En planque

8 minutes de lecture

Avec ses deux acolytes, Romain et Fred, des policiers certes aguerris mais proches de la soixantaine, Marielle approcha de la gigantesque villa où se terraient Andres et, peut-être, sa mère. Elle avait hâte de savoir si elle s'y trouvait et de rentrer chez elle. S'improviser enquêtrice ne lui plaisait pas, son ventre ne supportait pas les coups de stress que cela engendrait. Elle n'arrivait pas à respirer, son estomac était noué. Elle puisa en elle toute la force qu'il lui était possible d'amasser et, surtout, fit son possible pour ne pas montrer ses tourments aux deux flics. Elle essayait de leur faire confiance. À vrai dire, elle n'avait pas le choix. Elle appréhendait la prochaine étape, car elle se doutait bien qu'is n'allaient pas rester à regarder la bâtisse sans agir.

Si c'était comme la veille, elle serait au courant au dernier moment de leur scénario, elle n'aurait pas le temps de réfléchir. Que manigançaient-ils tous les deux ? Ils avaient dû échanger des textos pendant qu'elle dormait. Elle aurait donné n'importe quoi pour en connaître la teneur. Ils allaient encore l'utiliser comme appât, elle en avait bien peur. Sinon comment s'introduire à l'intérieur en toute discrétion ?

Ils arrivèrent à pied après avoir garé la voiture plus loin. Elle se demandait comment atteindre sa mère, si jamais elle s'y trouvait. Ils repérèrent d'emblée les caméras postées aux quatre coins du portail gris en métal ouvragé, qui paraissait infranchissable. Elle poussa un soupir, moins discrètement que ce qu'elle aurait souhaité. Romain lui lança un regard noir.

Elle osa demander :

  • Que fait-on maintenant ?
  • On est en planque, ça veut dire, pas de bruit, on ouvre l'oeil...
  • On parle à demi-mots et si possible en langage codé, termina-t-elle, d'un air complice.

Personne ne la croirait quand elle raconterait ce qu'elle a fait à leurs côtés. Les planques, c'est bon pour les héros des films américains, pas pour Marielle, qui, au bout d'une heure, réitéra sa demande.

  • Et maintenant ?
  • On reste ici, on surveille les allées et venues, les habitudes des livreurs, on note les heures de sortie d'Andres. Tiens, le voilà.

Cachés derrière un muret de l'autre côté de la rue, ils purent avoir une vue dégagée sur l'intérieur du domaine, lorsque, dans un bruit assourdissant, les deux battants du portail s'ouvrirent de concert. Aussitôt, deux molosses jetèrent un coup d'oeil dans la rue pour s'assurer que personne ne s'y trouvait, firent un signe au chauffeur qui s'engagea dans la rue. Les vitres teintées de la grosse berline noire les empêchèrent d'apercevoir le fameux Andres. Seule une main posée sur l'accoudoir avant confirma que c'était bien lui. Ses doigts étaient couverts de tatouages tribaux et l'annulaire droit manquait. Les signes distinctifs du caïd de la drogue.

Il était dix-huit heures. Cela faisait dix heures qu'ils étaient immobiles, le yeux rivés sur la propriété. Romain et Fred chuchotaient et semblaient s'agiter, leurs avis concernant la suite ne semblaient pas concorder. La nuit allait tomber, c'était certainement le moment propice pour tenter quelque chose.

Romain et Fred hochèrent la tête en se regardant, confiants pour la suite des opérations. Marielle commençait à trembler un peu. Elle avala une aspirine qu'elle avait pensé à fourrer dans son sac au cas où. Son télépone vibra. Romain, furieux, lui intima l'ordre de l'éteindre.

  • Je commence à avoir des crampes, se plaignit-elle.
  • Ça tombe bien, on va bouger. Tenez-vous prête.
  • C'est-à dire, que vais-je faire ?, l'interrogea-t-elle, inquiète.
  • Dans cinq minutes, l'intendante va sortir les poubelles, on va la bâillonner, lui mettre du formol sur la bouche. On va lui prendre ses habits. On la cachera dans la voiture, et vous, vous mettrez sa tenue. Et cela en moins de cinq minutes, sinon, on va attirer l'attention des gardes.

La panique s'empara de Marielle. Elle allait rentrer les poubelles, au vu et au su de tout le monde ? Vu les gabarits des vigiles entraperçus tout-à-l'heure, ses craintes étaient grandes. Et si jamais ils s'apercevaient qu'elle n'était pas l'intendante habituelle ?

  • Venez, on va se poster derrière le bosquet à gauche du poteau blanc, celui qui n'est pas dans l'axe des caméras, et surtout, pas un mot. Laissez-nous faire.

Ils entendirent un bruit de roulettes. Un portillon s'ouvrit, une femme d'une trentaine d'années, à la peau mate, les sourcils froncés, fit avancer le container non sans diffulté jusqu'au trottoir. D'un geste leste, Fred lui mit la main sur la bouche, lui appliqua un coton imbibé d'alcool sur le nez. Surprise, elle émit un souffle bref et s'écroula dans ses bras. Elle fut prestement déshabillée par les deux hommes.

Marielle observait la scène avec sidération. Elle était inquiète pour la femme, mais aussi pour elle. Comment prendre un air naturel ? Heureusement, leur allure était similaire, le subterfuge pourrait fonctionner. Elle passa les habits gris de la femme, noua un foulard dans ses cheveux, prit un air grave et écouta les derniers conseils de Fred avant d'entrer.

  • Toujours avoir l'air naturel. Vous ne regardez pas les vigiles, vous tracez tout droit jusqu'aux cuisines. Vous rangez le container et si vous trouvez votre mère vous la mettez dedans. Vous ressortez la poubelle, en prétextant la présence de nombreux déchets aujourdui. Ça ira, on va y arriver, dit-il d'un air confiant. J'espère que votre mère sera prête à vous suivre. Soyez convaincante. Vous avez un micro, dites-nous si quelque chose ne va pas. Quand vous serez dans la cuisine, prenez un couteau que vous mettrez dans votre poche. Respirez. C'est maintenant.

Il la poussa vers le container. Elle rentra en le faisant rouler, tout en observant discrètement autour d'elle. Les gardes étaient postés devant l'entrée de la maison. Elle rejoignit le côté du bâtiment, ayant repéré des caisses de livraison de fruits et légumes. Il n'y avait personne dans la cuisine. Il faudrait faire vite, le ou la cuisinière arriverait certainement dans les minutes suivantes pour préparer le repas du soir.

Marielle transpirait à grosses gouttes, alors que l'air frais attestait du début de soirée. Elle n'éclaira pas les lieux, désormais sombres, le soleil s'étant couché derrière la colline. Elle s'avança dans les couloirs déserts. Elle repéra un escalier qui menait à l'étage. Elle monta les marches quatre à quatre, inquiète d'être découverte. Elle préparait déjà des phrases dans sa tête pour justifier sa présence dans les lieux. "Je suis la fille de la cuisinière". "Elle m'a demandé de l'aider ce soir, elle ne se sent pas bien". Cela serait-il crédible ?

Elle atteignit des chambres vastes équipées de cheminées et de belles salles de bain aux vasques en marbre. Elle respira, et continua sa progression. Elle entendit quelqu'un pleurer. Elle s'approcha de la pièce d'où provenaient les sanglots. Elle vit une femme assise sur un lit, on ne voyait que sa chevelure. Elle était de dos, une robe informe recouvrait son corps maigre.

Elle pressait un mouchoir contre ses yeux, son regard était dirigé vers la fenêtre. Le coeur de Marielle battait la chamade. La femme portait un bracelet en or au poignet. Elle le reconnut. C"était celui de sa mère. Elle contourna le lit et lui fit face.

  • Maman, je suis venue te chercher. Vite, suis-moi.

Elle ne répondit pas. Elle était immobile et sans expression. Ses yeux étaient gonflés, ses mains tremblaient, elle était faible. Marielle, un peu décontenancée, n'attendit pas sa réponse. Sans un mot, elle prit son poignet et entreprit de dévaler l'escalier aussi vite qu'elle put. La maison était silencieuse. Elle ne vit personne. C'était une chance, le scénario se déroulait à merveille.

Par la fenêtre du salon, elle vit les molosses debout, à l'entrée, en train de discuter tout en fumant. Elle mit un doigt sur sa bouche pour intimer à sa mère de rester silencieuse. Elle approcha le container de l'entrée de la cuisine, y fit rentrer sa mère non sans difficulté et reprit le chemin de la sortie. Priant que les gardes ne seraient pas attirés par son manège, elle marcha aussi vite qu'elle put. Ceux-ci la suivirent du regard. L'un d'eux l'interpella :

  • Hey, tu as déjà sorti les poubelles, tu t'en souviens plus ?
  • Si, mais j'ai oublié les épluchures des légumes pour la soupe de ce soir, cela va sentir mauvais !
  • Ah, vas-y, dépêche-toi, notre patron n'aime pas voir les employées traîner, répondit-il d'un air moqueur tout en la reluquant.
  • Oui, monsieur.

Elle baissa la tête humblement et reprit sa marche. Il restait encore cent mètres. Ils lui parurent interminables. Elle ne parvenait pas à aller vite, le poids de sa mère freinant sa progression vers la sortie. Enfin, elle se retrouva dehors. Elle dit dans le micro :

  • Je suis sortie.

La voiture de Fred déboula devant elle. Ils firent sortir sa mère du container et l'allongèrent sur la banquette arrière. Marielle se serra contre elle. Inquiète, elle regarda par le pare-brise arrière. La berline noire revenait. Elle cria :

  • Vite, démarrez, il revient.

Le SUV partit en trombe, emmenant Marielle et sa mère. La jeune femme, sous le coup de l'émotion, pleura sans discontinuer jusqu'à l'hôtel. Elle resta dans la voiture. Fred alla chercher leurs affaires dans la chambre et redescendit aussitôt. Sa mère avait un air hagard, elle tenait à peine sur ses jambes. Une fois à la gare, Romain alla louer un siège roulant, ce qui lui permit d'emmener sa mère très discrètement et rapidement dans le compartiment réservé aux personne handicapées. Ils attendirent que Fred les rejoigne, muni des billets qui leur permettraient d'échapper à toute poursuite de la part d'Andres.

Ils avaient manqué de peu le chef de gang, leurs destins auraient été tout autres s'ils avaient été amenés à l'affronter. La chance avait été avec eux. Une fois assis, ils se regardèrent tous les trois sans un mot, soulagés. Au milieu de la foule, ils se conduisaient comme des voyageurs lambda, mais leurs yeux exprimaient les émotions diverses par lesquelles ils étaient passés depuis quelques heures.

  • Vous avez été formidables tous les deux, prononça enfin Marielle.

Sa mère dormait, visiblement épuisée, certainement droguée, incapable de réagir encore à ce qui venait d'arriver. Les retrouvailles prendraient du temps, Marielle en avait conscience. Les épreuves qu"elle avait traversées rendraient difficiles leurs relations. Il faudra certainement s'armer de patience et s'entourer de personnes compétentes pour la soigner.

Marielle ne cessait de la regarder. Elle portait ce bracelet que son père lui avait offert, ce soir-là, à Noël. Elle avait disparu le lendemain, sans crier gare et avait laissé sa fille chérie et son mari. Marielle s'adossa au siège. Que dira son père en la revoyant ? Elle imaginait l'émotion intense qu'elle allait lui procurer après toutes ces années sans aucun signe de vie. Désormais, elle se consacrerait à sa mère. Sa décision était prise. Elle le valait bien.

Annotations

Vous aimez lire cornelie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0