Ce matin...
Je me suis réveillée en larme avec l’image de Judd gravé à la rétine. Je ne l’avais plus rêvé depuis quelques mois, maintenant. Disons qu’il apparait quand mon cœur se resserre, que tout se casse la gueule à l’intérieur de moi. C’est toujours très subtil, les autres ne semblent pas le remarquer. Il n’y a que Judd qui me signale que ça ne va pas, que je suis sur le point de retomber dans une vilaine déprime. Celle avec qui on rentre sur le ring, mais contre qui on perd à coup sûr.
Normalement je ne devrais pas avoir le droit d’emmener mes rêves jusqu’à la frontière du réel, mais je le fais souvent quand il s’agit de Judd. Je veux comprendre ce qu’il me pointe du doigt. La raison pour laquelle je me sens lasse, trahie, impuissante quelques jours dans l’année.
Dans ce rêve, il me retirait des chaines entortillées à mes poignets. Nous nous trouvions dans une grotte avec quelques chaises autour de nous. Le mélange d’une classe de cour et la profondeur de mes méandres. Cette grotte c’est le lieu où ma bête intérieure hiberne, la bête que j’ai créé avec mes milles et une souffrances mentale. La bête à question. C’est comme ça que je l’appelle. La bête qui me retient toujours en arrière et qui me dit : « attends ! Regardons avant de nous précipiter. Et si c’n’était pas le bon choix ? N’est-ce pas mieux de rester dans un endroit que l’on connait, avec des gens dont nous avons l’habitude ? ». Dans le langage d’un professionnel, j’aurais eu droit à : « il faudrait sortir de sa zone de confort. ». Avec La bête, c’était le contraire. Mais, de quel confort parle-t-on ?
Je passe mon temps à me dire qu’il serait temps de quitter l’endroit et les gens que je connais. Je ne le fais jamais. Je n’ai pas le cran. Et je mets tout ça sur le compte d’une phrase qui me dégoûte : « C’est quelque chose que tu dois vivre pour le moment ! ».
Encore combien de temps ?
Judd…
Dans ce rêve, il m’a libéré. Comme souvent. J’ai attendu qu’il m’embrasse, les lèvres en avant. Oui, parce que dans mes rêves, nous sommes toujours en couple.
Je me suis réveillé. Il ne m’a pas embrassé. L’échec cuisant qui continu à me hanter.
Je me raconte qu’un jour, on parviendra à s’embrasser et que ce sera le début d’une vie nouvelle. Une vie que je tisse à l’intérieure de ma tête et que je ne partage avec personne. Ça rendrait mon entourage trop triste. Ils ne font pas parti du tableau. En fait, dans cette nouvelle vie, j’ai un sac sur le dos et une liste de tous les pays à visiter. Une sorte de road trip…
Dans mon tableau, il a moi et les amis que je me suis créée depuis toutes ses longues années de solitudes écrasantes.
Vivre par procuration à l’intérieure de sa tête, de ses mondes multiples, comme dans un multivers, c’est pas si mal. À moi seule, je suis dix milles mondes, tout autant de personnages… Je suis différente dans chacun des mondes que j’ai imaginés.
Chut ! Personne ne sait combien je suis malade. Il ne faut pas que ça s’ébruite. Sinon, je perdrais encore en crédibilité. Et en soi, qui ferait confiance à une aide à domicile frappa dingue pour s’occuper de personne pas très fraiche, carrément bancals ?
Personne !
On est d’accord. Alors, chut ! ça ne se dit pas. Vous le savez bien !
Encore amère par ce baiser manqué, je n’ai pas pu résister à l’envie de zieuter le compte facebook de Judd.
Les photos sont toujours les mêmes, mais ça me prouve que lui aussi a grandi. Il n’est pas l’adolescent bloqué dans ma tête. S’il savait que je le rêvais encore aujourd’hui, il me prendrait certainement pour une folle. Mais je ne pense pas qu’il soit un homme de lecture, ou alors je me fourvoie à son propos. Quelque part, ça me rassure qu’il existe, lui. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne liera jamais ce texte, contrairement à vous.
Parfois, je me demande si lui aussi ressentait un truc pour moi ou si nos regards se croisaient par pur hasard. Je me souviens l’avoir pris la main dans le sac à me mater, une ou deux fois en cours de travaux pratiques.
S’il l’avait fait plus de fois, alors je n’ai rien remarque. Il était plus discret que moi. Il faut dire que lorsque je regarde quelqu’un, c’est comme si je me trouvais devant une toile, et que j’en détaillais chaque forme, chaque courbe, chaque mouvement. Selon moi, ce n’était que pur curiosité de sa part. La confirmation que je passais mon temps à le fixer. En tout cas, il ne m’avait jamais dit d’arrêter. Pas une seule remarque. Rien.
Il en avait sans doute rien à saucer.
Tous les garçons et les filles qui m’ont un jour plu, n’ont jamais ressenti la même chose pour moi. Je ne suis jamais sortie avec mes crush… jamais.
J’ai toujours cédé face aux personnes qui me trouvaient à leur goût en me disant : « bah, c’est déjà ça. J’lui plais. Puis il ou elle a l’air sympas. ».
Je crois avoir toujours contemplé ce que je ne pouvais pas avoir. Je le fais encore. Ne serait-ce que le week-end dernier. Jérémy m’avait emmené faire les magasins pour trouver un cadeau pour un de ses potes. J’ai vu une super belle chemise, avec de beau carreau vert. Le tissu était parfait, la coupe, juste comme j’aimais. Bizarrement le prix m’a vite fait déchanter. Je ne suis pas fait pour avoir ce qu’il me plait. C’est incontestable. Même les fringues me narguent.
J’ai appris tôt à faire avec les moyens du bord et à m’en satisfaire. Je continue sur ma lancée. Me contenter de ce que la vie m’accorde. C’est déjà beaucoup… Plus que bien des âmes errants sur Terre.
Cependant, mon cœur s’enfonce dans une souffrance dont je n’arrive plus à me défaire. Elle est moi. Il m’arrive de ne même plus faire attention à elle. C’est une peau gluée à une autre. Un costume que je n’enlèverais peut-être jamais. J’aimerais que la vie soit plus simple, plus à l’écoute de mes émotions. Je suis importante pour moi-même, alors je veux le meilleur.
Je me tourne dans le lit. Les chiens m’entourent. Ils ne comprennent pas pourquoi je ne me lève pas. L’heure de la balade est passé, mais ils restent, certains que je me lèverai et que je les promènerai comme tous les jours.
Je le ferais. Pas dans l’immédiat. Mais je sortirai de mon lit et comme une poupée aux jambes de plombs, je monterai à la colline, la tête envahie de rêves inassouvies.
Judd.
Judd…
Pourquoi me sourire ? Pourquoi me libérer ? Si c’est pour me garder en sursis.
C’est plus fort que moi, je referme les yeux, même si je ne dors pas. Je le cherche dans un rêve que je construis à l’intérieur de la grotte avec ma bête. Evidement, toutes les tentatives pour remodeler son visage se solde par un échec. Il ne ressemble pas à Judd, mais à une contrefaçon foireuse. La réalité est trop présente. Il faudrait que je me rendorme pour avoir une chance de le retrouver. Mais c’est lui qui décide quand il apparait. Et moi qui doit patienter…

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