Histoires d'Angles - 2 - La conquête de la contrée de Shannon

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En l’an 813, Eadwulf envahit la contrée de Shannon.

Ses galères se dispersèrent sur la côte autour d’Erestia, alors capitale du royaume de Shay. Après que leurs canons aient détruit les quatre couillards ⁽¹⁾ qui en protégeaient l’accès, les cinq qui étaient armées pénétrèrent dans le port. Elles se répartirent d’une extrémité à l’autre de l’embarcadère, d’où la piétaille indigène fut repoussée par les boulets que crachaient une vingtaine de bouches à feu. Alors que les hommes du guet, de la prévôté et les quelques soldats en garnison dans la ville érigeaient des barricades dans les rues adjacentes, des chevaliers de la foi – harnachés ⁽²⁾, en selle sur des destriers caparaçonnés – débarquèrent de trois des vaisseaux. Lances en avant, ils chargèrent aussitôt les fragiles assemblages de charretons, cageots, chaises, tables et objets divers. Simultanément, piquiers et arbalétriers prenaient pied sur les quais. Ensuite les matelots ahanèrent sur les anspects insérés dans les alvéoles du grand cabestan de chaque navire, enroulant les cordages des palans pour monter du pont inférieur une pièce de calibre 36 ⁽³⁾, ajustant la longueur pendant la translation, puis freinant le déroulement pour la déposer en douceur à terre.

Les défenseurs et la population furent rapidement refoulés dans la forteresse royale.

Le siège ne dura que sept jours.

Il en avait fallu deux aux canonniers et servants pour faire parcourir le mille ⁽⁴⁾ séparant les quais du château, à trois de ces couleuvrines ⁽⁵⁾ dont les affûts n’étaient conçus que pour se déplacer devant des sabords (l’un avait cassé une roue sur des pavés, un second s’était embourbé dans un chemin de terre imbibé d’eau).

Située sur une éminence, autour de laquelle la ville s’était développée, la citadelle était dépourvue de douves et de pont-levis. Après avoir rasé les palissades, l’impitoyable bombardement – plus de cinq cents boulets, à raison de six par heure pour chaque pièce le jour, mais de trois seulement la nuit – avait mis à mal les murailles. La herse était sur le point de céder lorsque le roi Crìsdean tenta une sortie aussi insensée qu’héroïque. C’est à la tête de sa garde personnelle qu’il mena l’assaut contre les assiégeants. Il fut déchiqueté par la mitraille dont Eadwulf avait fait charger deux canons quand on lui avait rapporté que l’on discernait des préparatifs derrière les portes.

Le jour même, pieds nus, une corde autour du cou, le chancelier de feu Crìsdean vint signifier la capitulation d’Erestia au chef des Angles. Eadwulf revendiqua le titre de roi de Shay, nul ne le reconnut. Malgré l’opposition de celle-ci, il épousa la veuve de Crìsdean, Cobhfhlaith, son aînée de quatre ans – le septième précepte de la foi ne dit-il pas : « Le pieux dispose comme il l’entend des impies ». Ce nonobstant, le clan Ó Dochartaigh rejeta ses prétentions, à l’instar des autres.

Dans l’attente de l’artillerie de campagne, poudre, munitions et spécialistes réclamés à son oncle, bien que sa piété ne dépasse pas la raison, il dut s’appuyer sur Brictric et ses chevaliers de la foi pour conquérir village après village, ville après ville, la contrée de Shannon.

Bloqué à l’est par les céimeanna an thiar, au sud par An Gàirdean Lir et au nord par An abhainn a scoilteann et An abhainn ag tonnaíl (ᛚ). Ce fut avec joie qu’il accueillit le représentant de l’empereur.

Joie qui se transforma en ravissement à l’annonce de la naissance de sa sœur.

Ravissement qui fit place à la tristesse lorsqu’on lui apprit la mort de sa mère.

Tristesse qui engendra du ressentiment envers son oncle : « Comment l’empereur a-t-il pu laisser sa sœur s’embarquer dans son état, sans la faire accompagner par les meilleurs archiatres de l’empire ? ».

Ressentiment qui se métamorphosa en colère quand on l’informa que les galères n’apportaient ni canons, ni charges, ni boulets, ni experts aptes à les fabriquer : « Comment l’empereur veut-il que j’assoie mon autorité dans mes terres et que j’en conquière d’autres sans les armes assurant notre supériorité sur les indigènes ? »

Colère qui devint rage dès que son interlocuteur lui répondit : « L’empereur ne souhaite asseoir votre autorité sur aucune terre, c’est en qualité de vice-roi que je suis ici, pour gouverner en son nom. Je déciderai, en son temps, si nous avons besoin de renforts. Voyons maintenant quelles richesses nous pouvons charger sur les navires en partance pour l’empire. »

Rage qu’Eadwulf avait contenue jusqu’à la fin de la déclaration du… du…

« Minable vermisseau ! Misérable colporteur ! Je pourrais vous trancher la tête et l’expédier à mon ingrat d’oncle, en guise de richesse ! Je devrais vous confier à Brictric qu’il vous enseigne la différence entre foi et bimbeloterie », la laissa-t-il exploser.

Ce dernier avança d’un pas vers l’ex-vice-roi, mais Eadwulf le retint et reprit :

« Je vais vous renvoyer, quasiment intact, auprès de celui qui se donne le titre d’empereur. Vous lui direz que puisqu’il ne me juge pas digne de gouverner en son nom, je gouvernerai au mien. À partir de cet instant, je suis le despote Eadwulf, maître de la contrée de shannon et bientôt de Shay. Nos terres n’appartiennent pas à l’empire et ne lui appartiendront jamais ! Chevaliers de la foi, emparez-vous de ce malandrin ! Avant de l’escorter jusqu’à son vaisseau, qu’on lui coupe la main droite pour avoir tenté de voler ce qui m’appartient ! »

Ainsi fut fait.

Nous ne nous appesantirons pas sur ceux qui tirèrent profit de cette rupture, en Shannon ou dans l’empire.

¤¤¤

Notes :

1) Trébuchet dont deux huches ou bourses (d’où son nom) servent de contrepoids.

2) Revêtu d’un harnois ou harnais (armure complète. Celle des chevaliers par excellence).

3) Le calibre correspondait au poids du boulet. 36 fut longtemps le plus gros calibre de la marine française.
Pesant près de quatre tonneaux (environ quatre tonnes), ils étaient placés dans la batterie la plus basse pour stabiliser le navire. Seul un architecte naval Angles eut l’idée aussi sotte que grenue d’implanter huit de ces canons entre les bancs de nages des galères.
Dix servants étaient nécessaires pour manœuvrer chaque pièce à l’aide de trois palans (deux de côté et un de retraite) pour la retirer, la charger par la bouche, la mettre au sabord et l’orienter pendant le pointage.
D’une portée théorique proche de deux milles marins (3 900 m), mais d’un seul en pratique.
À 200 toises (400 m), un boulet de 36 livres (17,622 kg) traversait une épaisseur de trois pieds (un mètre) de chêne.

4) Mille terrestre (français, ancien régime. 1000 toises) ➢ 1,949 km.

5) Couleuvrine : type de canon médiéval et de la Renaissance, avec un long canon à âme lisse, une portée relativement longue et une trajectoire plate, utilisant des boulets à vitesse initiale élevée.

ᛚ) An Gàirdean Lir ➢ Le bras de Lir – Gaélique écossais.

 An abhainn a scoilteann ➢ Le fleuve qui se sépare – Gaélique irlandais.

 An abhainn ag tonnaíl ➢ Le fleuve ondoyant – Gaélique irlandais.

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