Chapitre 2/1

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"Inonde-moi de lumière, déchire le voile du temps, ouvre mon œil intérieur, mène-moi aux desseins des dieux, qu'ils soient ignobles où qu'ils soient quintessence. Alors, je méditerai la prophétie et l'annoncerai aux initiés."

Supplique rituelle de l'éclairé avant qu'il ne consomme de la "Scintillante"

*

Les mains croisées sur ses genoux, engoncée dans son mantelet de soie et sa contrariété, Dame Béada affichait un visage tendu, aux lèvres pincées. Sa fâcheuse humeur, le khôl qui bavait, et la couche de fard crayeux qui se craquelait, lui ôtaient toute joliesse. Zéïa, sa servante, se gardait bien de lui adresser la parole, car la cousine de l'imperator n'était pas avare de coups envers ses inférieurs. Ainsi, l'esclave se contenta de soulever le rideau et de jeter un œil hors du palanquin.

Les odeurs de la cohue populeuse l'assaillirent. Elle fronça le nez, mais les respira ; elle était ravie. Les parfums de fleurs, remugles de crottins, effluves cuisinières et senteurs de bois se mêlaient. Bruits, sons divers n'étaient pas en reste : crieurs publics, bonimenteurs, jurons de charretiers, rires, cris d'enfants, pleurs et gronderies.

Pour ce qui était de la vue, elle n'avait que celle d'un autre filanzane qui avançait à l'allure de la circulation citadine. Zéïa remarqua sa simplicité, ni armoiries, ni gravures, ni sculptures d'aucune sorte ne le parait. Un véhicule loué à trois lusols de l'heure à la portée de presque toutes les bourses, exceptés des indigents et autres va-nu-pieds.

La servante leva le regard sur le ciel. Le bleu et le gris s'en disputaient la dominance. Elle n'eut guère le temps de se perdre dans sa contemplation. La voix hautaine de la dame retentit. L'esclave s'empressa de refermer le rideau et de pivoter, tremblante et les yeux baissés vers sa maîtresse. Un double soufflet cuisant accueillit son mutisme, la peau d'albâtre se para d'écarlate, une diatribe sèche suivit :

— Pour qui te prends-tu ? Voilà que tu offres au tout-venant l'intimité de mon palanquin ?

Elle se garda bien de protester, laissa juste ses larmes brûler ses yeux, dévaler ses joues rougies de gifles. La Dame aboya :

— Cesse de pleurnicher, sinon, que les dieux m'en soient témoin, je te fais fouetter dès notre arrivée au palais !

L'esclave s'efforça d'obéir et courba l'échine. Dès lors Béada ne s'intéressa plus à elle et la vitesse du filanzane s'accrut sensiblement.

*

Il fallut un temps infini au noble véhicule pour se frayer un chemin dans les artères encombrées de la ville et parvenir aux pieds des enceintes entourant le domaine palatial. La chaise à porteurs les passa aisément. Toutefois, on vérifia l'identité de la dame avant le passage du dernier mur. Celui-ci dissimulait un jardin luxuriant.

Au cœur de cet écrin se dressait le joyau architectural de Jaïbah ; le palais, résidence de l'imperator, siège de la gouvernance et surtout vivier des intrigues de cour qui naissaient au coeur des cabinets ministeriel. Celles-ci circulaient tel un flot continu au gré d'oreilles courtisanes, traversaient les appartements colossaux, bruissaient dans les salles du trône, évoluaient au gré des bals et receptions, s'insinuaient dans les salons d'apparat. Cela ondoyait souvent au travers des bibliothèques, scriptoriums et autres bureaux. Le flux échouait enfin dans les harems du monarque et ses proches.

Dame Béada se mouvait sur ce fleuve pernicieux depuis toujours, en essayant de ne pas se laisser emporter où noyer.

Pour l'heure, son palanquin s'engagea sur une large allée pavée de marbre, veinée de vermeil et bordée de statues d'onyx étincelantes. Il continua jusqu'aux propylées richement ornementées où il s'arrêta. La dame, altière, descendit ; humble, la servante la suivit. Elles passèrent devant les vantaux précieux, farouchement gardés par des colosses vêtus d'étoffes chamarrées. Pour entrer dans le saint des saints, elles empruntèrent une issue discrète située à quelques mètres de la grande porte et dissimulée derrière un bosquet de palmiers pourprés.

Ainsi se glissèrent-elles dans un étroit passage pour se retrouver dans un couloir en pierres, aux murs rugueux et ponctués de torches ; il en émanait de fantomatiques halos. Leurs pas y résonnaient en échos. Comme toujours, il faisait froid dans cet endroit. Gelée par sa condition d'esclave et le port d'une simple robe de tissu gris, Zéïa claqua des dents. C'était insuffisant pour déambuler par les méandres venteux et humides du palais. Sa maîtresse, chaudement enveloppée de son mantel, n'avait ni regard, ni pensée pour elle. Peu lui importait, qu'elle tombe malade ou qu'elle meure ; son statut lui permettait de la remplacer selon ses besoins, ou plus souvent selon ses caprices. Aussi, quand elle l'entendit grelotter, Impitoyable elle lui jeta :

— Cesse immédiatement ce bruit, j'essaie de réfléchir !

— J'... ai...ffrroid...

— Hé bien, active-toi et secoue un peu ta mollesse ! Est-ce que je me plains, moi ?

L'esclave ne dit plus mot et s'efforça de dominer ses affres.

Le couloir monta en pente douce, puis louvoya avant de se muer insensiblement en escalier. Elles progressèrent vite, car, aussi abrupte soit-elle, la volée de marches se révéla brève. Une porte dérobée s'ouvrit, un seuil fut franchi.

Là commençait le domaine privé de Béada d'Obrin.

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