Surprise !

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Comme prévu depuis longtemps, j'arrivais sur les lieux de mes méfaits en compagnie de mon groupe habituel et de Thomas, un des deux collègues qui m'avaient aidé lors de la première phase de conception. L'organisation de cette expédition remontait à des semaines et amener tout le monde ici relevait de l'exploit : nous étions dispersés aux quatre coins de la France. Mais pour voir mon boulot, mes amis avaient consenti à quelques heures de trajet, en échange d'un bon apéro.

Une fois garés sur le parking du site, nous descendîmes de nos voitures et enclenchâmes nos interfaces simultanément. La différence entre le réel et le virtuel arracha quelques commentaires impressionnés. J'avoue volontiers que, cédant à l’enthousiasme de ma mission, j'avais embelli au delà de son apparence médiévale le vieux château.

Nous étions six, le strict minimum pour espérer venir à bout de ce défi, et nous avions parmi nous un cinquantenaire et un cardiaque, ce qui n'arrangeait rien. Je laissais Kro, notre éternel leader, mener le groupe : je m'étais engagé à ne pas leur souffler quoi que ce soit à moins que nous soyons bloqués. Fort heureusement, nos personnages affichaient des statistiques légèrement supérieures aux recommandations et un équipement plus que correct.

D'instinct, notre chef trouva le deuxième meilleur point d'entrée. Je m'étais inspiré de la véritable histoire du château pour recréer une faiblesse de conception. Une fois infiltrés, nous attaquâmes notre exploration, parsemée de pièges et de gardes qu'il nous fallait neutraliser furtivement sous peine de faire apparaître des renforts.

— Dae, charge-toi de crocheter la serrure de cette porte pendant que Man et Whyst examinent le fond de la pièce, commanda Kro. Tom et Nosh, vous pouvez rester avec lui ? Moi je m'occupe du garde dans le couloir.

Chacun remplissait sa tâche lorsque ce qui devait arriver arriva : une patrouille nous tomba dessus. Le combat débuta.

En tant que paladin, je me devais d'aller à la mêlée et je savais que Whyst, qui incarnait un guerrier, me suivrait. Tom se chargeait de nous soigner, Kro et Nosh dispensaient leur dégâts à distance. Bref, les cac, les casters et le heal trouvaient naturellement leurs places. Je ne voyais Dae nulle part, mais incarnant une jeune voleuse, il pouvait disparaître dans le décor et fondre sur les ennemis imprudents. En l’occurrence, c'est ce qui nous sauva la mise car l'un des gardes tenta de fuir et sans l'intervention de notre discret complice, l'alarme aurait été déclenchée.

Je fus satisfait par notre première épreuve du feu. Très sincèrement, le Chevalier au Lion qui nous tomberait dessus un peu plus tard ne m'effrayait pas. Ce boss recelait quelques surprises, mais rien d'insurmontable pour notre équipe. Non, ce qui m'effrayait, c'était la suite. Le vrai Boss, avec un « B » majuscule.

Je me rappelais tandis que nous avancions dans un couloir le retour que j'avais eu par rapport à ma première session de travail : « C'est bien, mais voyez plus grand ! Nous fêtons le vingtième anniversaire du jeu. N'oubliez pas que nous sommes dans un monde fantastique;) ». Ce à quoi j'avais répondu, plein d'assurance : « Ne vous inquiétez pas, je suis déjà en relation avec les équipes qui m'aideront à mettre en place LE Boss de ce donjon. »

J'avais en effet eu une idée en repartant du site historique. En remontant dans la voiture, les ruines et les modélisations que j'imaginais se superposèrent, donnant naissance à un adversaire digne des lieux, digne de rendre hommage à ce château : la forteresse elle-même.

Aucun de mes compagnons ne savait que derrière le boss que nous nous apprêtions à affronter, s'en cachait un autre, plus terrible encore.

— J'aime pas du tout ce sourire que tu as sur ton visage de dangereux psychopathe Manou ! Qu'est-ce que tu nous cache ?

— Moi ? m'offusquais-je. Mais rien, voyons ! Puisque nous nous sommes mis d'accord : je ne révèle pas le contenu du donjon, pour pas gâcher le plaisir. Je respecte simplement notre arrangement.

Après une demi heure d'efforts, notre équipe parvint devant le Chevalier au Lion. Bien sûr, aucun de mes camarades ne manqua la référence à la série télé. Le bougre nous donna du fil à retordre et malgré quelques ratés, nous le vainquîmes de façon tout à fait honorable, quoique sur le fil, avec deux membres à ressusciter. Observant une vieille tradition dans le groupe, nous ne fouillâmes pas le corps tant que les deux morts ne furent pas ranimés. Mais lorsque ce fut fait...

— Quoi ? C'est tout ? s'insurgea Whyst, le plus râleur de la bande.

— De quoi tu te plains ? intervint Dae, sa voix jurant honteusement avec son apparence. Le type drope son bouclier qu'est genre deux fois mieux que le tien.

— Et une épée pour Manou, renchérit Nosh. Mais rien pour les casters. Je croyais que les donjons des vingt ans donnaient un loot à chaque membre d'un groupe ?

— C'est censé être le cas, lâcha Tom qui se grattait le menton avec son bâton virtuel. Ju... Euh, Man ?

— J'ai dit : je ne dirais rien.

— Putain, j'y crois pas ! C'est pas fini ?

Respectant alors les ordres de Kro, nous nous séparâmes en deux groupes pour chercher ce que nous avions oublié. Je me permettais simplement de dire que non, nous n'étions pas obligé d'aller dans le donjon à proprement parler. « Quatre euros l'entrée, faut pas abuser ! »

Je ne dis rien, mais Kro et moi nous connaissions trop bien pour qu'il ne remarque pas un je ne sais quoi qui l'aiguilla.

— Tous à l'entrée !

Grillé ! me dis-je intérieurement. Il ne leur avait pas fallut longtemps.

Arrivés à la sortie de la zone, ils ne furent pas complètement surpris d'entendre soudain des grondements et de sentir les implants musculaires simuler un tremblement de terre. Tous se retournèrent afin d'admirer mon chef d’œuvre : Château Gaillard se transformait. Les murailles grondaient, se soulevaient. Les pierres coulissaient et crissaient, le tout soulevant des tonnes de poussière. Une colonne massive, non, pas une colonne, un bras géant, fait de pierre s'abattit sur le sol, soulevant une gerbe de terre qui vint s'écraser sur nos avatars. Devant nous se dressait le vrai Boss du donjon, le donjon lui-même.

— Ben mon salaud...

— T'es sérieux ? Un château ? On doit se battre contre un putain de château ?

— Ouais ! affirmais-je fièrement. Mais si tu as peur, on peut fuir.

Avec un haussement d'épaule, Whyst chargea.

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