Chapitre 4/2

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L'entrée de Laïk dans le palais fût conquérante, son statut lui ouvrait toutes les portes ; qui oserait les fermer à un inquisiteur ?

Un majordome à la livrée chamarée le guida avec égard voire obséquiosité au travers d'une enfilade de couloirs successifs éclairés de candélabres d'argent. Vinrent des salons déserts à la décoration ostentatoire, des jardins intérieurs riches de plantes exotiques et de volières opalines où des prisonniers se morfondaient ; aucun ne chantait. Cette apathie semblait affadir le polychrome de leurs plumes et assombrir l'air déjà alourdi de silence.

— Depuis la colère de la terre, on ne les entend plus., se crut obligé de dire le serviteur au religieux.

Ils continuèrent sur une galerie monumentale surmontée d'un dôme richement orné de motifs picturaux. Puis, ils passèrent sur un secteur nettement plus sévère ; ce court périple se termina sur ces quelques pièces austères. Ils arrivaient.

On ne manqua pas de l'inviter à s'asseoir dans l'antichambre jouxtant le bureau du souverain. Cela ne gêna pas l'inquisiteur, mieux, il comprenait. Après tout, lakïkan IV avait toutes les raisons de rappeler qu'il était l'Imperator et le premier financier de l'Église obscure. Le faire attendre restait une manière assez subtile de reprendre la main.

Ceci dit, l'Abbé lui avait signifié, en le déposant devant les murailles, qu'il l'enverrait chercher sans trop tarder, donc qu'il devait faire diligence pour obtenir quelques réponses de Dame d'Obrin.

Alors qu'il réfléchissait à ce timing assez court, imposé par son supérieur, le premier secrétaire l'introduisit auprès du Suprême. Il réalisa qu'il n'avait pas vraiment eut le temps de penser à une stratégie. Il allait devoir laisser parler son instinct.

*

Les gongs de la porte grincèrent ; l'Imperator leva la tête. Lui apparut alors l'Inquisiteur et sa mise si caractéristique, associée au claquement des semelles de bois sur le revêtement marbré d'or. Le souverain serra à peine les dents, s'efforça de sourire.

Il'avait de temps en temps croisé, notamment lors d'entretiens avec les trois factions de l'église obscure : l'Inquisition, le Temple, le Protectorat.

Au cours de ces rencontres, Laïk se tenait dans l'ombre de son abbé ; attentif, l'œil aux aguets, mais le plus souvent muet. Cela n'empêchait pas l'Imperator de savoir, qu'il était l'un des hommes les plus habiles, rusé et redoutable de son ordre, une sorte d'éminence grise en somme.

C'est avec une feinte assurance que l'Imperator l'accueillit. Tout souverain qu'il soit, lakïkan IV ressemblait à la majorité de ses contemporains ; il n'aimait pas avoir affaire à l'inquisition.

Malgré cela, il ne comptait pas céder un pouce de terrain à ce visiteur qui, il n'en doutait pas, venait l'entretenir de sa cousine. Mais il était prêt à protéger sa position, et celle de Béada.

Enfin dans la mesure du possible.

Cette pensée, totalement assumée, démontrait qu'au pire il était disposé à la livrer : le prix à payer pour préserver la couronne. Son espérance ? Ne pas être contraint d'en arriver là, mais comme il le pensait souvent, nécessité faisait loi.

Après les civilités, il désigna un tabouret ; un peu haut, étroit et de toute évidence inconfortable.

— Veuillez porter rapidement à notre connaissance les raisons de votre visite, Laïk de Grey.

Dédaignant le siège, l'arrivant fut tout aussi direct ; il n'avait pas de temps à perdre.

— Je souhaiterais m'entretenir avec Béada d'Obrin, votre cousine, majesté.

Le souverain resta de marbre, même si son angoisse monta en flèche. Laïk remarqua toutefois quelques gouttes de sueur couler sur les tempes scarifiées. Il se permit un léger sourire et cette parole :

— Je ne la retiendrai pas très longtemps, rassurez-vous.

— Je ne suis pas inquiet ! assura-t-il un peu trop vivement.

Puis, il contempla le visiteur. Iakïkan réalisa d'emblée, qu'il n'avait pas vraiment envie de batailler. Il savait qu'avec l'Inquisition, la prudence devenait le maitre-mot ; ne pas chercher à noyer le poisson.

À quoi bon tergiverser ?

Il était décidément trop fatigué ! Il cilla, hocha la tête et agita une clochette au son aigrelet. Son premier secrétaire surgit dans la pièce. L'imperator ordonna :

— Veuillez faire en sorte que l'Inquisiteur de Grey soit conduit auprès de Lady d'Obrin.

Laïk inclina la tête.

— Merci, Majesté. Je ferai diligence afin de ne pas ennuyer plus de temps qu'il ne faut votre noble parente.

— Ma parente n'a actuellement aucune obligation urgente. Je présume que votre venue ne pourra que la réjouir.

Le ton était égal, mais le religieux perçut le sarcasme. Il ne le releva pas, se contenta de sourire, de saluer le souverain et de se retirer. Dès la porte refermée, Iakïkan se détendit. Bien que vaguement inquiet de ce que pourrait dire Béada, il n’avait aussi noté aucune menace sous-jacente chez l'inquisiteur. De plus, il savait qu'il était venu seul, sans escorte. Cela, voulait-il dire pour autant qu'il n'y aurait pas d'arrestation de la part de l'inquisition, ni d'interrogatoire musclé ? Il n'en était pas persuadé, mais au moins, pensait-il, cela ne se ferait pas ce jour-là. C'était du temps de gagné.

Remettons-nous en aux divinités !

Cette espérance exprimée, in petto, il retourna à son ouvrage, en se disant qu'il saurait bien assez tôt ce qu'il en ressortirait.

*

Béada fut totalement prise au dépourvu quand lui fut annoncée la visite de l'inquisiteur. Elle n'ignorait pas que s'il était là, prêt à l'interroger, forcément son cousin avait donné aval.

On ne peut décidément pas compter sur la famille !

Cependant, elle n'était pas naïve au point d'oublier que refuser une demande de l'Inquisition comportait des risques.

Sans doute n'a-t-il pas eu vraiment le choix.

Autre pensée qui précéda la décision suivante : répondre à toutes les questions de ce visiteur, sans couvrir personne, et certainement pas le frère de l'Imperator. Une réponse en forme de pied de nez à Iakïkan, pour se venger de l'avoir empêché de quitter le palais.

Ainsi, d'un pas décidé, elle abandonna sa terrasse, sa méridienne et ses loukoums, rinça ses doigts et son visage poisseux et se porta, l’air altier, au-devant de Laïk de Grey.

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