Gosthed - Ne t'approche pas de moi

11 minutes de lecture

Mais qui es-tu, toi ? Et que veux-tu ? Pourquoi au juste viens-tu me parler ?

Oui, on a de vagues connaissances en commun sur Facebook. Et alors ?

Oui, j’ai vu, tu as liké la plupart de mes photos. Rassure-toi, ton intention de me baiser est très claire. Je sens bien que tu as vu une chaise vide pour le poste de connard de l’année et que tu as voulu poser ta candidature de suite.

Ça te fait rire ? Tu penses que je me trompe ? Dis-moi alors : c’est quoi la suite ?

« L’avenir le dira, je me prends pas la tête »

Aaah… comme j’aime cette petite expression récurrente… « Je me prends pas la tête ». Je ne doute en effet pas une seconde que ta tête ne te servira pas à grand-chose. Eviter de réfléchir, c’est tellement plus commode dans certaines situations. Je sais, ce n’est pas ta faute si ton système sanguin a tendance à irriguer davantage le bas que le haut…

Allez, ne te fais pas de film, je vais te raconter précisément comment ça va se passer. Si si, tu vas voir. On va gagner du temps. Surtout moi.

Pour commencer, je t’intriguerai par mon attitude farouche et mes réparties cinglantes. Tu te demanderas si c’est du second degré, ça éveillera ta curiosité. La joute verbale t’excitera, tu chercheras à la provoquer. A me provoquer. Tu seras toujours à l’initiative des messages, je n’y répondrai qu’en dilettante. Mais je finirai toujours par répondre, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que balader un homme inconnu me semblera purifiant sur l’instant, au regard du mal qu’on m’a déjà fait.

Ensuite, tu te demanderas comment ça se fait qu’une femme qui a tout pour elle soit seule. D’ailleurs, tu me poseras la question, et ça me fera une occasion supplémentaire de t’envoyer promener. Tu chercheras à creuser, tu te diras que je suis sûrement une baisée de la vie mais tu y verras un challenge. Pas une envie de me sauver, non. Juste une manière de satisfaire ton ego en me faisant baisser ma garde.

Tu essayeras de me mettre en confiance et tu me raconteras qu’une femme t’a brisé le cœur. Tu chercheras à titiller mon empathie et, malgré moi, tu la réveilleras. Je compatirai et je me laisserai aller à quelques confidences aussi. Je te dirai que l’expérience m’a montré que les hommes, c’est pas des mecs bien. Tu te récrieras d’indignation, tu me diras qu’il y a quand même de beaux salopards, tu traiteras ces mecs de connards et tu me plaindras avec beaucoup trop de sollicitude. Tu me diras que le Graal existe forcément et qu’il ne faut pas abandonner la quête. Qu’il ne faut pas généraliser. Que tu n’es pas les autres et que tu tiens à ta singularité.

A ce moment-là, je serai convaincue à 95% que tu seras, évidemment, comme les autres, si ce n’est pire. Mais comme une vie sans espoir n’est pas une vie, et qu’il serait folie de rejeter toutes les roses parce qu’une seule (ou plusieurs…) vous a piqué, je me focaliserai sur les 5% restants. Je te donnerai ta chance. Et mon numéro.

Tu m’appelleras et tu adoreras ma voix. Tu me diras qu’elle est douce et apaisante. Tu me feras sortir de ma réserve petit à petit. Planquée derrière mon téléphone, je n’aurai aucun mal à être la femme que je suis pour ceux qui me connaissent réellement, drôle, spontanée, taquine, curieuse et bavarde. Tu riras.

Je te ferai beaucoup parler, et j’en apprendrai bien plus sur toi que je n’en dirai sur moi. Je n’aurai même pas besoin de poser beaucoup de questions. Ma douceur te mènera malgré toi à tout me révéler de ta vie, ou peu s’en faut. Tu finiras par t’en inquiéter. Je te rassurerai, je fais cet effet à tout le monde.

Tu auras du mal à raccrocher le téléphone, et on passera des soirées entières et des morceaux de nuits à se parler, sans se forcer. Et des journées entières à échanger des centaines de sms.

En apparence, je ferai comme si cette complicité naissante ne me surprenait pas, comme si ce n’était pas la première fois. Intérieurement, je me dirai que ce n’est pas habituel et assez troublant. Tu cocheras tellement de cases dans la liste de mes souhaits pour l’homme idéal… Tu me paraîtras irréel. Je commencerai à avoir un sourire idiot en lisant tes messages et je me sentirai impatiente de te lire, de te répondre, de t’entendre, de te parler. J’essayerai de garder la tête froide alors que dans mes membres commencera à irradier la même chaleur douce et confortable qu’une junkie ressent après son shoot.

En parallèle, je ressentirai déjà les premiers symptômes du manque, quand mon smartphone restera silencieux plus d’une heure. Cela m’inquiètera et ma voix intérieure me suppliera d’être prudente, de ne surtout pas m’emballer. Les blessures les plus fragiles se rouvrent si facilement… Je saurai alors que le seul moyen de calmer le jeu, ou de rentrer définitivement dans la partie, sera de te rencontrer en face à face. C’est moi qui te le proposerai, après avoir décliné à plusieurs reprises tes précédentes invitations.

Je te dirai que je suis nulle en premier rendez-vous, que j’ai du mal à dépasser ma timidité. Que je serai bien différente du téléphone. Qu’il me faudra du temps. Tu te voudras rassurant. Tu me diras que tu n’es nullement pressé. Que ça se passera bien. Que tu ne mords pas et que tu sauras me mettre à l’aise. Tu me laisseras choisir la date, le lieu, le cadre de la rencontre. Je choisirai un bar à vins que je connais bien, intimiste et calme un soir de semaine.

Tu seras ponctuel au rendez-vous. Et moi à peine en retard, bien sûr, pour ne pas te donner l’impression d’être trop fébrile. Tu ne sauras jamais le temps que j’ai mis à choisir ce que j’allais porter, à hésiter sur la coiffure ou le maquillage, pour finalement choisir de rester aussi naturelle que possible. Elégante sans être sophistiquée, décontractée sans être relâchée. Tu n’auras pas idée des fourmis que j’aurai dans les doigts, ni des papillons qui danseront dans mon ventre à la pensée d’enfin te faire face.

Je serais saisie par ton visage qui, un court instant, me semblera inconnu. Surtout par la couleur de tes yeux que j’aurai mal définie sur tes photos de profil en noir et blanc. Pendant quelques secondes, je resterai paralysée, à me demander si tu es bien l’homme qui fait battre mon cœur depuis tous ces jours. Ton sourire et ta voix balayeront mes doutes, à l’exception d’un seul : celui de ne pas te plaire, de ne pas te donner l’impression de retrouver en face à face la fille du téléphone.

Attablés devant un verre et quelques tapas, je te laisserai autant que possible trouver les sujets de conversation, le temps de m’habituer à cette sensation surréaliste de t’avoir en face de moi. Mille pensées se bousculeront dans ma tête, mais je les contiendrai toutes, par peur d’un débordement de mes mots et de mes émotions. Je te dévorerai des yeux pour mieux détourner le regard quand le tien plongera dans le mien avec insistance. Cette fossette discrète sous ta barbe de trois jours me semblera fascinante et attirante. Je ne verrai pas le temps passer.

Lorsque le gérant nous indiquera gentiment qu’il s’apprête à fermer, je paniquerai. Quoi ? Déjà ? Et maintenant ? Que devrai-je faire ? Quelle sera l’issue de ce premier rendez-vous ? Y en aura-t-il un deuxième ? Le juge de paix rendra-t-il aussitôt son verdict ?

A l’extérieur du bar, dans ce froid peu courant à en cette saison, je frotterai mes mains l’une contre l’autre pour les réchauffer. Tu me diras que tu as passé un agréable moment. Et tu proposeras de me raccompagner. J’aurai du mal à résister à ton sourire et à tes yeux où je verrai briller une lueur. Quelque chose qui se prêtera au jeu. Quelque chose qui me poussera à relever un défi. Quelque chose qui reflètera la complicité établie entre nous. Tu marcheras à mes côtés, ton coude frôlant le mien, ton épaule me taquinant gentiment. Je rirai à tes blagues. Ton regard cherchera le mien mais je l’éviterai, me mordillant les lèvres pour réfréner le début d’une douce envie.

Sur le pas de ma porte, mon cœur battra sourdement quand je m’avancerai soudain pour t’embrasser. Car oui, c’est bien moi qui ferai ce premier pas, pour tenter de libérer cet étau que je ressentirai dans ma poitrine. Le contact brûlant de tes lèvres, aussi avides que les miennes, me fera tourner la tête. La force de tes doigts s’emparant de mon visage et de ma nuque sera le catalyseur d’un désir explosif qui m’effraiera.

Pendant un quart de seconde, tu me sentiras hésiter. Je me rappellerai que les filles bien ne couchent pas le premier soir. Puis je me souviendrai que je ne suis pas une fille bien et que je n’en ai rien à foutre. Que ce serait hypocrite d’ignorer volontairement cette évidence entre nous et cet appel de nos corps. Que tu as largement eu le temps d’apprendre à connaître ma personnalité pour apprécier à sa juste valeur de découvrir mon corps. Tu ne marqueras aucune hésitation de ton côté lorsque je te proposerai d’entrer chez moi.

Tu allumeras un feu en moi. Et je me consumerai pour toi. Tu constateras que je ne suis pas de celles qui laissent leurs émotions aux vestiaires. Je suis de celles qui baisent jusqu’à l’âme. Je suis de celles qui font l’amour, si tant est que cela ait encore une signification de nos jours. Tu goûteras à ma passion sauvage, à ma tendresse sensuelle. Et je ne me refuserai rien. Ni d’être douce, ni d’être ardente. Ni de jouir, ni de te donner du plaisir. Ni de me blottir au creux de tes bras, tremblante et en sueur. Dans la pénombre de ma chambre, tu m’entendras rire contre ton torse, tentant de reprendre mon souffle. Tu caresseras mes cheveux en bataille tandis que j’écouterai les battements de ton cœur retrouver un rythme normal. Je me sentirai bien. Comme je ne l’ai pas été depuis longtemps.

Je me redresserai pour te proposer de me suivre sous la douche. C’est là que tu déclineras. Tu la prendras chez toi. D’ailleurs, se faisant tard, tu me diras que tu dois partir. Sans oser te retenir, te dire de rester encore un peu, je te dirai que je ne te mets pas dehors. Tu me répondras juste par un sourire. Je me souviendrai que les hommes libres peuvent partir à tout moment. Mais quelques fois ils restent...

Toi, tu ne resteras pas.

Tu ramasseras tes vêtements. Tu te rhabilleras dans un silence que je ne saurai rompre. Je m’enroulerai dans le drap pour me lever à mon tour et te raccompagner à la porte. Tu poseras tes lèvres sur les miennes en me remerciant pour la soirée. Avec un sourire, ce sourire qui détend le visage des femmes après l’amour, je te souhaiterai une bonne nuit en refermant la porte derrière toi. Sans savoir que ce sera la dernière fois de ma vie que je te reverrai.

Je prendrai une douche et me coucherai, épuisée. Je m’enroulerai dans les draps en souriant contre l’oreiller qui portera encore ton parfum. Sans savoir que ce sera la dernière fois de ma vie que je le sentirai de cette façon.

Dans les jours qui suivront, j’essayerai de débriefer de cette rencontre avec toi. De savoir ce que tu en as pensé et si tu as envie qu’on se revoit. Tu répondras, après un temps qui me semblera considérable, que tu es débordé de travail. Cela m’inquiètera, mais je ne le montrerai pas et tenterai de ne pas penser égoïstement qu’à moi. Je me raccrocherai désespérément à un chiffre : 5%. 5% de chances que tu ne sois pas un bâtard de plus, que tu aies le courage de me dire que ça n’ira pas plus loin. Je recevrai peut-être encore quelques messages les jours suivants, en réponse à ceux envoyés à mon initiative. Mais ils s’espaceront très rapidement. Et je n’entendrai plus jamais ta voix. Cette attente dans l’incertitude, au détriment d’une réponse claire et tranchante me sera insupportable. Je finirai par comprendre que l’affaire était pliée depuis ce moment où tu as décidé de fuir de chez moi.

Tu feras pire, oh oui, tellement pire que les précédents.

Ton silence et ta disparation sans explication seront la plus effroyable des tortures. Je n’en dormirai plus la nuit. Je prendrai conscience de l’importance du coup de cœur que j’avais eu pour toi. J’aurais le sentiment d’avoir grimpé haut et rapidement pour chuter tout aussi vite. Je me sentirai vide. Le manque me foutra le vertige et me tordra les entrailles. Je m’en rendrai malade. J’en pleurerai et je m’en voudrai de cette faiblesse.

Evidemment, je ne le montrerai à personne. Mon entourage ne verra rien, comme si « Je vais bien » avait toujours été tatoué sur ma peau. Intérieurement, j’errerai dans ce champ de ruines que les hommes prennent l’habitude de laisser après leur passage. Je me réfugierai dans les extrêmes, la solitude, enfermée à me ronger l’esprit et à me torturer inutilement les sangs, ou bien les sorties trop alcoolisées, puisque me mettre la tête à l’envers me soulagera temporairement de tous mes maux.

Dans ces délires dépressifs, je te remercierai intérieurement de m’avoir prouvé une fois de plus que vous êtes vraiment tous les mêmes. Je chercherai désespérément à comprendre pourquoi ça m’est arrivé, une fois de plus. Je me traiterai de conne. Au concours du manque de jugement, nul doute que j’aurais eu le premier prix. J’aurai le sentiment de ne pas mériter le respect et la franchise et cela viendra s’ajouter à d’autres cas similaires. Je me demanderai pourquoi, je chercherai ce qui cloche chez moi, sans arriver à me convaincre que le problème ne vient pas de moi, mais des hommes. Il me faudra du temps pour reprendre confiance en moi.

Alors je serrerai les poings. Je redresserai la tête. Je me rappellerai que je me drive très bien toute seule, que je ne suis pas une femme qui a besoin d’un homme, et que je dois être celle dont un homme a besoin. J’essuierai mes larmes et je balayerai les débris après la tempête. J’ajouterai une cicatrice de plus à celles que je porte en moi et que personne ne connait.

Mon sourire se transformera en une ligne dure et mon regard ne sera que méfiance à l’approche d’un de tes congénères. Ce qui ne m’aura pas tuée ne me rendra pas plus forte, mais plus farouche. Plus désagréable. Plus agressive. Je regarderai les futurs candidats potentiels avec encore plus de froideur.

Alors connards, à qui le tour maintenant ? Je ne suis pas un challenge à relever pour satisfaire un ego plus grand que vos sexes, ni un putain de centre de rééducation pour hommes mal élevés.

Voilà.

Ça te semble assez explicite ? Si ce programme te parle et que tu t’y retrouves, je te propose de me faire gagner du temps : ne t’approche pas de moi.

Notification de l’application : « Vous ne pouvez plus répondre à cette conversation, cet utilisateur vous a bloqué(e) ».

C’est bien, mon grand. Tu as compris.

Au suivant !

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