La divergence - 4

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Lequel t’a été le plus agréable ?

Mon manque de modestie dut-il en souffrir, ce n’est bien sûr pas le mien, que j’ai choisi afin de t’en révéler le moins possible sur moi.

Alors ? Celui dans lequel ton corps s’est reconnu, ou celui qui t’a permis de ressentir les sensations de l’autre sexe ?

Je t’ai fait vivre ces expériences parce que j’avais besoin de temps pour explorer ta mémoire. Cette curieuse chose qui emmagasine une quantité invraisemblable de souvenirs et connaissances.

Imagine-la comme un château. Attention pas le “Palais de la mémoire” ⁽¹⁾, technique de mémorisation chère à un “Hannibal Lecter” qui mange la cervelle de ses ennemis, ou à un “Aloysius Xingu Leng Pendergast” qui traque les tueurs en série. Mais un castel avec :

Un hall d’entrée, dans lequel des informations éphémères – visuelles, auditives, tactiles, olfactives et gustatives – arrivent en permanence.

Des salles lumineuses dans lesquelles ta conscience – disons, toi – va plus ou moins régulièrement. C’est dans l’une de celles-ci que j’ai fait la connaissance d’Hannibal.

Il en existe d’autres, un peu moins éclairées, où tu te rends moins souvent. C’est dans l’une d’elles que j’ai rencontré Pendergast.

Il y a aussi des mansardes, dans les combles, que tu visites rarement. Dans lesquelles des ressouvenirs empoussiérés sont mal rangés.

Enfin, se trouvent dans les sous-sols les réminiscences considérées comme inutiles, superflues, désuètes, archivées dans les caves, celles que tu ignores détenir, perdues dans les oubliettes ; et celles rendues quasi inaccessibles derrière d’infranchissables portes, bardées de ferrures et de serrures, fermées par toi… ou par d’autres.

Parfois, la remembrance se produit après un long processus. Tel le nom que tu as vainement cherché avant de renoncer, qui se révèle plusieurs heures plus tard, voire le lendemain. S’il n’était inconscient, ce processus n’aurait rien de mystérieux, mais il serait terriblement ennuyeux. Puisqu’il consiste, s’il n’est pas interrompu par d’autres tâches, à explorer systématiquement toutes informations mémorisées depuis la pièce la plus lumineuse jusqu’à l’oubliette la plus profonde.

C’est exactement ce que je viens de faire, je suis également entré dans tes chambres fortes. Parallèlement, j’ai implanté en toi ces souvenirs qui vont maintenant suivre le même cheminement que les tiens.

J’ai d’ailleurs découvert des infos surprenantes dans ta mémoire :

Non ! Bien qu’elles soient stupéfiantes, je ne songe pas à celles qui sont enfermées derrière des portes. Elles resteront entre moi et… moi. N’insiste pas, je ne te les révélerai pas.

Je fais mention de concepts que je ne connaissais pas, comme les “civilisations” ou “cultures” qui définissent un ensemble de nations partageant des caractéristiques identiques ; le “système décimal” avec ses multiples – du “déca” au “yotta” – et ses subdivisions – du “déci” au “yocto” ⁽²⁾ –.

De renseignements étonnants sur ton monde, comme la création d’une mémoire collective artificielle. Curieusement, dans celle-ci, existent aussi des portes réputées infranchissables, mises en place par des “détenteurs” de données “confidentielles” pour les “sécuriser”, ou par des “gouvernants” pour empêcher leurs “populations” d’accéder à ce qu’ils souhaitent leur dissimuler.

Ou de savoirs passionnants comme la “génétique”, laquelle explique certaines choses.

Les connaissances que j’ai acquises dans tes souvenirs me permettent de jeter un pont par-dessus le gouffre qui sépare nos réalités, nos “cultures”, nos “modes” de pensée.

Si j’extrapole la métaphore du château représentant ta mémoire, tu vois comme j’assimile vite. Imagine ton cerveau comme une contrée, avec ses prairies dans lesquelles réside ton “moi”, ses sommets d’où ton “surmoi” te surveille, et ses sombres forêts où se cache ton “ça”. Dans une de ces forêts, je devrais pouvoir trouver une cavité pour en faire ma tanière, dans laquelle j’entrerais en sommeil lorsque je ne me promènerai pas dans cette contrée. Cohabiter avec ton “ça” m’en apprendra encore plus sur toi, et peut-être, collaborerons-nous pour te faire hurler comme un loup ?

Tout ce que tu sais, je le sais. Sauf ton patronyme bien sûr, puisque dans ta mémoire, tu ne te définis jamais par celui-ci.

Acceptes-tu de me révéler ton nom ?

Pour te démontrer que je suis inoffensif, je vais te révéler quelques-uns de mes secrets.

Tout d’abord, mon nom n’est pas Bhediya ni Teanga Mhòr, bien que ce dernier me semble plus plaisant. Mais comme je t’en ai informé dès le début, je ne te le révélerai pas.

Pour tous, ou presque, je suis un loup, j’ai l’apparence d’un loup… géant, mais d’un loup. Je suis sorti du ventre d’une louve, je vis habituellement avec une meute… de loups. Dans ma longue vie, j’ai couvert de nombreuses louves, j’ai engendré une louvetone. Si j’ai tout d’un loup, je suis davantage qu’un loup. Un loup n’a pas ma longévité. Je suis âgé de cent vingt-six ans. Un loup ne lit pas les pensées de toutes les créatures vivantes. Un loup ne communique pas avec tous ceux qui sont capables d’accepter ce contact sans verser dans la folie.

Mon trevingitisaïeul, Sköll, a englouti le Soleil ; son frère, Hati, a ingurgité la Lune ; leur père – Hróðvitnir plus connu sous le nom de Fenrir – lui, c’est Óðinn, un dieu qu’il a dévoré !

Hé ! Ho ! As-tu déjà oublié que je suis dans ta tête ? Alors je perçois tes : « Que me raconte-t-il ? Ce sont là légendes et contes mythologiques ! Manger le Soleil, ridicule… c’est une métaphore ! De toute façon, sans soleil : nulle vie ! Et Óðinn par-dessus le marché !!! » J’en regretterais presque d’être dans l’impossibilité de te manipuler ! Délaisse tes préjugés, fais preuve d’ouverture d’esprit. Ton monde n’est pas le seul. Je te « parlerai » plus tard de l’univers, des divergences et des dieux. En attendant, aie confiance en moi.

Revenons à nos moutons. Vos expressions sont étranges, disons plutôt, revenons à nos loups. Tous trois étaient des loups gigantesques parce que tous trois étaient des Jötnar. Hróðvitnir avait été engendré par la Jötunn Angrboða et le dieu Loki. Lequel Loki était lui-même le fils de Laufey et du Jötunn Fárbauti. La “génétique” explique mon gigantisme.

Je suis donc le descendant en ligne directe au vingt-cinquième degré d’un dieu.

Et quel dieu ! Loki était athlétique, facétieux, intuitif, intelligent, rusé, fin stratège, impulsif, sa beauté éclipsait celle des aurores boréales. Grand magicien, il pouvait se métamorphoser. Loki se transforma en jument et séduisit, afin de le détourner de son travail, le puissant étalon Svaðilfari, dont Loki porta le fruit des saillies ; il mit bas le cheval à huit jambes Sleipnir, qui plus tard devint la monture d’Óðinn. Il se changea également, pour fuir ou mystifier, en mouche, en phoque, en oiseau, en saumon, voire en demoiselle d’honneur.

Maintenant, tu sais qui je suis, ce qui me définit. C’est tout ce que tu sauras sur moi pour le moment.

¤¤¤

Notes :

1) Figurent entre “guillemets à l’anglaise” les mots, noms, concepts et connaissances que – celui qu’une personne nomme – Teanga Mhòr ignorait avant d’explorer ton cerveau.

2) Préfixes du Système international d'unités : http://trucsmaths.free.fr/prefixes.htm

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