Calaveras

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 Comme chaque année, le soir d’Halloween, Alban et ses amis avaient fait le tour du quartier. La dernière maison était celle d’un vieil homme qu’ils connaissaient bien. Il leur ouvrit avec un sourire bienveillant et invita les garçons à rentrer. Une fois toute la bande installée dans son salon, le vieux monsieur leur offrit une boisson chaude et quelques biscuits. C’était leur rituel à chaque fois qu’ils lui rendaient visite.

La plupart des gens du quartier le disaient excentrique, bizarre, voire fou. Mais cela n’avait pas empêché les jeunes de nouer une solide amitié avec cet homme seul. Veuf et sans enfants, il était devenu une sorte de grand-père d’adoption pour ce groupe de copains qui se connaissaient depuis leur plus jeune âge. Ses cheveux grisonnants toujours en bataille lui donnaient cet air d’avoir assisté à une expérience scientifique ratée que les adolescents aimaient bien. Il racontait souvent des blagues et lorsqu’il riait, de petites rides se dessinaient au coin de ses yeux.

 La bande d’amis avait pris l’habitude de s’asseoir par terre, sur les tapis qui recouvraient presque entièrement le parquet usé par le temps et le passage. Dès l’arrivée des premiers froids, ils s’installaient sur le tapis à poils longs devant la cheminée. La lueur des flammes suffisait à remplir la pièce d’une lumière chaude et douce, réconfortante. Tout comme les autres, Alban pouvait rester des heures à contempler le feu, hypnotisé par la danse de ses flammèches. Rassemblés près de l’âtre, les adolescents savouraient le chocolat chaud et les sablés que leur hôte préparait divinement bien.

À chaque visite, Alban, Bastien, Charles et Denis avaient le droit à l’une des histoires du vieil homme. Il en connaissait tant que, depuis qu’il avait rencontré les garçons, il ne leur avait jamais raconté deux fois la même. Des légendes venues du monde entier aux anecdotes sur la fondation de la ville, il savait tout.

Mais ce soir là, il leur conta une histoire plus sombre et plus terrifiante que toutes les autres. Plus récente aussi.

 Le vieil homme leur expliqua que depuis quelques années, un groupe de motards terrorisait les villages de campagne. Chaque année, le soir d’Halloween à minuit précise, les passants imprudents pouvaient entendre le grondement des moteurs. Les engins surgissaient alors à l’angle de la rue, pilotés par des hommes aux auras maléfiques. Derrière le masque de calavera qui leur couvrait le visage, on devinait les regards noirs des messagers de l’Enfer. Leur seule présence obscurcissait la lumière des réverbères et alourdissait l’atmosphère, faisant peser une menace silencieuse sur les villes et villages alentours.

Pas un homme, pas une femme n’avait eu le cran de leur faire face. À la simple vue de ces êtres démoniaques, même les plus courageux détalaient comme des lapins lors de la saison de la chasse. Il fallait reconnaître qu’outre le masque, leur apparence était proprement effrayante. Vêtus de noir de la tête aux pieds, ils se fondaient dans le décor de ces nuits sans étoiles. La lune elle-même prenait peur et se réfugiait derrière les nuages dès leur arrivée.

Les quatre adolescents était fascinés par le récit de leur hôte. Leurs yeux brillaient de l’intérêt qu’ils y portaient. L’homme les mit alors en garde :

— Ce que je vient de vous raconter n’est pas une légende mais la vérité. Faîtes très attention et hâtez vous de rentrer. Il est bientôt minuit.

La bande de copains prit congé du vieux monsieur et repartit dans les rues. Incrédules, ils riaient des avertissements de leur vieil ami.

 Minuit sonna au clocher de l’église. Douze coups. Et lorsque le douzième retentit, il fut presque aussitôt couvert par un grondement de moteurs. Les motards surgirent au bout de la rue qu’ils remontaient à toute vitesse. Les garçons pétrifiés regardaient approcher ces hommes à l’allure terrifiante. Au nombre de douze, ils cachaient leur visage sous un masque de calavera. Malgré les couleurs joyeuses des masques, il se dégageait de ce groupe une aura sombre et malfaisante.

Les motards mirent pied à terre. L’un d’eux, sans doute le chef de la bande, fit quelques pas vers Alban et ses amis. Ils paraissaient vraiment petits face à ce géant qui les surplombait de près d’un mètre. Sans s’en rendre compte, les quatre amis retenaient leur souffle. La montagne de muscles fit un signe de la tête à ses acolytes et un cercle d’hommes vêtus de noir se forma autour des adolescents. Un nuage occulta la clarté rassurante de la lune. Un chant dont les garçons ne comprenaient pas les paroles s’éleva du cercle. Les mots montaient vers le ciel avant de s’évanouir dans la nuit. La peur disparaissait peu à peu. La mélodie enveloppait les jeunes hommes dans un manteau de douceur et de chaleur.

 Denis, le plus sensible des quatre, fut le premier à réagir à la mélopée. Le regard fixe et les lèvres entrouvertes, il tomba à genoux, la tête renversée en arrière. Ce fut ensuite au tour de Charles et Bastien. Alban, que le chant n’affectait pas comme ses amis, résista plus longtemps. Il fit face au chef de la bande et le défia du regard. Les yeux qu’il devinait derrière le masque lui imposèrent de baisser la tête et d’abandonner la lutte. Quelques secondes après, il tomba lui aussi sous l’effet de la mélodie que les motards n’avaient pas cessé de psalmodier.

Le géant vêtu de noir se pencha au dessus des quatre corps inertes. Il retira son masque, révélant un visage taillé à la serpe et des yeux plus noirs que la nuit. Sa voix de stentor résonna pour la première fois dans la rue assombrie :

— Votre éternité commence cette nuit.

 Au matin on ne retrouva des adolescents qu’un masque de calavera et les foulards qu’ils portaient tous les quatre noués autour du poignet.

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