Les aventures du dragon - 3 - en route vers le sud

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கருப்பு டிராகன்

Que m’est-il arrivé ? Je chevauchais avec Sudaroli et le savāra… Nous revenions de chez la septième femme figurant sur la liste que nous avait remise Vâtsyâyana–jī.

Le kuru ignorait où appā avait pu se rendre après l’ultime cours qu’il avait suivi. Aussi avait-il gravé sur une feuille de palmier, les noms et adresses de celles à qui son élève était susceptible d’avoir rendu visite ce soir-là.

« Évidemment, je connais Jayapura ke Candra⁽¹⁾ ! Comment l’oublier ? La dernière fois qu’il est venu chez moi c’était il y a plus d’un an. C’était… oui, c’est ça, c’était un jyēṣṭha kā candravāra ⁽²⁾, mais je ne sais plus lequel… peut-être le dernier, mais je n’en suis pas certaine. Comme toujours, il est parti au petit matin. Quand vous le verrez, dites-lui que sa visite me ravirait ! »

Il semblait que ce soit en sortant de chez elle que notre appā eût disparu. Nous nous étions vainement enquis aux alentours de personnes se souvenant d’étrangetés qui seraient survenues à cette époque.

Nous retournions à Banārasa par la route que nous avions empruntée à l’aller, lorsque l’impossible se produisit. Au petit trot, nous allions de front (au bout de leur longe, nos montures de substitution nous emboîtaient le pas), spéculant sur ce qui avait bien pu arriver à Candra. Je m’adressais au savāra, quand je vis la stupéfaction envahir les traits de Sudaroli, qui se tenait entre nous. Je suivis son regard et découvris, horrifié, que l’encolure de Gaḍạgaḍạāhaṭa avait été tranchée nette. Loin de s’écrouler, il fit une foulée et la partie manquante réapparue. Sidéré, je me retournai et ne discernai que l’avant-main de Rādhikā, puis, comme elle continua à avancer, l’arrière-main émergea progressivement du néant. Ébahi, je réalisai que dans mon mouvement pour jeter un coup d’œil derrière moi, ni ma sœur ni Vari n’avaient traversé mon champ de vision. Ils avaient disparu !

En vérité, ce fut exactement l’inverse. C’est moi qui fus effacé comme la tête et le cou de Gaḍạgaḍạāhaṭa, puis les flancs, la croupe, les postérieures et la queue de Rādhikā. Quoique pour cette dernière, je suppose qu’au contraire c’était la partie apparente de la jument.

J’avais traversé un voile invisible et totalement opaque. Il était indécelable, mais il supprimait la présence physique de ce qui y était engagé, d’un côté comme de l’autre. La forêt changea, je suis arrivé dans cette clairière, le lac et… rien. Me suis-je évanoui ?

L’apcarā… Mélusine #⁽³⁾ elle est… Je n’ai de mots ni pour la décrire ni pour évoquer ce que nous avons partagé, seuls mes souvenirs peuvent l’exprimer. Je les ressasse sans cesse. Son accueil fut aussi providentiel que chaleureux, elle connaît Cantirā⁽⁴⁾, m’a indiqué le chemin qu’il a suivi.

Cela fait huit jours que tantôt sur le Māravāḍạī, tantôt sur la Kāṭhiyāvāḍạī, je fais route vers le sud.

Les gens ne me comprennent pas et je n’entends pas plus ce qu’ils me disent. Je n’ai obtenu qu’une réaction au nom de Cantirā. Celle d’un homme, probablement un aubergiste. À l’évocation du nom d’appā, il a vociféré et m’a chassé en lançant divers légumes dans ma direction. J’en ai ramassé quelques-uns.

Je dors à la belle étoile, me nourris de baies, de fruits et de racines. Je n’ai prélevé aucune vie. Je m’abreuve, comme Gaḍạgaḍạāhaṭa et Rādhikā, aux nombreux rus que nous croisons. La végétation est généreuse ici, nous traversons maintes prairies, les chevaux ont leur soûl de pâture.

Avant-hier, un couple d’aînés m’a convié à partager son déjeuner. Des paysans isolés, ils se sont adressés à moi comme à un enfant, mimant tout ce qu’ils disaient. Je les ai remerciés et leur ai raconté que j’étais à la recherche de mon père, Cantirā, que je ne l’avais jamais vu ! Que ma mère parlait souvent de lui, à ma sœur et moi ! Qu’un lien magique les unissait, qu’il s’était rompu, ce qui avait provoqué ma quête ! Que j’ignorais où j’étais et comment j’y étais arrivé, mais que je savais que mon appā avait suivi cette route ! Mélusine me l’avait dit. Ils hochaient régulièrement la tête, émettant des “hon-hon”, comme s’ils comprenaient. S’ils ne manifestèrent pas d’intérêt particulier au mot Cantirā, à celui de Mélusine, ils échangèrent un sourire, j’ai rougi. Néanmoins, cela me fut agréable de parler et d’être écouté. Avant que je parte, chacun me tint longuement embrassé. Avaient-ils perdu un enfant ?

Trêve de rêvasseries ! Ces hommes armés, que j’aperçois sur l’autre berge de la rivière que je suis, pourraient bien être ceux que Mélusine a dessinés. Ils semblent garder le gué, ont-ils l’intention de m’interdire le passage ? Est-ce ce que voulait dire l’apcarā ?

Je ne vais pas tarder à la savoir !

“Áblinne!” s’écrit l’un d’eux.

C’est sûrement le chef, qui m’interpelle.

« Nāṉ karuppu ṭirākaṉ !

Þú ne ġecnǣwþ englisc? »

C’est un dialogue de sourds. Pour me préparer à un affrontement, je mène Gaḍạgaḍạāhaṭa au milieu du cours d’eau. Répondant à un double claquement de langue, Rādhikā vient se placer à mon côté. Je tire sur la cordelette qui libère la longe de son licol.

“Áblinne!” répète-t-il.

Ses soldats pointent leurs piques dans ma direction. Il ajoute :

“On hand gā!

— Je suis à la recherche de mon appā, il est parti dans le sud. Je n’ai pas de mauvaises intentions !”

En disant ses mots, je détache, de l’anneau fixé sur le quartier arrière de ma selle, l’autre extrémité de la lanière, la roule et la range dans la fonte appropriée.

Certains reculent pour me laisser accéder à la berge, mais ils ont adopté une formation en nasse. Je vérifie que mon ōrilaicuruḷ est enroulée autour de ma ceinture et m’empare d’une aintilaic curuḷ. À peine Gaḍạgaḍạāhaṭa a-t-il posé un sabot sur la rive, je mets lestement pied à terre.

“Hé biþ hræfnsweart! éructe l’un.

Hit biþ fláh feónd gemáh! surenchérit un autre.

— Je suis à la recherche de Cantirā”, hasardé-je.

¤¤¤

Notes :

1) Jayapura ke Candra ➢ Chandra de Jaipur

2) Jyēṣṭha kā candravāra ज्येष्ठ का चन्द्रवार ➢ un lundi de jyēṣṭha.

candravāra चन्द्रवार ➢ lundi, de lune ➢ Candra चन्द्र.

Jyēṣṭha ज्येष्ठ le troisième mois du calendrier चैत्र caitra.

Pour être plus clair le 23 giamoni (si c’était bien le dernier candravāra de Jyēṣṭha, le 16 ou le 9, voire le 2 sinon). Ha ! Bien entendu – les calendriers hindous et celte n’ayant pas la même méthode pour compenser la différence entre les cycles lunaires et solaires –, cette correspondance n’est valable que cette année-là (621 du calendrier de Shay).

« Il y a sept jours dans une semaine et ils s’appellent vāra. Les noms des jours sont basés sur le Soleil, la Lune et les cinq principales planètes, similaires aux noms répandus en Europe. Divers synonymes sanscrits sont donnés dans la liste suivante. Les noms les plus courants sont donnés en italique. La liste est assez exhaustive mais ne prétend pas l’être absolument.
Jours de la semaine.
1. Dimanche. ĀddiAditya, Ravi, Ahaskara, Arka, Aruṇa, Bhaṭṭāraka, Aharpati, Bhāskara, Bradhna, Bhānu etc.
2. Lundi. Soma, Abja, Chandramas, Chandra, Indu, Nishpati, Kshapākara, etc.
3. Mardi. Maṅgala, Aṅgāraka, Bhauma, Mahīsuta, Rohitāṅga.
4. Mercredi. Budha, Baudha, Rauhiṇeya, Saumya.
5. Jeudi. Guru, Āṅgirasa, Bṛihaspati, Dishaṇa, Surāchārya, Vāchaspati, etc.
6. Vendredi. Śukra, Bhārgava, Bhṛigu, Daityaguru, Kāvya, Uśanas, Kavi.
7. Samedi. Śani, Saurī, Manda.
² Le mot vāra est apposé à chacun de ces noms ; ravi = soleil, ravivāra = dimanche. »

Robert Sewell and Śankara Bālkṛishṇa Dīkshit. The indian calendar… London : Swan Sonnenschein & Co, 1896. Part I. page 2 (approximativement traduit de l’anglais par mes soins). https://ia903409.us.archive.org/16/items/indiancalendarwi00seweuoft/indiancalendarwi00seweuoft.pdf

Je n’ai pas besoin de t’expliquer pourquoi j’ai choisi ce jour de la semaine et le nom candravāra.

Tu veux satisfaire ta curiosité et essayer de t’y retrouver dans le casse-tête des calendriers hindous ? Tu lis l’ouvrage cité ci-dessus (quasiment tous les articles du web en sont inspirés). Sinon voici le lien vers l’article le plus clair (le seul dans lequel j’ai tout compris) :
https://icalendrier.fr/calendriers-saga/calendriers/hindou

3) # ➢ soupir. Dans la version originale, il y avait un soupir et non un dièse, mais ce @ ☄︎ ❉ ⚔︎ d’éditeur… cf. chap. La divergence – 3.

4) Alors que précédemment karuppu ṭirākaṉ se souvenait de conversations en hindi, ici il évoque le nom de son père dans sa langue, le tamoul சந்திரா ➢ Cantirā ➢ hindi चन्द्र ➢ Candra ➢ prononciation ➢ Chandra.

Note sur les portes spatio-temporelles :

Ne pas confondre avec les ponts d’Einstein-Rosen (vortex, trou de ver), qui servent à se déplacer dans l’espace.
Les portes spatio-temporelles, elles, permettent de passer d’une réalité à une autre, elles jouent avec les dimensions. Il en est une qui est capricieuse, le temps.
Il ne t’a, bien sûr, pas échappé que Chandra “avai[t] quitté une sylve près de Banārasa un matin proche du solstice d’été, pour apparaître dans une autre quelques jours après l’équinoxe d’automne” (cf. chap. Le conteur – 5). karuppu ṭirākaṉ, lui est arrivé dans le monde de Shay à la seconde même ou il a quitté celui de Banārasa.

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