Mémoires d'un chat
Je suis un vieux matou, le dos voûté, paisible,
Le regard en velours, la patte encore habile.
J’ai vécu mille vies sous des toits différents,
Dans des foyers de rires ou d’amours déchirants.
J’étais tout jeune alors, une boule insoumise,
Quand je grimpais aux murs et dormais sous l’église.
Le monde m’était vaste, immense et parfumé,
Et chaque odeur du vent m’appelait à marcher.
Je courais sur les toits, prince des cheminées,
Chat voleur de clarté, d’ombres mal dessinées.
J’aimais la lune pleine et la pluie sur les tuiles,
Et le silence en or d’une ruelle tranquille.
J’ai connu tant d’humains, certains bons, d’autres las,
Des mains douces de femmes, des cris, parfois des pas
Qui fuyaient ma présence comme un mauvais présage,
Ou m’ouvraient un foyer comme on ouvre une cage.
Chez cette vieille dame au parfum de lilas,
J’ai dormi sur son sein, bercé par sa voix basse.
Elle parlait souvent à l’absence, au passé,
Et moi je ronronnais pour ne pas l’oublier.
J’ai veillé des enfants, posé sur leur fenêtre,
Gardien de leurs chagrins, des monstres et des lettres.
Le soir, je devenais leur secret confident,
Un chat, oui, mais l’ami de tous les survivants.
J’ai aimé une chatte, au pelage d’ébène,
Ses yeux d’or me guidaient dans l’ombre et la fontaine.
Nous avons partagé des hivers amoureux,
Des courses dans le foin, des chasses dans les cieux.
Puis un jour elle est partie, sans cri, sans un regard.
Je suis resté longtemps sous l’arbre du départ.
Depuis, je suis resté plus calme, plus discret,
Gardant son souvenir dans un vieux coin secret.
J’ai connu les saisons comme on lit un poème :
Le printemps m’éveillait aux parfums que j’aime,
L’été m’étendait nu, sur les pierres brûlantes,
Et l’automne me rendait philosophe et patiente.
L’hiver… ah l’hiver, je le sentais venir
Dans les os, dans la pluie, dans le moindre soupir.
Mais j’avais ma couverture, et mes songes anciens,
Et la flamme du feu qui dansait sur mes reins.
Maintenant je m’endors plus souvent qu’autrefois,
Mais dans mes vieux sommeils je redeviens le roi.
Je revis mes galops, mes bonds, mes aventures,
Et j’entends les souris rire dans les ramures.
Les humains me regardent avec un air attendri,
Ils pensent que je dors, mais je revis ma vie.
Je suis un vieux matou, et j’en suis bien content,
Car j’ai aimé, rêvé, chassé, vécu longtemps.
Alors si je m’éteins un matin sans frisson,
Ne pleurez pas pour moi : j’ai eu mille maisons.
Et dans chacune d’elles, un peu de moi demeure,
Un poil, une griffure, un miaulement à l’heure.
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