Chapitre 3/4

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Jaïbah - résidence de l'inquisiteur Laïk de Grey

Il s'éveilla en sursaut, le cœur battant et l'esprit en déroute. Son regard s'ouvrit sur la pénombre. Hagard, il oscilla quelques instants entre la réalité et un cauchemar épouvantable qui avait pétrifié son esprit abandonné au sommeil. Des bribes du songe, sans sens précis, s'accrochaient, pugnaces, à sa conscience. Il en ressentait une sorte d'urgence, mais sans parvenir à la définir.

Le religieux secoua la tête et porta son regard sur sa fenêtre. De celle-ci ne filtrait qu'un jour sombre, finissant et quelques rumeurs lointaines. Il se demanda quelle heure il pouvait être. Il avait rejoint son lit après avoir œuvré longtemps en compagnie d'Ishani. L'un et l'autre n'avaient pas ménagé leur peine pour parvenir à réparer les quelques bris de matériel, soigner les rares blessés et surtout rassurer la maisonnée. Ensuite, l'intendante, séance tenante, l'avait envoyé se reposer en milieu d'après-midi. Il s'était laissé tomber sur sa couche sans même se défaire un peu, et endormi immédiatement.

Un coup frappé à la porte l'éveilla tout à fait. Ishani entra en compagnie d'un serviteur portant un plateau abondamment garni de nourriture. Laïk se redressa et glissa hors du lit. L’esclave alla poser son chargement sur une table et s'éclipsa.

L'inquisiteur s'installa.

— Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il à la femme qui s'attardait.

— Les pillages ont pratiquement cessé, cependant nombre de hauts fonctionnaires de l'état et autres gens aisés ont déserté la ville, beaucoup d'esclaves se sont sauvés aussi. Toutefois, notre Imperator a promulgué un édit. Il est désormais interdit de quitter la cité sans raison impérative sous peine de déchéance ou même de mort. Les portes sont dorénavant étroitement gardées, plus personne ne risque de partir à l'improviste.

Laïk prit note de ces révélations qui ne le surprenaient pas vraiment. Il entama son repas avec appétit. Entre deux bouchées de volaille rôtie, il s'enquit encore :

— Qu'en est-il de l'église ?

Il but une gorgée de bière ambrée, tandis que le visage rubicond d'Ishani se fendait d'un sourire satisfait. Fervente croyante, elle se plut à répondre à l'inquisiteur :

— L'Église a pris les choses en main, rassurez-vous. Elle a ouvert grand ses portes pour les rares sinistrés et elle est à l'écoute des fidèles. C'est d'ailleurs un peu grâce à elle que les rapines ont pratiquement cessé, elle a mis ses moines guerriers au service de la cité.

Le visage de Laïk se para d'un vague rictus. C'est qu'il imaginait sans peine la contrariété du souverain contraint de s'en remettre au culte et qui avait sans doute compté, dans un premier temps, sur un affaiblissement du Temple. Cette idée galvanisa un peu plus son appétit. Il engloutit à la suite plusieurs pommes de terre fondantes et une bouchée de légumes croquants.

Une ombre passa soudain sur son esprit, ses épais sourcils se froncèrent, il posa ses couverts. Cette image, bien que brève, avait suffi à l'inquiéter. Issue de son rêve, elle dévastait sa relative tranquillité. Une sensation familière le bousculait, mais il n'arrivait pas à l'identifier. Il poussa son plateau en soupirant.

— Vous ne mangez pas plus ? s'étonna Ishani.

— Cela me suffira pour l'instant.

Il quitta sa chaise sur ces mots et gagna sa table de toilette. L'intendante se contenta de cette réponse, débarrassa et emporta les restes. Laïk se rinça le visage et les mains, puis ôta sa bure tachée. Ishani revint à cet instant, et, avec dévouement, l'aida à se changer. Quand il fut prêt, il décida d'aller rendre visite à ses frères inquisiteurs. La plupart d'entre eux, contrairement à lui résidait à l'intérieur d'un bâtiment vaste, confortable, mais discret, construit près des remparts et que tous appelaient l'abbaye.

Il fit part de ses intentions à Ishani. Elle en prit note avant de lui délivrer un conseil :

— Veillez, Père Laïk, à vous faire accompagner d'un de nos hommes. En principe, les rues, grâce aux moines guerriers et la garde impériale, sont sûres. Néanmoins les événements ont sans doute agité les esprits des gens, certains par cupidité ou désespoir pourraient s'en prendre à vous.

— C'est entendu, mais ne vous inquiétez pas, l'abbaye n'est pas si loin.

Il sortit sur ces mots. L'intendante soucieuse fronça les sourcils. Enfin, elle secoua la tête, rangea un peu la chambre de l'inquisiteur et à son tour la quitta.

*

Un géant au crâne rasé, à la large carrure, solidement vêtu de cuir épais et armé d'une massue, escortait Laïk de Grey. Ainsi, ils déambulaient par les rues calmement. Depuis leur départ, tous deux n’avaient pas rencontré âme qui vive. Il fallait dire qu’une nuit épaisse, sans étoiles et sans lune, était tombée sur la cité. Déjà, en temps ordinaire, la majorité des gens ne se risquait pas à sortir après le coucher du soleil, cela se vérifiait d'autant plus à présent. Le séisme inopiné qui avait frappé Jaïbah renforçait cette prudence.

Des ombres sépia s'étiraient et s'élargissaient, enténébrant les contours des maisons, les voies de circulation et la moindre ruelle. Le bruit des pas du religieux résonnait en écho sur les pavés inégaux, l'air était tiède, chargé d'effluves fétides et de dangers latents. L'ambiance était moins que tranquillisante. Cette fois, le religieux avait décidé de se rendre à pied chez ses frères. Bien qu'accompagné, il le regrettait presque à présent. Une odeur plus forte, aux relents de poisson pourri et d'aigre urine, le taquina désagréablement, il fronça le nez. Son garde du corps, alerté affirma sa prise sur son arme.

Un frisson involontaire parcourut l'échine de l’inquisiteur. Un son rapide, bref et soyeux brisa le silence. Le colosse s'effondra comme une masse, le crâne fendu tel un œuf par une hache d'acier. Laïk n'eut pas le temps de fuir, encore moins de revenir de sa stupeur. Il fut assailli de toutes parts, renversé sur le sol, piétiné, par une horde d'agresseurs dont il n'eut pas le temps de voir les visages. Il tenta d'appeler à l'aide, un coup violent lui fut asséné sur l'arrière de la tête. Il plongea alors dans une inconscience cotonneuse…

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