Chapitre 1 

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Ce n'est pas tant la sonnerie du réveil que les bruits étouffés provenant de la cuisine qui réveillèrent Ace. En râlant, il s'empressa de mettre fin à l'un de ses supplices et enfouit son visage dans son oreiller qui lui semblait être un doux nuage de coton. Mais le mal était déjà fait. Il savait qu'il ne devait pas se rendormir. Il maugréa, rejeta la couverture et s'étira. Le contact du carrelage froid sous ses pieds le sortit pour de bon de sa torpeur. Il ouvrit la porte de sa chambre en baillant à s'en décrocher la mâchoire.

Ace plissa les yeux pour s'accoutumer à la vive luminosité qui régnait dans l'appartement tout en traînant des pieds, en sous-vêtements, jusqu'à la cuisine. Un jeune homme, la vingtaine, les cheveux châtains coupés courts et à la musculature tant développée qu'il semblait être à l'étroit dans la petite cuisine, l'attendait, une cafetière à la main.

— Bien dormi ?

Ses yeux pétillaient de malice et Ace grogna avant de s'affaler sur un tabouret.

— Tiens.

— Merci, Andreï.

Ce dernier s'assit en face de lui pour siroter en silence sa propre tasse de café. Ace et Andreï étaient colocataires dans un petit appartement du Queens qu'ils partageaient depuis leur arrivée à New-York pour leurs études.

— Tu aurais pu t'habiller un peu plus, tu vas attraper froid, morigéna Andreï. Et puis, pense un peu à moi...

Pourtant, lui, ne portait qu'un bas de jogging, dévoilant un torse à la peau blanche.

— Comme si tu ne m'avais jamais vu à poil, répondit Ace sans relever les yeux de sa tasse.

Les deux amis se connaissaient depuis la maternelle. Issus tous les deux d'une famille d'immigrés, ils avaient trouvé en l'autre un compagnon de route et avaient affronté ensemble les moqueries de leurs camarades de classe. Ils étaient très vite devenus inséparables et avaient tout partagé ensemble : leurs premières amourettes, leur crise d'adolescence, leur soudaine et courte passion pour le football américain et même leurs premières branlettes.

— Je me rappellerai toujours la fois où je t'ai surpris en train de me mater dans les vestiaires du lycée. C'est vrai que j'en ai une plus grosse que toi, charria Andreï en gloussant.

— Arrête tes conneries, tu sais très bien que tu mens ! rétorqua sèchement Ace, d'une humeur massacrante.

Il détestait admettre que dans son adolescence, il avait jalousé un temps son ami qui avait eu sa puberté en avance. Mais depuis, leurs corps avaient bien changé : les deux compères fréquentaient une salle de musculation non loin de chez eux et travaillaient sans relâche pour se façonner un corps toujours plus musclé. Les origines russes d'Andreï lui conféraient un avantage non négligeable, avec sa mâchoire carrée et sa haute stature.

Le petit-déjeuner terminé, non sans avoir essuyé quelques piques de son ami, Ace prit sa douche pour se préparer à sa journée de cours.

Il était étudiant en première année dans une faculté de droit réputée au cœur de Manhattan. Son père avait souscrit un emprunt pour payer ses études et il se devait de réussir. Ce qui n'était pas un problème car il adorait ce domaine. Dans ses rêves, il se voyait au dernier étage d'une tour, dans un bureau avec une vue imprenable sur le quartier des affaires. Et pour les réaliser, il était prêt à tout.

Il cherchait comment s'habiller quand Andreï débarqua sans crier gare dans sa chambre.

— Tu me rejoins à la salle après tes cours ? demanda-t-il alors qu'Ace finissait d'enfiler son caleçon.

— Ouais. Mais il faut que je repasse à l'appartement pour prendre mes affaires.

— D'accord, je commencerai sans toi, lança-t-il en s'éloignant.

Ace mit la main sur un t-shirt noir et un pantalon de la même teinte. Il se demandait comment les autres pouvaient porter des vêtements colorés. Il ressemblerait à un arc-en-ciel s'il en mettait. Il se regarda dans la psyché et ses yeux se posèrent sur le tatouage qu'il avait sur son avant-bras. L'encre était sa seconde passion et s'il n'en tenait qu'à lui, il serait recouvert de tatouages, mais son porte-monnaie n'était pas du même avis.

Une dague stylisée était dessinée, symbole de son adolescence chaotique. Il avait été un enfant rebelle et avait fait souffrir son père. Il se l'était fait tatouer le jour de son anniversaire pour ses dix-sept ans, son tout premier.

Il avait également deux feuilles de pacanier qui épousaient ses clavicules, symboles d'une vie éphémère.

Un voile ternit ses yeux verts, pareils à deux émeraudes, lorsqu'ils remontèrent, comme attirés par un aimant, sur son avant-bras droit. Celui-ci avait été le plus douloureux. Il lui rappelait sa mère. Un serpent, gueule ouverte, prêt à mordre, enlaçait un cœur humain, sa queue se perdant derrière son biceps. Il semblait être le gardien de l'organe, prêt à attaquer quiconque s'en approcherait.

Il se décrocha brusquement de son reflet et claqua la porte de sa chambre.

— On se voit à la salle ! lança-t-il quand il passa devant son ami.

— нет проблем.

C'était un petit jeu entre eux : leurs parents leur avaient appris leur langue maternelle et chacun avait voulu apprendre la langue de l'autre. Ils s'échangeaient donc quelques mots en russe ou en espagnol quand l'occasion se présentait.

XXX

Le métro déposa Ace tout près de sa faculté. Bien que le quartier était récent, les bâtiments les plus anciens devaient dater de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La faculté détonait légèrement dans ce paysage métallique et moderne : elle n'avait pas échappé à la mode du béton et du fer mais son architecture démontrait qu'elle était sortie de terre dans les années quatre-vingt.

Ace grimpa les grands escaliers qui menaient à l'entrée principale. Deux jeunes gens lui firent un geste quand ils l'aperçurent.

— Voilà notre Espagnol préféré ! s’exclama la jeune femme quand Ace arriva à leur hauteur.

— C'est normal, Abby, je suis le seul que tu connais.

Elle rit et il lui claqua la bise avant de serrer la main de Matthew.

— Comment vas-tu en cette merveilleuse journée d'automne ?

Elle connaissait déjà la réponse, c'était toujours la même qu'il donnait. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de la poser pour le simple plaisir de taquiner son ami.

— Comme un lundi, marmonna Ace en farfouillant dans ses poches.

Il en sortit un paquet de cigarettes et en alluma une. Fumer dès le matin était devenu une mauvaise habitude. Mais il appréciait son plaisir coupable et de toute façon, il comptait arrêter une fois ses études terminées. Pour le moment, cela l'aidait à se canaliser.

— Figure-toi que, contrairement à toi, Matthew est bien de meilleure humeur aujourd'hui. Il m'a complimentée sur ma jolie tenue.

Elle tourna sur elle-même pour faire voler le bas de sa robe violette. Ace jeta un coup d'oeil à son ami. Les joues de Matthew rosirent derrière ses lunettes rondes et une mèche bouclée de ses cheveux châtains lui tomba sur le front.

— Tu lui as rendu la pareille ?

— Il sait déjà qu'il est adorable !

— Si vous pouviez arrêter de parler de moi comme si je n'étais pas là, intervint Matthew.

Un sourire apparut sur les lèvres de la jeune femme.

— J'aime te taquiner.

Elle se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sonore sur la joue de Matthew.

Abby était en forme aujourd'hui, comme d'habitude. C'était d'ailleurs elle qui avait abordé Ace le premier jour de leur rentrée en première année, accompagnée de Matthew. Elle s'était assise sur la table et lui avait fait un grand sourire avant de lui parler comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Ace l'avait regardée d'un air maussade, en loup solitaire qu'il était, mais elle avait persévéré et avait fini par percer sa carapace. Abby était légère et toujours souriante, une vraie bouffée d'air frais que beaucoup auraient aimé avoir dans leur vie, et pas seulement parce qu'elle était belle avec ces reflets blonds dans ses cheveux ondulés, ses yeux marron toujours rieurs et son joli minois.

Contre toute attente, Matthew en était presque l'exact opposé. Leur ami était jovial et sympathique mais très timide. Ace l'impressionnait tout autant qu'il l'admirait. Lui, n'avait pas ce charisme naturel et n'arrivait pas à prendre sa place dans un groupe. Mais ni Ace ni Abby n'avait envisagé une seconde de l'écraser. À leurs côtés, Matthew s'était révélé être une personne de confiance, un soutien émotionnel et toujours présent pour ses amis.

Ils formaient un trio improbable mais ils étaient complémentaires et chacun ressortait plus grand de cette amitié.

Ace termina de fumer sa cigarette dans l'air encore doux du matin, puis ils se rendirent à leur premier cours, non sans essuyer quelques taquineries d'Abby.

Pendant deux heures, ils allaient suivre un cours de droit de la famille, une matière qu'Ace trouvait intéressante de par son utilité. Alors qu'Abby souhaitait par dessus tout devenir Juge aux Affaires familiales, lui, se tournait plutôt vers une carrière pénaliste en tant qu'avocat. Mais le droit pénal n'était dispensé qu'à partir de la deuxième année, alors il s'était résigné à devoir attendre une année de plus.

Ils prirent place dans le vaste amphithéâtre.

— Regardez qui voilà, lança Matthew, un sourire mutin aux lèvres.

Ace releva la tête pour croiser le regard d'une jeune femme brune qui venait d'apparaître à l'entrée. Habillée de couleurs vives, sa tenue mettant en valeur ses formes généreuses, on pouvait difficilement ne pas la remarquer.

Elle remonta l'allée sans quitter Ace des yeux et lui fit un clin d'œil avant de s'asseoir sur un siège en contrebas.

Abby, qui n'avait rien manqué de la scène, éclata de rire.

— Tu la revois quand, Vanessa ?

— J'en sais rien, grogna Ace.

— Je peux t'assurer qu'elle ne veut qu'une chose : te chevaucher à nouveau le plus tôt possible, ajouta-t-elle.

Matthew ne put se retenir de rire à son tour devant l'air blasé d'Ace. Ce dernier soupira bruyamment en secouant la tête pour condamner les enfantillages de ses amis.

Depuis le début de l'année, Vanessa et lui entretenaient une liaison purement sexuelle. Il n'était pas fait pour les relations longues et stables. Il ne croyait pas en l'amour, qu'il jugeait bien trop éphémère et aveuglant.

Lorsque le cours commença, Ace se concentra. Aujourd'hui, ils abordaient les devoirs du mariage. Il sourit quand la professeure évoqua le devoir de fidélité. Bien entendu, il ne comptait pas se marier mais si ça devait arriver, il ne savait pas s'il pourrait rester fidèle. Et pour cause, il n'avait jamais eu besoin de l'être.

À la fin des cours , Ace prit congé de ses amis pour se rendre à la salle. Lorsqu'il arriva, il salua d'un signe le gérant qu'il connaissait bien. Il fit un crochet par les vestiaires afin de se changer et rejoignit la pièce où les machines n'attendaient que lui. Il aperçut Andreï en plein exercice. Il le salua, son colocataire se contenta de sourire tandis qu'il soulevait les haltères.

Les deux amis n'aimaient pas parler lorsqu'ils s'entraînaient, ne s'adressant la parole que pour échanger des conseils et des avis. Ils préféraient se plonger entièrement dans leur séance. Ainsi, Ace pouvait se vider la tête et évacuer le stress accumulé par ses études. Il avait aimé ce sport dès qu'il avait mis les pieds dans sa première salle de fitness, il y a trois ans. Depuis, c'était devenu une passion voire quasiment une addiction tant il passait de temps à sculpter son corps.

Lorsque leur séance se termina, ils rejoignirent les douches du complexe. Ace soupira d'aise lorsque l'eau ruissela sur lui et délia ses muscles endoloris. Il offrit son visage et profita de la chaleur.

— Comment s'est passée ta journée ? demanda-t-il.

A contrario, et pour une raison inconnue, ça ne les dérangeait pas de parler de leurs journées respectives lorsqu'ils se douchaient.

— Pas mal, répondit le Russe. Tu te souviens du projet que je dois présenter à la fin du semestre ?

Ace fouilla dans sa mémoire.

— Oui, ton projet d'art ?

— C'est ça. J'ai déjà quelques idées, mais il me faudrait un regard extérieur.

— Tu peux me demander quand tu le souhaites.

Andreï était en fac d'Art. Il adorait le troisième art, et il était la personne la plus calée en peinture qu'Ace connaissait. Il avait passé d'innombrables heures à contempler toutes sortes de tableaux, à lire des centaines d'ouvrages qui retraçaient la vie des plus grands peintres : Warhol, Dali, Dumas, Monet... Il pouvait en parler pendant des heures sans se lasser. Ace, que l'art n'intéressait pas voire ennuyait, essayait tout de même d'aider son ami, dans la limite de ses moyens.

Ace changea brusquement de sujet après un court silence :

— Tu as revu la fille de l'autre fois ?

— La blonde ? Non, mais j'ai bien l'intention de lui proposer un autre rendez-vous.

— Tu peux l'inviter à l'appart quand je travaillerai.

— Pas de souci ! Putain, j'ai tellement hâte. La dernière soirée était magistrale, j'ai jamais pris autant de plaisir, on n'a pas arrêté de le faire, j'étais aux anges, grogna-t-il, enthousiaste.

Ace éclata de rire en imaginant la tête que son ami devait faire à l'évocation de cette nuit. Qu'il s'amuse autant qu'il le pouvait, ce n'était pas lui qui allait l'en empêcher.

De retour à leur appartement, Andreï commanda des pizzas qu'ils engloutirent en quelques minutes. Un petit plaisir de temps en temps ne faisait jamais de mal. Il allumèrent la télé et tombèrent sur un film qu'ils avaient vu dans leur enfance. Ils passèrent la soirée à anticiper les scènes avant qu'elles n’apparaissent à l'écran.

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