Chapitre 2 - Confusion

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Jérémy m’observe sans comprendre et je lui lance un regard énigmatique. Seuls Kenza et mon père sont au courant pour mon don. Etant donné son ouverture d’esprit elle n’a même pas été choquée par mes aveux et me croit sur parole.

Il m’a suffi de quelques secondes pour comprendre que mon ami est stressé. Ses émotions tourbillonnent violemment à l’intérieur de lui. Il détourne le regard quand je le dévisage, mon intuition me dit qu’il s’apprête à annoncer quelque chose d’important.

Nous entrons dans la salle de classe car nous avons les travaux en groupe à terminer. Je passe devant Mélanie qui enlace Bastien et me jette un regard mauvais tout en agitant ses longs cheveux blonds. Je l’ignore royalement et m’installe à côté de Kenza. J’ouvre mon agenda pour voir si j’ai cours en amphithéâtre. Je soupire car je vais passer deux heures à entendre des choses que j’ai déjà bossées la veille.

A la fin des cours Kenza et moi prenons le bus pour aller à la bibliothèque Jean d’Ormesson. Mon amie doit partir à cinq heures, moi je reste toujours jusqu’à la fermeture. Jérémy doit nous attendre à l’intérieur mais cette fois il est devant le bâtiment.

- Je dois te parler Emmy, m’informe-t-il un peu gêné.

Je crois savoir ce qu’il va me dire. Je fais signe à Kenza de partir devant et reporte mon attention sur Jérémy.

- Je ne vais pas passer par quatre chemins, avoue-t-il. Tu l’as peut-être remarqué mais cela fait longtemps que je suis amoureux de toi.

Ça y est, il s’est enfin déclaré. Cela a pris du temps mais il a eu le courage de me dire ce qu’il avait sur le cœur. Il me fixe un peu perdu. Je crois qu’il attend une réponse. Dois-je écouter mon cœur ou ma raison ?

- Je t’aime beaucoup Jérémy mais je te vois juste comme un ami. Crois-moi, une fille comme moi ne peut pas sortir avec un garçon comme toi.

Friendzone. J’ai finalement écouté mon cœur.

Le regard de mon ami change soudain. Il se voile d’une ombre. Il ne comprend pas et secoue la tête.

- On a tous des secrets Emmy, confesse-t-il. Le tien doit être bien sombre pour que tu sois si introvertie et mystérieuse.

Il se détourne et se fond dans la masse des passants. S’il connaissait mon secret, il disparaîtrait de ma vie aussi vite qu’il est arrivé.

Je rentre dans l’établissement et rejoins Kenza qui a déjà commencé à travailler. Je lui murmure quelques mots sur ce que Jérémy m’a dit puis clos la conversation. Cette fille est peut-être celle qui me comprend le mieux mais elle n’est pas comme moi. Elle ne peut pas imaginer ce que cela fait d’avoir un don. Je ne suis pas comme les autres parce que j’ai un pouvoir mais aussi parce que je ne pense pas comme eux. Sans mon don je serais sûrement une autre personne.

Je rentre chez moi épuisée. Je pose mon sac et je suis interpellée par la photo de ma mère qui se trouve sur mon bureau. Je la prends entre mes mains, mes doigts caressent le cadre rouge et je me laisse flotter dans mes souvenirs.

Ma mère Hilda était une femme calme et gentille. Elle est partie sans un mot. Mon père m’a dit qu’elle avait rencontré un Danois et qu’elle l’a suivi à Copenhague. Ma mère m’aimait et c’est pour cela que je trouve étrange qu’elle n’ait pas gardé contact avec moi. C’était une femme assez énigmatique, son départ est dû à bien plus qu’une simple rencontre. Malgré tout, je ne lui en veux plus, il faut que j’avance, cela ne va pas la faire revenir de chercher la vérité.

Pour oublier cette période sombre de ma vie, je me connecte sur Facebook avec mon ordinateur portable. Il y a peu de photos sur mon profil car j’ai été victime de harcèlement sur les réseaux sociaux au collège. Les élèves me traitaient de folle ; tantôt j’avais des crises de nerfs, tantôt des moments d’absence où je devenais un zombie. Quelques-uns de mes camarades faisaient des montages photos et m’humiliaient en public. Ceci m’a porté tort car je ne savais pas bien contrôler mon don. Aujourd’hui j’ai de moins en moins de crises mais j’ai quand même dû passer des tests psychiatriques dans mon adolescence et je suis devenue méfiante.

Afin de remonter mes énergies encore faibles, je reprends ma pierre restée dans le bol d’eau.

- Emmy on passe à table, hèle mon père à l’autre bout de la maison.

Malgré moi je romps le lien entre la pierre et moi. Je m’installe en face de mon père, légèrement irritée.

- Comment s’est passé ta journée ? se renseigne-t-il.

- Jérémy veut sortir avec moi, je déclare entre deux bouchées de petits pois.

Mon père et Kenza sont mes seuls confidents. Celui-ci hausse un sourcil intrigué.

- Donc tu as enfin un copain ! s’exclame-t-il heureux.

- Je t’arrête tout de suite avant que tu ne te fasses des films. J’ai refusé ses avances.

- Dommage c’est un bon garçon d’après ce que j’ai pu voir, rétorque mon père. Mais tu sais que je commence à m’inquiéter. A part lui et Kenza tu ne m’as jamais présenté qui que ce soit d’autre.

Je hausse les épaules et fait comprendre à mon père que cette conversation m’ennuie. Il n’insiste pas et engage une conversation sur le foot.

***

Ce matin, j’arrive dans l’amphithéâtre un peu en retard. C’est vendredi et tout le monde néglige cette journée, certains sèchent même les cours. Je m’assois discrètement à côté de Kenza qui écoute le cours sans grande attention. La place à côté de moi est vide. Jérémy doit sûrement m’en vouloir. Je savais que le refus de ses sentiments allait changer les choses entre nous. J’avoue que je suis un peu déçue.

Kenza me donne un coup de coude qui me fait subitement sortir de mes pensées.

- Ne t’inquiète pas pour lui, chuchote-t-elle comme si elle avait lu dans mon esprit. Jérémy est notre ami il ne va pas nous abandonner pour une histoire de cœur.

Elle dévie ses yeux du prof pour se concentrer sur moi. Ses lentilles jaunes renvoient une image féline donnant l’impression qu’elle peut lire vos secrets les plus sombres.

- Honnêtement je ne sais pas, j’avoue un peu perdue.

Tous les vendredis soir, Kenza, Jérémy et moi avons pour habitude d’aller au ciné ou au karaoké. Aujourd’hui, nous devons voir La guerre contre le temps un film de science-fiction. J’aimerais tellement que Jérémy vienne, il adore ce genre de film.

Je décide de lui envoyer un message avant que le cours ne finisse. Kenza jette discrètement un œil à ce que j’écris. Le pire c’est qu’elle pense que je ne la vois pas. Je me montre la plus convaincante possible en prenant soin d’utiliser les bons mots.

Quelques minutes plus tard l’écran de mon smartphone s’allume, signalant un message.

De Jérémy :

Ok je serai devant le ciné à 18h30

Un point pour moi dans la conquête de Jérémy !

Kenza rigole discrètement en me voyant sautiller sur mon siège. Je lui signale que c’est mal poli de lire les messages des autres. Elle m’envoie balader.

A la fin de la journée, Kenza et moi retrouvons Jérémy devant le cinéma. Il a la même attitude mollassonne et un regard peu assuré. Je suis plutôt soulagée que rien n’ait changé entre nous. Nous faisons la queue pour prendre nos tickets lorsque je sens un regard sur moi.

Je me retourne et aperçois un homme d’une vingtaine d’années me fixer. Malgré mes joues rouges, je soutiens son regard. Je me concentre sur lui et me laisse envahir par ses émotions. Il ressent une haine profonde, mais envers qui ? Ses sentiments sont assez instables. Mon intuition me dit que ce n’est pas quelqu’un de bien.

Il me sourit et je lui rends son sourire par pure politesse. Quelqu’un me tire violemment par le bras.

- Tu bouches le passage, s’exclame Kenza. La file a avancé.

Je murmure un mot d’excuse avant de prendre un ticket car c’est à notre tour. Nous prenons ensuite place dans la grande salle. Je suis assise entre Jérémy et Kenza. Cette dernière prétexte une envie pressante et se retire jusqu’aux toilettes, me laissant seule avec mon ami.

Nous ne parlons pas et je le dévisage comme si je le découvrais pour la première fois. Ses lunettes à monture noire mettent en valeur ses yeux bleus et ses cheveux bruns sont légèrement ébouriffés. Je dois avouer que Jérémy est un garçon simple mais beau. Je n’avais jamais remarqué cela auparavant. A son tour il me contemple avec des yeux pleins d’étoiles.

Nos visages se rapprochent, les lumières s’éteignent et nos lèvres s’effleurent. Jérémy m’embrasse doucement et je pose ma main sur sa joue. Je lui rends son baiser puis m’écarte comme électrocutée. La publicité a commencé et Kenza me lance un regard amusé avant de s’assoir. Je n’ose plus regarder mon ami dans les yeux. J’ai donné mon premier baiser à Jérémy et cela me gêne énormément car j’ai refusé ses avances la veille.

Je n’arrive pas à me concentrer sur le film et dès que les lumières s’allument je me précipite à la sortie. Je cours jusqu’à l’arrêt de bus situé à quelques pâtés de maison du cinéma. Par chance il arrive et je m’installe tout au fond après avoir montré ma carte au chauffeur.

J’envoie un message à Kenza pour la rassurer mais j’ignore Jérémy. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. J’ai eu envie de l’embrasser et je l’ai fait sans penser aux conséquences. Maintenant il va croire que j’ai des sentiments pour lui alors que non. Je suis moi-même perdue dans cette histoire et ne sais pas comment arranger les choses. Je ne pourrai pas l’éviter, il faut que je lui parle. Mon portable bipe plusieurs fois mais je ne regarde pas mes messages.

Quand le bus s’arrête à la station Montesquieu, je descends. Mon appartement se trouve à quelques pas de là. Encore bouleversée et le cœur battant, je ne serai tranquille qu’une fois dans mon lit. Cela ne sert à rien de me préparer un en-cas, j’ai l’appétit coupé.

Je grimpe au troisième étage et je vois que ma porte d’entrée est entrouverte. Mon cœur s’affole. Je pousse lentement la porte, les lumières sont allumées et la maison est sens dessus dessous. Les tiroirs et leur contenu sont renversés. Je suis inquiète pour mon père qui ne sort jamais le vendredi soir. Mais que s’est-il passé ici ? Je m’avance silencieusement jusqu’à la cuisine. Les souliers et le manteau de mon père sont toujours là, signe qu’il n’est pas parti.

J’appelle mon père d’une voix peu assurée. Un homme en tenue de combat noire, masqué et armé se dirige vers moi. J’extirpe précipitamment une bombe lacrymogène de mon sac à main.

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