Les ombres du passé

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Marielle, accompagnée de ce vieil homme finalement plutôt vaillant monta dans le train Paris-Bruxelles. Son téléphone n'arrêtait pas de sonner ou d'afficher un énième message inquiet de son père auquel elle répondait vaguement. Rien ne servait de rentrer dans les détails. Cette enquête ne regardait qu'elle, se disait-elle. Léo avait aussi tenté de la joindre. Elle savait comme il était difficile de passer un coup de fil depuis la prison, mais elle ignora l'appel. Jamais Léo ne l'aurait soutenue dans cette démarche. D'ailleurs à part leur week-end en amoureux qui s'était terminé lamentablement par une virée au Casino de la Baule, elle n'était jamais partie de Paris.

Rien ne lui ferait regretter ce qu'elle était en train de faire. Une fois assise, elle observa son curieux partenaire en train de mordre avec énergie dans son sandwich bas de gamme. Elle n'avait pas faim. Ses pensées étaient toutes tournées vers ce qu'elle allait découvrir.

  • Mademoiselle, commença Romain, il faut manger, sinon vous allez avoir un malaise, regardez-vous, vous devez peser à peine cinquante kilos. Si c'est pas malheureux, cette jeunesse d'aujourd'hui.
  • Écoutez, ce n'est pas la peine de me faire la morale, je me gère depuis mes huit ans, alors vous savez, les conseils des autres, je m'en fous un peu, dit-elle sur un ton qu'elle aurait voulu moins dur.
  • Ne vous offusquez pas, je n'ai pas eu d'enfant, alors je ne sais pas trop comment m'y prendre avec vous.

Elle se radoucit un peu.

  • Je vous remercie d'être venu avec moi. Que ferons-nous en arrivant ?
  • Nous irons voir un pote à moi, il est déjà au courant que j'arrive. Les réseaux de prostitution sont un peu sa spécialité. Il a dû sauver environ dix filles dans toute sa carrière, mais il en est très fier.
  • Je comprends, cela doit être difficile de les approcher discrètement.
  • Vous allez vous mettre sur le trottoir comme les autres, annonça-t-il. On va réussir, vous verrez.
  • Sur le trottoir ?, dit-elle horrifiée par cette proposition saugrenue.
  • C'est le seul moyen. Dans ma valise, j'ai un micro et une caméra à vision nocturne. Un équipement dernier cri qui a déjà fait ses preuves.
  • Vous pensez que cela suffira ? On n'est même pas armé, s'étrangla-t-elle.

Elle avait dit les derniers mots d'une voix forte, ce qui ne manqua pas d'intriguer leurs proches voisins hissés sur les tabourets hauts du wagon-restaurant.

  • Règle numéro deux : toujours parler à demi-mots et si possible dans un langage codé.
  • Désolée, je n'ai pas été formée à la police, moi, je suis danseuse. Et la règle numéro trois ?
  • Faire confiance à celui qui vous propose son aide.

Elle sourit malgré elle.

  • Tout de même, je ne vous connais que depuis quelques heures.
  • C'est vrai, mais vous devez apprendre à croire ce que vous disent les gens plus expérimentés que vous. Je suis peut-être vieux, mais je peux encore vous être utile. Et votre histoire me touche. Vous êtes fiancée, mariée ?
  • Rien de tout cela. Ma vie sentimentale est compliquée, je préfère ne pas aborder le sujet.

Elle croisa les bras dans une attitude défensive. Il n'insista pas.

  • Bruxelles, Bruxelles, arrivée en gare dans trois minutes, annonça l'homme au micro.

L'agitation se fit soudain dans le compartiment. Elle se retrouvait dans une grande ville inconnue. Dire qu'elle pensait s'y rendre seule. Elle pensa soudain que si Léo la voyait en ce moment aux côtés d'un flic, cela ne le ferait pas rire.

Ils se rendirent dans un hôtel proche de la gare. Ils y déposèrent leur valise. Romain , le policier qui désormais l'accompagnerait partout ou presque, l'emmena pour une virée shopping dans les rues bondées de la capitale.

— Passez ça, dit-il une fois installé sur le siège devant la cabine d'essayage du magasin "OH LA LA" qui portait bien son nom.

Il lui tendit une mini robe rose moulante à fines bretelles et décolletée dans le dos.

— Mais je ne suis pas une ..., commença-t-elle à dire.
Mais elle se rendit compte que c'était précisément la tenue que devait arborer sa mère si elle faisait partie de ce réseau. Honteuse, elle prit le vêtement et l'enfila. Elle se sentait mal à l'aise, pas à sa place. Mais cela valait certainement le sacrifice. Elle voulait savoir, le flic avait raison, il fallait infiltrer le réseau. Elle se conditionna pour obéir à ce que dirait cet homme, encore un qui lui dirait quels seraient ses faits et gestes. Elle reprendrait sa liberté quand tout cela serait fini.

La pile d'habits qui s'amoncelait sur le comptoir devant les yeux ébahis de la vendeuse, qui mâchait outrancièrement un chewing-gum, devait avoisiner les cent euros.
— Qui va payer tout ça ? , s'inquiéta-t-elle.
Il balaya d'une main ses inquiétudes.
— Frais de service pour mon collègue belge. Grâce à nous, il va relancer des cold cases.

Elle n'insista pas. Ils rapportèrent les tenues dans la chambre d'hôtel, des bas et des escarpins complétèrent le tout. Il appela son ami flic qui leur donna rendez-vous pour dîner. Marielle n'avait pas envie de se retrouver au milieu d'une conversation entre deux flics qui évoqueraient à coup sûr leurs souvenirs de traques. Elle ne voulait pas perdre de temps.

Ils le rejoignirent dans un quartier animé de la ville. Malgré ses cheveux blancs, il avait une allure sportive et dynamique. Elle le trouva d'emblée sympathique. Ils s'attablèrent tous les trois, loin des autres clients, pour leur permettre de discuter de l'affaire sans témoin. Ils commandèrent des tapas.

— Alors, il faut savoir que les filles ne sont pas si nombreuses, il n' y a qu'un réseau mais très actif et protégé par des personnalités politiques belges. Votre affaire remonte à une vingtaine d'années, alors, à mon avis, si votre mère est toujours vivante, elle s'occupe des filles qui débutent. Ce soir, vous monterez à l'arrière de la voiture, en tenue aguicheuse, un sac en bandoulière. N'oubliez pas de sourire. Vous ferez celle qui ne sait pas trop où tapiner, qui n'a pas de souteneur. Il faut montrer la photo de votre mère à toutes les filles, le plus discrètement possible. Il est probable qu'au bout d'une heure, vous serez repérée par les maquereaux. Il ne faudra pas traîner, vous fuirez au plus vite, car ils cherchent toujours des nouvelles et vous correspondez au profil. On va vous équiper d'un micro. Dès que vous nous donnerez le signal, on viendra vous chercher. Le but, c'est de glaner le maximum d'informations. Quand on l'aura trouvée, on avisera. Il faudra des papiers en règle pour la faire sortir du pays. Vous avez des questions ?

— À quelle heure on doit être dans la rue ?
— Minuit.

Ils finirent leur café et se séparèrent, elle n'avait que peu de temps pour se préparer, les réverbères éclairèrent tout à coup la rue devenue sombre. Elle remonta le col de son blouson. Elle avait la bouche sèche, inquiète à l'idée de troquer son jean contre une robe aussi sexy. Elle faisait confiance au copain de Romain. Il n'avait plus parlé depuis le rendez-vous au café, il réfléchissait et notait sur un carnet tout ce qu'il avait à faire. La tension était palpable.

Elle se rendit dans la salle de bain. Elle prit soin de mettre un rouge à lèvres rouge vif, de l'eye liner noir, de façon à ce que cela la vieillisse. Elle se regarda longuement dans le miroir pour se donner du courage. Qui aurait cru qu'un jour elle se rendrait en Belgique dans l'espoir de revoir sa mère ?

Elle passa enfin la tenue que Romain lui avait choisie. Il la regarda d'un air très sérieux. Il lui tapa sur l'épaule amicalement.

— C'est bien ce que vous faites pour votre mère.

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