Le Pastel Heart

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"Il existe un mets qui surpasse tous les autres. Un mets si exquis que dans le temps, les gens étaient prêts à tuer pour avoir la chance d'en manger n'en serait-ce qu'une bouchée.

Je ne pourrais même pas t'expliquer son goût. Il est à la fois sucré et salé, amer et acidulé... C'est un vrai paradoxe. Certains disent même que son goût change en fonction de la personne qui le mange. C'est pour ça qu'il m'est impossible de te donner une explication claire. Ce que j'ai senti en prenant une bouchée n'est peut être pas la même chose que mon voisin a senti.

Mais ce mets n'est pas pour tout le monde, non, loin de là. Seuls ceux qui ont de l'esprit et qui parviennent à se contrôler peuvent avoir la chance d'y goûter. Des gens comme mes confrères et moi même, et toi maintenant. Il y a longtemps, tout le monde avait le droit d'en avoir une bouchée. Mais les dirigeants de cette époque se sont vite rendu compte que les pauvres avaient du mal à contrôler les effets de cette gourmandise.

Arrête de me regarder avec ces yeux là, ne me juge pas trop vite. Tu sais très bien que je ne fais pas de distinction entre riches et pauvres, pour moi ils sont égaux, ils doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes privilèges. Mais je dois bien reconnaître qu'ils ne sont pas dignes de recevoir un tel cadeau.

Quand je te disais que des gens étaient prêts à tuer pour goûter à cette merveille, je ne plaisantais pas... Un paysan, un jour, trouva ce mets et s'empressa de le ramener chez lui pour le partager avec sa femme et ses 3 enfants. Mais quand il arriva à son domicile, sa femme était absente, seuls ses enfants étaient présents. Alors il prit une petite bouchée en attendant son retour. Cette malheureuse petite bouchée scella la vie de sa femme et un de ses pauvres enfants. Il ne put s'empêcher de reprendre une autre bouchée. Une envie avait émergé en lui, elle était si forte. Plus il mangeait et plus elle s'étendait en lui. Il lui en fallait plus toujours plus. C'est alors que son plus jeune enfant, voyant comme son père se régalait, voulu lui aussi y goûter. Il avança sa main timide vers son père pour qu'il lui en donne un bout, mais celui devint fou. Ses yeux devinrent noirs et il fut pris d'une rage animale. Il releva la tête de son repas et dans un grognement, planta ses dents dans le bras frêle de son fils. Sa morsure fut d'une telle force que le petit membre lui resta dans la bouche. C'est dans un cri perçant que sa femme fit son apparition. Elle cria à ses deux filles de s'enfuir et se précipita vers son garçon. Elle frappa son mari encore et encore mais celui-ci la saisit d'une main et lui brisa la nuque en la projetant sur le mur. Quand les policiers arrivèrent sur place, il ne restait plus rien de vivant. L'homme n'était plus là, mais il avait pris le temps d'écrire une phrase avec du sang sur un des murs avant de partir :

Il m'en faut plus.

C'est comme ça mon cher disciple que cette gourmandise devint réservée aux gens de la haute, à l'élite."

- Mais c'est horrible... avais-je articulé en arborant une mine horrifiée.

- C'est la vie. Il faut bien faire des erreurs pour avancer.

Je n'en revenais pas, il m'avait raconté cette histoire avec une telle neutralité... On dirait que ça ne le touche pas, il semble si froid, je ne le reconnais pas là.

- Messieurs, nous sommes arrivés, dit le cocher en ouvrant la porte de notre diligence.

Je suivis mon maître dans une petite ruelle, éclairée seulement par un lampadaire. Nous nous faufilâmes dans un chemin très étroit entre deux maisons, puis après avoir descendu ce qui me semblait être une éternité de marches, nous arrivâmes devant le dit restaurant. Une fois à l'intérieur on nous donna à chacun un fin masque noir. Il faisait très sombre puisque d'épais rideaux cachaient les fenêtres, mais nous pouvions quand même à voir à quel point cet endroit était classieux.

Nous nous installâmes à une grande table au fond de la salle, autour de laquelle se trouvait une dizaine d'hommes et de femmes en tenues de soirée, tous arborant le même masque. Ils se levèrent pour venir nous saluer puis se rassirent. Seule une jeune fille sortait du lot.

Alors que tous les invités portaient des habits aussi sombres que le décor, elle, portait une robe d'un violet pastel, sur laquelle des boucles d'un brun très clair tombaient en cascade. Elle était tout bonnement ravissante. Je ne pus m'empêcher de lui lancer des regards en coin. Elle le remarqua et m'adressa un sourire pour me répondre. Je rougis à la simple vue de ses fossettes.

J'allais lui demander son prénom, quand deux hommes portant un tube métallique et une sorte de planche me poussèrent. Ils vissèrent le tube au milieu de la table puis la planche sur celui ci. En voyant cela les convives se mirent à applaudir, ce que je ne compris pas. Mais ce qui se passa ensuite me déstabilisa encore plus. La jeune fille qui, il y encore à peine une minute semblait si joyeuse, avait perdu son sourire. Elle se leva et avec l'aide d'un des hommes, monta sur la table et se coucha sur la planche. Mais que faisait-elle ?

- Docteur C, c'est à votre tour cette année de servir le "pastel heart", dit l'homme en bout de table, en tendant un long couteau à mon mentor.

Le pastel heart ? Serait-ce donc ça le met parfait ? Mais que vont ils faire à cette douce créature, allongée sur cette table ?

- J'en suis honoré.

L'homme en bout de table claqua des doigts, et à ce signal, deux hommes lièrent les poings et les pieds de la fille. Elle ne se débatt pas, elle se contenta de tourner la tête vers moi en souriant tristement.

Mon mentor coupa d'un geste vif le haut de sa robe, sa poitrine était maintenant exposée aux yeux de tous. Elle ne réagissait toujours pas. Je ne bougeais pas, j'étais trop terrifié pour pouvoir l'aider. C'est lorsque le couteau s'abattit sur son buste apparent que je pris la main sur la peur qui me tétanisait. Je me levai d'un geste brusque et me jetai sur mon mentor pour l'empêcher de continuer. Mais les deux hommes qui attendaient au bout de table ne mirent pas longtemps à me contrôler et à me ramener de force à ma place. L'un deux me tenait fermement les épaules pour m'empêcher de bouger.

Elle me regardait toujours, et me chuchota "merci". Mon mentor n'avait eu le temps que d'effectuer une petite entaille au milieu de sa poitrine, seules quelques gouttes de sang rose coulaient sur son ventre. Attendez, quoi ? Du sang rose ?! Je reportai mon regard sur sa blessure, pensant avoir halluciné. Mon dieu.... Mais ce n'est pas possible.... Qui est elle ?

Je fus sorti de mes pensées en l'entendant pousser un cri de douleur. Mon mentor s'était remis à la tâche. Il avait planté son couteau un peu en dessous de la base de son cou, puis avait continué son incision jusqu'à son nombril. Elle se tordit de douleur. Elle remuait dans tous les sens en essayant de fuir, puis elle se stoppa. Son corps s'écrasa dans un bruit lourd sur la planche et sa tête retomba vers moi. Elle me fixait de ses yeux sans vie, du sang d'un rose vif dégoulinant de sa bouche. La planche était maintenant recouverte de cette substance rose qui coulait abondamment de sa blessure.

Mon mentor remonta sa manche et enfonça d'une traite son bras gauche dans la poitrine de la morte. Il lui brisa plusieurs côtes, ce qui produisit un son horrible qui me fit tressaillir. Puis il en sortit un coeur entièrement violet, d'un violet aussi pastel que celui de la robe de la jeune fille. Il le leva au ciel, victorieux, et le posa sur le plateau d'argent sur la table sous les applaudissements des convives. Il arracha le couteau qu'il avait planté dans cette douce créature et découpa ce coeur si étrange en plusieurs lamelles. Qu'il déposa ensuite dans chacune des assiettes. Je faillis vomir quand je les vis manger le contenu de leur assiette. Ils exultaient tous.

- Goûte, tu verras ça va changer ta vie, me dit mon mentor.

- Non ! C'est du cannibalisme ! Vous êtes fous, vous êtes tous malades... Dis-je les larmes aux yeux.

Il me saisit alors la bouche, me l'ouvrit de force et y enfonca une lamelle de ce coeur si spécial. Il me lâcha en voyant la mine calme et reposée que j'arborais.

Il avait raison, ils avaient tous raison. Je n'ai jamais mangé quelque chose d'aussi bon. Ce coeur est si.... Il est si.... Je ne trouvais pas le mot juste pour le qualifier, il est inqualifiable. Il me chamboulait totalement, j'avais l'impression que mon esprit était totalement vide. En revanche il y avait une chose que je savais ;

Il m'en fallait plus, beaucoup plus...

Je sentis l'adrénaline parcourir mes veines. C'était avec une force qui m'était inconnue que je saisis la tête de l'homme derrière moi, et la frappai brusquement contre la table. Il s'écrasa au sol dans un fracas. J'étais maintenant debout sur la table, je ne me contrôlais plus. Je me précipitai vers le plateau en argent et devorai le coeur violet tel un animal. Je sentis une douleur aiguë me traverser le crâne, et je m'écroulai sur la table. La dernière chose dont je me souvins avant que le néant ne prenne le dessus dans mon esprit sont les paroles de mon mentor :

"je pensais vraiment que tu serais capable de te contrôler, que tu étais différent, que tu avais des chances un jour de pouvoir égaler mon esprit. Mais je me suis trompé..."

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