III.

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Cette fois, c'est elle qui a été vicieuse.

Par cette fenêtre, je plonge directement dans l'effervescence de la ville, en son centre le plus parfait.

En bas, des milliers, par dizaines, de gens s'affairent vers un côté ou l'autre de la rue commerçante, allant au travail, à l'école, ou tout juste dans les magasins alignés.

J'entends plus que je ne vois ici, je ne veux pas voir, j'ai déjà trop vu, je crois. Alors, c'est le brouhaha de mille discutions qui me parvient. Parfois, s'élève une voix au-dessus des autres, puis des rires. Ici, j'apprends à encore plus vous détester... Je hais votre gaîté, je ne la supporte plus, elle me parait infinie. Quand ce n'est pas ça, ce sont les travaux, on perce, je ne sais quoi, pendant des jours et des jours, ça ne s'arrête jamais. On perce tant que je me demande ce qu'il peut bien rester d'autre qu'un trou immense.

Ici, j'apprends aussi à aimer la pluie, elle vous fait taire un instant, vous coupe dans votre élan joyeux. Elle vous presse de rentrer où que vous alliez, me donnant une fenêtre pour sortir.

J'ai encore assez de chance qu'il n'y ait que des magasins aux alentours, les bars où vous vous entassez la nuit sont plus loin. C'est plus tard que vos voix me parviennent à nouveaux. Quand vous rentrez éméchés, bête à en crever.

J'en ai moins, de la chance, lors des grandes fêtes... Une scène se monte juste au-dessous de la seule ouverture que je daigne laisser ouverte. Et les parades s'enchaînent, les célébrations me parviennent encore quand je suis allongé dans mon lit...

Mais ce n'est pas encore le pire...

Le pire, c'est toi, là-haut.

Juste au-dessus, toi avec qui, sans trop le savoir, j'ai vécu pendant 2 ans.

D'abord, c'était ta voix. Quand tu fumais à la tienne, ma fenêtre, toujours entrouverte ouverte me faisait parvenir le son de tes conversations. C'est gentillet au début, presque flatteur. Mais ça n'a pas duré...

Tu n'as bizarrement jamais eu l'air de penser que je pouvais t'entendre, ou alors tu n'en as jamais rien eu à faire...

Puis la vue s'est vite invitée dans l'histoire, la tienne surtout, vicieuse en tout.

La première fois que j'ai compris, je faisais la vaisselle (fait déjà assez rare pour s'en souvenir), la fenêtre, tout juste à ma gauche, laissait entrer par son interstice les bruits habituels du quotidien, et ta voix s'en détachait légèrement. Machinalement, essayant de comprendre ce que tu disais j'imaine, ou comme attiré par ton regard, j'ai tourné la tête. Je ne sais comment, j'ai visé tout juste sur le tien de regard. Je n'y avais jamais pensé, pourtant aimant jouer avec les reflets des vitres dans d'autres circonstances, celui des fenêtres des appartements d'en face faisant communiquer les nôtres ne m'étais jamais venu à l'esprit.

Toi, tu avais l'air de savoir, même peut-être un peu trop d'ailleurs, vu comme, soudainement, tu t'es retirée de l'ouverture.

Ça m'a amusé de te voir agir de la sorte, dans ce qui pour moi n'était qu'un croisement futile de nos quatre yeux. Je suis vite repassé à autre chose, et laissant la chose à l'occasion, j'imaginais, naïf dira-t-on, que ce serait pareil pour toi.

Mais visiblement, ce n'était pas le cas, et a des nombreuses reprises, j'ai pu percevoir l'écho de ta voix m'apportant un de tes nouveaux jugements à mon égard.

Tellement en fait, que j'ai cru être fou, que j'imaginais cette voix que ce n'était pas possible, tu avais l'air de tout savoir sur moi, de tout connaitre. Qu'aurais-tu donc à raconter de ta fenêtre toi...

Et un jour, vers la fin, j'ai fait un test tout simple. Trop simple... J'ai juste remué la casserole posée sur l'évier, sans y mettre de force, juste un léger raclement tout en fixant le reflet de ta fenêtre illuminée. Et j'ai vu ta tête passer, directement, je n'avais même pas lâché la foutue casserole que tu avais déjà redisparu, comprenant sûrement la supercherie. Puis, restant là, un moment glacé, je l'ai vu revenir doucement, et moitié soulagé moitié angoissée, je me suis moi-même caché...

C'était une période très particulière, certainement la plus dure jusqu'ici et sûrement pour quelques années encore. Et tu en as été pour beaucoup. En me privant ainsi même d'un refuge. Bien souvent, quand j'y repense, je ne comprends pas comment j'ai pu traverser ces années.

Maintenant même que j'écris tout ça, j'ai l'impression, peut-être un peu bête, d'avoir été violé...

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