Paty, la rêveuse en éveil

4 minutes de lecture

Mon esprit travaillait à mon insu. Il partait à l'assaut de l'âme la plus proche : celle de Thibault. Il se glissait dans son inconscient, cherchait le chemin vers ses pensées. Mais il se heurtait à un rempart impossible à franchir, une sorte de barrière mentale que mon bien-aimé avait dressée autours de ses idées les plus intimes. Je ne voulais pas être indiscrète, mais malgré moi, je cherchais la faille.
Il dut en avoir assez de mes tâtonnements maladroits car il décida soudain de me laisser entrer librement dans ses souvenirs. J'eus l'impression de quitter mon corps et de dégringoler dans un puits de couleurs. C'était étrange. Toutes sortes d'images flottaient autours de moi. Je me concentrai sur la première qui se présenta et me retrouvai plongée dans une scène de sa vie passée...
Je vis une grande femme, blonde et robuste, serrer un petit garçon brun et malicieux contre sa poitrine. Tous deux riaient. La mère et l'enfant... J'eus un peu de mal à reconnaître Thibault dans cet enfant joyeux. La tristesse et l'amertume étaient si profondément marquées sur les traits de l'adulte qu'il était devenu ! La joie semblait l'avoir déserté depuis longtemps.
Les autres scènes de son enfance étaient toutes aussi heureuses. Il était très attaché à sa mère et ne la quittait pas d'une semelle. Visiblement, il avait été enfant unique et donc très choyé par ses parents. Je songeai brièvement à mon père qui nous avait abandonnées alors qu'Emma était encore un bébé et à notre mère qui ne s'était jamais beaucoup occupée de nous. Ma vie humaine avait sans doute été plus facile à quitter que la sienne !
Adolescent, il avait été envoyé loin de chez lui. Il l'avait très mal vécu. Son chagrin me percuta. On l'avait arraché à son foyer, aux bras de sa tendre mère. Son univers subitement s'était assombri, comme si le soleil pour lui avait disparu. Je le vis apprendre le maniement des armes, la discipline et la stratégie. Et son coeur, peu à peu se desséchait.
Beaucoup d'images de mort emplissaient son âme, mais les plus importantes pour lui étaient celles vécues au temps où il était encore un humain ordinaire : la mort de sa mère qui avait tari à jamais ses larmes, celle de ses camarades qui lui avait enseigné la peur et celle du premier homme qu'il avait tué, un tout jeune soldat, comme lui, mais dont l'appartenance au camp adverse avait scellé le destin.
Je frémis en découvrant les circonstances de sa transformation en buveur d'âme. Contrairement à moi, il n'avait eu personne pour le guider et lui expliquer ce qui lui arrivait. C'est seul qu'il avait dû découvrir ses pouvoirs et ses faiblesses. C'est à son acharnement à survivre coûte que coûte que je devais de l'avoir rencontrer. Un autre que lui se serait peut-être laissé aller et serait mort dès les premières années.
Les images de ses victimes étaient là également. Aucune pitié n'accompagnait ces souvenirs-là, juste le plaisir de la traque et le sentiment de satiété, une fois leurs rêves absorbés. Le choix de ses proies semblait être le fruit du hasard, même si à mon grand soulagement, n'y figurait aucun enfant. Thibault n'était donc pas devenu aussi inhumain qu'il le croyait, même s'il s'entêtait à se représenter sous les traits d'un assassin.
Je l'entendis gronder à cette pensée, quelque part au tréfonds de sa conscience. Il se demandait combien d'horreurs il me faudrait voir pour comprendre quel genre de monstre il était. Nous ne serions jamais d'accord sur ce point. Pour moi, il n'avait rien d'un monstre. Il n'avait pas cherché à devenir différent, ça lui était tombé dessus et je l'admirais pour avoir su s'en sortir aussi bien.
Je captais de belles choses aussi, telle son aptitude au dessin qui me rappelait celle de ma soeur. Je le voyais passant des heures entières à restituer un visage, la profondeur d'un regard ou la moue d'une bouche. Certes, il se nourrissait des rêves des autres, mais une grande part de son âme à lui imprégnait ses oeuvres. Je me demandais où étaient passés tous ses dessins... Il n'y en avait que quelques-uns sur les murs, or ils étaient bien plus nombreux dans ses souvenirs. Cette interrogation fit ressurgir toutes ses barrières mentales et m'expulsa hors de son esprit.
Thibault tremblait. Il me fit un sourire assez piteux pour s'excuser. Je le pris dans mes bras. Petit à petit, il se détendit. "Fais moi confiance ! lui dis-je avant de pousser à nouveau les portes de son âme". J'avais une place privilégiée dans ses pensées. Son amour pour moi était aussi grand que celui qu'il avait porté à sa mère.
Puis je l'entrevis... la chose qu'il avait tant de mal à m'avouer : son secret... C'était un peu avant de me rencontrer. Il dessinait, lorsqu'un esprit étranger était venu effleurer le sien. Un esprit puissant, porteur de rêves, comme il n'en avait jamais connu. Il s'était mis à l'écouter, fasciné. La personne dont il percevait les pensées était éveillée et pourtant, des songes magnifiques émanaient d'elle. C'était l'appel le plus fort qu'il eût jamais entendu. Il ne pouvait y résister.
Mais à chaque fois qu'il avait voulu remonter la piste, le contact s'était rompu aussi mystérieusement qu'il avait commencé. Puis il était passé près de chez moi, il avait ressenti un appel encore plus fort... qui l'avait conduit jusqu'à moi.
Franchement, je ne comprenais pourquoi cela le perturbait autant. Certaines personnes avaient des rêves plus entêtants que d'autres et alors ? Il me repoussa à nouveau hors de ses pensées, pour me parler cette fois.
-Tu ne sais pas tout, dit-il.
Je le trouvais étrangement nerveux. Il se leva et sortit une pile de feuillets d'un tiroir. Il hésita un peu puis me les tendit en murmurant :
-Ce sont les dessins que j'ai réalisés sous l'emprise de cet esprit...
Au premier coup d'oeil, je sus ce qui l'avait tant troublé. Le visage d'Emma apparaissait sur chacun d'eux. C'étaient ses rêves a elle qui l'avaient attiré tout d'abord.
-Elle m'a conduit à toi, affirma-t-il. Sans le vouloir, je crois. Elle a juste pensé à toi et je me suis retrouvé dans les parages. Et alors je n'ai plus perçu que ton âme...
-Tu as vraiment entendu ma soeur ?
-Oui et je l'entends encore... répondit-il d'un air sombre.
-Quoi ? Qu'est-ce qu'elle dit ? demandai-je inquiète.
Il soupira et me répondit :
-Elle appelle au secours !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sandra Sbaizero ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0