lentement ses yeux… Ils sont bleu-vert. Exactement comme ceux de son père. Je verse des larmes de joie.

Giovanni dépose sa veste sur nous.

- L’ambulance arrive. Pourquoi Mily ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

- Et qui te dit qu’elle est à toi ?

Mon ton est sec, coupant. Mes larmes de joie se transforment en larmes de tristesse. Faut croire que mes hormones ne se sont pas encore tues… Je ne veux pas qu’il reste par obligation. Tout sauf ça. Crevette se met à pleurer.

- Chut ma puce, je lui susurre.

Elle frotte sa petite tête contre ma poitrine. Mes seins sont douloureux. Peut-être que… Je défais les boutons de ma chemise de nuit et sort mon sein. Elle s’y accroche comme si sa vie en dépendait. Le premier contact est douloureux : c’est comme si une pince m’enserrait le mamelon. Ses magnifiques yeux s’ouvrent et me fixent. C’est troublant...

- Seigneur… j’entends Giovanni, juste au-dessus de moi. Si j’avais eu un doute, à présent je n’en ai plus aucun…

- Nanni… Tu ne me dois rien d’accord ? Je ne l’ai pas gardée pour que tu t’occupes de nous… Simplement, je voulais garder ce petit morceau de nous, une petite partie de toi… ça y est voilà que je me mets à raconter n’importe quoi…

La sirène de l’ambulance retentit. Les médecins entrent et s’occupent de ma crevette et moi. Nous partons pour l’hôpital. Sans Giovanni.

Vers la fin de la nuit, je suis enfin dans ma chambre avec Mylianna. Nous avons passé tous les tests possibles et imaginables : nous sommes toutes deux en bonne santé, malgré le fait que j’ai accouché chez moi sans aucune assistance médicale. Je peux enfin fermer les yeux : ma puce a tété et est en sécurité, pour ma part je suis épuisée. Je m’endors d’un sommeil sans rêve.

Un petit cri enfantin me réveille. Je ne réalise pas tout de suite qu’il s’agit de Mylianna.

- Chut ma puce… Laisse maman dormir encore un peu… Là… Papa est là… chut…

Impossible… Je dois rêver… Nanni ne peut pas être là.

J’ouvre brusquement les yeux. Le spectacle qui s’offre à moi est époustouflant : Giovanni tient Mylianna dans ses bras et la berce doucement, essayant de la calmer.

- Je pense que j’ai quelque chose que tu n’as pas, jeune homme.

- Ah vraiment ? Et quoi ?

Je soulève un sourcil en lui indiquant mon énorme paire de seins. Il rit.

- Je n’ai pas d’autres choix que de capituler… Ces obus sont bien trop gros, même pour un militaire aguerri comme moi !

Il me tend la petite qui se met à avaler goulument son petit déjeuner. Je n’arrive pas à croire que j’ai réussi à faire une merveille pareille.

- Je l’ai quittée...

- Quoi ? Tu n’as pas…

- Laisse-moi finir ma phrase !

Je me tais mais n’en pense pas moins. Il n’avait pas à faire ça et je compte bien le lui dire. Je saurai parfaitement me débrouiller toute seule.

- Je l’ai quittée, il y a de cela bientôt six mois.

Ma surprise doit se voir sur mon visage car Giovanni peine à garder son sérieux.

- Après m’être envolé pour le Kenya, j’ai énormément réfléchi. Étais-je prêt à me marier avec elle tout en sachant que je n’aurais jamais d’enfant ? Ou alors… Étais-je prêt à abandonner ma carrière pour réaliser mon rêve ? Étais-je vraiment prêt à… à renoncer à toi ?

Je ne sais pas quoi dire… Il soulève son T-shirt et j’aperçois sur sa poitrine un bandage tout près de son cœur. Je suis soudainement prise de nausée. Je pose ma main sur ma bouche pour étouffer un sanglot.

- Une embuscade. J’avais la tête complètement ailleurs… Dans une certaine maison au toit rouge avec ses lambrequins blancs… sourit-il, un brin nostalgique. La balle m’a traversé de part en part. Heureusement, elle n’a touché aucun organe vital ni de veines importantes. Mais c’était un gros calibre et j’ai quand même perdu énormément de sang. Tout le temps où j’étais dans les vapes, un seul visage me retenait ici : le tien. J’avais l’impression d’entendre ton rire, de voir tes grimaces… Et c’est là que j’ai compris : c’était avec toi que je voulais être, l’autre ne comptait déjà plus…

- Nanni…

- Taratata… Je n’ai pas fini. Il m’a fallu presqu’un mois pour me remettre. Je ne savais pas comment reprendre contact avec toi… Je me sentais comme un lâche. J’ai donc décidé de bien faire les choses : tout d’abord je devais rompre mes fiançailles puis finir ma mission et enfin te retrouver. La première phase n’a pas été très facile : il faut dire qu’elle ne s’attendait pas à ce revirement. Elle a même voulu me faire du chantage… bref. C’est son père qui a mis fin à toute cette mascarade. J’étais soulagé, à vrai dire je ne l’aimais plus depuis déjà bien longtemps, simplement je restais avec elle par habitude…

- C’est horrible…

- N’est-ce pas ? Tant pour elle que pour moi d’ailleurs. Enfin… Il y a un mois… Je reçois un message de ce cher Joyce, me conseillant vivement de venir te retrouver parce que et je cite “vous lui manquez sergent-chef !”

- Il est mort.

Giovanni éclate de rire.

- Il avait juste oublié de préciser une chose.

Il se met à caresser la tête de Mylianna.

- Il ne te l’a pas dit ?

- Non. “Vous lui manquez sergent-chef !” avec ta nouvelle adresse était le seul texte de son message. Il ne m’a pas fallu plus. Dès que j’ai posé le pied à la Réunion, j’ai accouru à l’adresse qu’il m’avait laissée. La suite, tu la connais.

- Il n’empêche. Je vais au moins le blesser gravement !

- Tu es impossible…

- Et maintenant ?

Je suis obligée de poser la question. Il ne s’agit plus que de moi maintenant. Je dois protéger ma Mylianna et je ne supporterai pas une deuxième séparation : la première a été bien trop difficile. Giovanni me regarde : ses yeux passent de Mylianna à moi.

- Elle aura besoin d’un papa non ?

- Tu n’es pas obligé tu sais… Encore une fois tu ne me dois rien…

- Tu n’as toujours pas compris n’est-ce pas ?

Ses prunelles cherchent les miennes. Je voudrais éviter son regard, je sais que je m’y noierai et non je ne veux pas, je ne veux pas…

Il prend mon visage en coupe et m’embrasse. Ça y est je suis perdue…

- Je t’aime Mily.

J’ai un hoquet de surprise.

Il a dit quoi là ?

- Mmmh… au cas où que tu n’aurais pas compris… Je. T’aime. Il m’aura fallu du temps pour comprendre mais la réalité est là. Tu as pris une place énorme dans ma vie depuis que je t’ai rencontrée sur ce fameux parking du RSMA avec tes garnements.

Je ris doucement.

- Voilà c’est dit. Maintenant la décision t’appartient.

- Oui… je crois bien que Mylianna aura besoin d’un papa… et peut-être d’un petit frère…

Un sourire éclaire son visage.

- Et moi… moi j’ai aussi besoin de toi… pour être entière. Je t’aime aussi Nanni…

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