Enfant de Légende
L’épaisse couverture végétale ne pouvait désormais plus l’en dissimuler. Le chasseur savait qu’à présent, aucune ruse n’aurait pu l’extraire du guêpier dans lequel il s’était aventuré.
De toute son éternité, il avait cru que leur existence ne relevait que d’une légende anodine. Une histoire absurde que l’on conte aux enfants afin qu’ils ne s’enfoncent pas seuls dans une forêt un peu trop dense, un peu trop obscure. Une fable effrayante, uniquement destinée à décourager les plus téméraires d’entre les imprudents.
Mais à présent qu’elle se trouvait face à lui, bien plus véritable que quiconque aurait pu le prétendre, il comprit que dans le mythe reposait une part de justesse. Une part de réalité dont il ignorait la teneur exacte, dont il pouvait encore espérer qu’elle se trompait, qu’elle négligeait l’authentique vérité.
Celle qui se trouvait en face de lui, vaguement dissimulée par une épaisse couverture végétale, paraissait pourtant étonnamment fidèle aux contes pour enfants.
Une silhouette sans doute féminine, au teint basané et à la chevelure majestueuse. Membres fins, poitrine timide, stature peu imposante. Pour ainsi dire, une enfant. Une enfant, seulement couverte de légères branches florales disséminées çà et là autour de sa taille subtile ; décorée de quelques rayures verdâtres qui glissaient le long de son corps dénudé, depuis le sommet de son visage jusqu’à la base de ses chevilles.
Un visage jeune, pur, aux traits innocents ; pourtant bien loin de paraitre naïf.
Un visage ferme, tendu, alerte aux moindres détails de ce qui se déroulait autour de lui.
Un visage à la fois tout entier attentif à l’arc que l’enfant bandait dans la direction du chasseur.
Un arc d’une grande qualité, solidement maintenu par deux petites mains.
Deux petites mains parfaitement sûres d’elles, pleinement immobiles.
Pourtant le chasseur osait encore espérer que la légende que l’on racontait aux plus téméraires d’entre les imprudents avait trahi l’authentique vérité. Il osait encore espérer que cette enfant n’était en rien celle qui lui avait été dépeinte, bien qu’elle en arborât chacun des traits, chacune des attitudes.
Alors le chasseur détendit lentement la corde de l’arc, d’une qualité bien moindre, qu’il tenait entre ses propres mains. Mena doucement la pointe de sa flèche vers le sol terreux de l’épaisse forêt. Libéra l’une de ses paumes et la dressa calmement, prudemment, tendrement.
En un signe de paix.
Mais l’enfant ne cilla pas. Cette silhouette légère à l’apparence ingénue, angélique, paisible, semblait n’être que celle d’une sculpture de grès, d’une statuette que l’on aurait pu approcher sans crainte, observer sans frayeur, contempler sans malaise.
Une statuette qui, pourtant, s’anima. Si discrètement que le chasseur aurait pu ne pas même le percevoir.
Suffisamment, toutefois. Suffisamment pour qu’il comprenne.
Les doigts délicats de l’enfant détendirent leur emprise.
La corde de l’arc s’enfuit aussitôt, en un silence parfait, emportant avec elle une flèche de bois fabuleusement stable malgré la force considérable qui la balayait.
Une flèche plus rapide que le vent, plus précise que le fauve, plus cruelle que l’éclair.
Une flèche qui n’entendait que tuer.
Un éclair frappa le chasseur en plein centre, traversa sa chair et brisa son sternum avec une aisance saisissante.
Transperça son cœur en une foudroyante torture.
En un mouvement souple, furtif, l’enfant s’approcha du corps allongé sur le sol terreux de la forêt ; en dégagea la flèche par un geste vif, assuré.
Puis elle plongea son regard dans celui du chasseur.
Un regard céleste tant que diabolique, porté par deux petits yeux verts que n’altérait aucune émotion.
Un regard vide, pourtant si vivant.
Un regard qui refléta, l’espace d’un instant, la fine lame parfaitement affilée qu’elle glissait lentement le long de la gorge du chasseur.
Puis, le néant.
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