Chapitre 10 

10 minutes de lecture

Ace patientait dans la bibliothèque universitaire, un stylo qu'il faisait inconsciemment tourner entre ses doigts. Tyler était en retard, comme à son habitude ; tous les autres binômes étaient déjà présents et s'étaient mis au travail. Mais cette fois, Ace gardait son calme. Ce n'était pas à lui d'être enc colère.

Son camarade arriva au moment où il essayait d'inventer un speech un peu près convenable mais pas trop niais. Tyler était toujours aussi bien habillé : il se tenait droit dans sa chemise et son pantalon, le menton haut et les yeux pouvant soutenir n'importe quel regard sans sourciller. Il fallait être aveugle pour ne pas s'apercevoir du fossé qu'il y avait entre Tyler et lui. Ce type-là, on ne lui refusait rien.

Ace eut un moment d'hésitation, pourquoi devrait-il s'excuser ? Après tout, il n'avait rien fait si ce n'est dire la stricte vérité.

Sa mère ne serait pas du même avis. Il se rappela de la fois où elle l'avait tiré par les oreilles jusqu'à la maison du garçon avec lequel il s'était bagarré au collège ; elle lui avait ordonné de s'excuser. Isabella Cruz ne rigolait pas. Si elle était encore à ses côtés, elle n'aurait pas apprécié la situation. Il savait ce qu'il devait faire.

Tyler croisa son regard et ce que put y lire Ace le mit mal à l'aise. Il déglutit et s'empourpra légèrement. Toutes les belles paroles qu'il avait préparées se volatilisèrent.

— Hey, engagea-t-il malgré tout.

Sa voix était détachée, faussement enjouée.

— Salut.

D'habitude si loquace, Tyler n'ajouta rien d'autre. Il s'assit en face d'Ace et sortit son ordinateur, tout cela dans un silence absolu.

— Tu sais quand le prof va arriver ?

— Je suis comme toi, j'attends.

Le blond sortit son téléphone de la poche et pianota. Il se basculait sur sa chaise, ignorant parfaitement Ace.

L’Espagnol baissa les yeux sur son ordinateur. Il fit semblant de faire quelques recherches et en profita pour lancer des regards à la dérobée en direction de son camarade. Ce n'était pas la première fois qu'il était mal à l'aise en compagnie de Tyler mais cette fois-ci, c'était différent : il ne parlait pas, lui qui avait toujours quelque chose à raconter. Couplé à la culpabilité qu'il éprouvait, Ace ne savait que faire.

Il finit par prendre son courage à deux mains et se lança :

— Écoute Tyler, pour la dernière fois, je...

— Tu es en train de me parler, ou je rêve ? le coupa Tyler, toujours absorbé par ce qu'il écrivait. Tu m'as bien fait comprendre que les homosexuels te dérangeaient et j'ai peur qu'on se méprenne si on te voit discuter avec moi. Je n'ai pas envie de t'infliger cette honte.

— Tu sais très bien que je n'ai pas dit ça ! s'écria Ace.

Il sentit la colère revenir et se força à inspirer pour se calmer.

— « J'en ai rien à foutre que tu prennes ton pied avec ton homme. Mais ne me mêle surtout pas à tes histoires ». Ce sont bien tes mots ? renchérit Tyler d'une voix tranchante.

Ace se mordit la lèvre, il se sentait pris au piège. Il devait rattraper la situation, sans passer perdre la face. Il le devait ou il ne pourrait plus se regarder dans la glace, et ferait honte à sa mère.

— Oui, mais tu sais très bien que je ne le pensais pas, s'empressa-t-il d'ajouter.

Tyler leva enfin les yeux et se pencha par dessus la table pour plonger son regard dans celui du brun.

— J'ai l'impression de savoir beaucoup de choses, dis donc ! À t'écouter, j'aurai dû deviner que c'était une blague. Parce que ça en était une n'est-ce pas ? Un truc sur les pd, pour rire, pour s'amuser ?

— Je... bégaya Ace, ce qu'a dit Maria m'a pris par surprise et tout le monde nous regardait...

Il ferma la bouche immédiatement, comprenant trop tard qu'il s'enfonçait. Le regard de Tyler devint plus dur, le bleu de ses yeux s'assombrit.

— Je pense qu'on va s'arrêter là, Ace. J'ai compris où tu en voulais en venir, alors pas la peine de gaspiller ta salive. Si c'est ce que tu veux, je te pardonne. Après tout, ce ne sont que des mots qu'on lance en l'air. Sans aucune importance. Dorénavant, on ne s'adressa la parole que pour le projet, rien d'autre.

Ace ne sut que répondre. Tyler avait entièrement le droit de réagir ainsi, il l'avait bien mérité. Le sentiment de culpabilité et de honte grossit dans le cœur d'Ace.

Tyler se replongea dans son téléphone et un sourire s'étala sur ses lèvres. L'Espagnol se sentit tout drôle, peut-être dû au contraste entre la froideur que le blond affichait à son égard et son sourire lorsqu'il se désintéressait de lui.

Il ne put ruminer davantage car une jeune femme avançait vers eux d'un pas déterminé, de la paperasse entre les bras. Ace l'observa lorsqu'elle se posta derrière Tyler : elle avait de longs cheveux bruns et des yeux noirs en amandes, trahissant ses origines asiatiques. Elle portait un blazer et un pantalon de costume avec un chemisier en soie bleu foncé. Son apparence était soignée, stricte et professionnelle. Ace se redressa lorsqu'elle croisa son regard, une ébauche de sourire aux lèvres ; il se doutait qu'elle n'était pas une étudiante lambda bien qu'elle ne semblait guère plus âgée qu'eux.

— Eh bien, Tyler, envoyer des messages au lieu de travailler n'est pas la meilleure des premières impressions à donner à sa professeure chargée de vous encadrer.

Sa voix était ferme et posée, et dénotait avec son air rieur.

Tyler se retourna et son visage s'illumina. Il redevint le Tyler qu'Ace avait l'habitude de côtoyer. Il eut un pincement au cœur.

— Ms. Pierce ! s'écria Tyler en faisant claquer les pieds de sa chaise sur le sol. Mais que faites-vous ici ? Non, attendez.... C'est vous notre professeure référente ?

Elle s'assit sur la chaise restante.

— C'est une si mauvaise nouvelle pour toi ?

— Comment pouvez-vous penser cela ? Vous savez bien que vous êtes ma professeure préférée !

— Les flatteries ne fonctionnent pas avec moi, Mr. Scott.

Tyler semblait avoir retrouvé son entrain. Le regard d'Ace passait du blond à la femme brune qui se tenait devant lui. Il ne comprenait rien, comment pouvait-elle être leur professeure ? Et pourquoi Tyler lui parlait comme s'ils étaient de bons amis ?

— Vous voulez dire que vous nous aiderez pour notre mémoire ? intervint-il.

Ms. Pierce se tourna vers lui :

— C'est exact. Je me présente, je suis Ms. Pierce et je suis référente dans ce programme depuis quelques années déjà. J'ai la double casquette de professeure en droit pénal à la faculté et avocate au Barreau de Manhattan. J'ai entendu que vous recherchiez justement une spécialiste, alors me voici, ajouta-t-elle dans un clin d'œil.

— Et je suis bien content que ce soit vous ! Vous n'imaginez pas l'enfer si on avait eu un autre professeur... J'ai oublié son nom, grogna Tyler en se frappant le front.

— Ne dites pas de mal de vos enseignants ! rouspéta Ms. Pierce. De toute façon, je suis sûre qu'il n'aurait pas accepté de t'encadrer.

Tyler posa les mains sur son cœur comme si ces paroles l'avaient blessé.

— Et toi, tu es Ace Cruz, c'est bien ça ? J'ai ton camarade en cours et je sais à quel point il est... énergique.

Elle lança un regard en coin au principal intéressé qui lui offrit son sourire angélique dont il avait le secret. Ace était déboussolé face à cette femme. Il se demandait comment elle pouvait être professeure et avocate en même temps, tout en rajoutant le programme dont ils faisaient partie à son emploi du temps. Comment pouvait-elle avoir autant d'aplomb alors qu'elle ne devait avoir qu'une expérience limitée du métier ? Elle devait exercer depuis une ou deux années, tout au plus. Ace était admiratif.

— Cela te dérange si je t'appelle par ton prénom et que je te tutoie ? Je trouve que cela fait moins impersonnel et pour tout te dire, j'aurai l'impression d'être moins vieille...

— Non pas du tout, répondit-il en lui renvoyant son sourire.

Il se figea immédiatement. C'était la première fois qu'il souriait à une inconnue aussi sincèrement depuis la mort de sa mère. Il émanait tant de bonté de la jeune femme qu'Ace se sentait apaisé. D'habitude, les profs et lui, ce n'étaient pas une grande histoire d'amour. Ils étaient bourrés de préjugés sur ce jeune homme tatoué et musclé avec un air revêche. Si Ace était déjà un élève perturabteur pendant son enfance, c'était allé en empirant après la disparition de sa mère. Il avait frôlé l'exclusion de peu, ses bonnes notes lui avaient sauvé la mise.

Ms. Pierce ne connaissait rien de lui, mais ne l'avait pas jugé de prime abord ; elle s'adressait à lui comme à n'importe lequel de ses élèves. En cela, Ace la remerciait.

Sentant un regard sur lui, Ace tourna la tête vers Tyler. Ils se regardèrent dans les yeux un court moment, instant qui suffit à le déstabiliser lorsqu'il y vit une étrange lueur.

— Bien, une bonne chose de faite, s'écria Ms. Pierce lorsqu'elle finit de remplir une feuille, reconnectant Ace à la réalité. Maintenant je vais vous expliquer ma façon de travailler, et la vôtre par extension. J'ai pour habitude de laisser travailler mes étudiants de façon autonome, tout en restant disponible pour les aider. Je ne veux pas que ce projet devienne un handicap pour vous. Au contraire, il est là pour vous montrer ce qu'on attend de vous dans les années futures. Par conséquent, si vous avez la moindre question, si vous rencontrez la moindre difficulté, et que vous n'avez pas réussi à trouver une solution, venez m'en parler. Je trouverai toujours un moyen d'être joignable. Je suppose que vous avez échangé vos numéros de téléphone ?

— Yep.

— Parfait. Dans ce cas, je vous propose de faire de même avec moi. Ça sera beaucoup plus simple de se contacter rapidement.

Ace ouvrit grand les yeux. Depuis quand un professeur donnait son numéro à des étudiants ? Ils s'exécutèrent néanmoins.

Une fois cela fait, Ms. Pierce revint à leurs moutons.

— Maintenant parlons de votre mémoire. Avez-vous réfléchi à votre sujet ?

— Bien sûr, répondit Tyler. « La notion de consentement dans une affaire d'agression sexuelle ».

— On voudrait se poser la question de comment prouver que la victime n'a pas consenti à l'acte, expliqua Ace. Un examen médical lorsqu'il y a eu pénétration entre autres, ne révèle pas si la victime était consentante ou non. En gros, c'est la parole de la victime contre celle de l'agresseur présumé.

— C'est un sujet intéressant, commença Ms. Pierce après un silence. Il reste assez centré sur un point mais sans être trop restreint non plus.

— Nous avons commencé à faire des recherches.

Tyler tourna son ordinateur de sorte que Ms. Pierce puisse lire les quelques notes inscrites.

— C'est très bien pour un début, les complimenta-t-elle. Mais il faut revoir deux ou trois petites choses.

Ils passèrent trois heures à travailler. Ms. Pierce leur expliqua les méthodes pour prendre des notes, la méthodologie de la rédaction de mémoire et les aida à sélectionner des articles de presse parmi les rayons de la bibliothèque ou sur Internet. Elle leur donna des brochures de témoignages d'anciens participants au programme.

Malgré la fatigue que ressentait Ace, un étrange sentiment de satisfaction l'envahit. Même si Tyler ne lui avait que très peu adressé la parole, Ms. Pierce était une jeune femme pleine d'entrain et avait contaminé Ace. Il était impossible de ne pas se sentir à l'aise en sa présence. L'espace de quelques heures, il avait oublié tous ses problèmes et s'était seulement concentré sur un but précis.

La professeure finit par les quitter après avoir réitéré ses conseils et leur souhaité bon courage. Tyler rangea ses affaires en silence. Peut-être voyait-il du coin de l'œil Ace se craquer les doigts nerveusement mais il ne fit aucun commentaire.

Lorsqu'Ace le vit quitter la table sans même le saluer, son cœur accéléra dans sa poitrine. Il devait faire quelque chose, sinon ça deviendrait de pire en pire. Si s'excuser ne fonctionnait pas, alors il devait obtenir son pardon. Quand bien même une partie de lui jugeait le comportement de Tyler puéril.

Il se leva d'un bond pour rattraper Tyler, abandonnant ses affaires.

— Tyler, attends !

Il vit distinctement les épaules de son partenaire se lever pour s'affaisser, avant qu'il ne se retourne.

— On dirait bien que les rôles viennent de s'inverser, railla-t-il en plongeant ses yeux dans ceux d'Ace.

Ils étaient ternes et glacials. Mais curieusement subjuguant.

Tyler passa une main dans ses cheveux. Là, planté devant lui, Ace se sentait comme un accusé devant un juge, détenant le pouvoir de l'envoyer ou non, en prison. Il se sentit totalement démuni. Il n'arrivait pas à lire les pensées de Tyler, et rien n'indiquait que son camarade était d'humeur clémente.

— Écoute, j'ai été un vrai con avec toi... commença Ace.

— Ça, je te le fais pas dire !

Il déglutit.

— Excuse-moi, sincèrement. Je ne savais pas ce que je disais, je... je sais pas quoi te dire, pourquoi j'ai fait ça.

Tyler continuait de le scruter sans ciller. L'embarras d'Ace augmenta à mesure qu'il se noyait dans l'océan de ses yeux.

— Ça te dit de venir chez moi samedi après-midi ?

La bombe était lancée, il était trop tard pour la retirer. Perdu, il s'enfonça davantage.

— On pourrait continuer notre projet. Je n'invite pas n'importe qui chez moi, ajouta-t-il avant de se mordre la lèvre sous le regard amusé de Tyler.

— C'est donc un honneur d'être invité chez Ace Cruz ?

Ace avait terriblement chaud. Ses yeux évitaient à tout prix ceux de Tyler, cherchant désespérement un autre point d'ancrage.

— Hum... Oui, si tu veux.

— Et je ne veux pas venir chez toi pour le mémoire ?

Le cœur d'Ace se compressa dans sa poitrine.

— Mais plutôt pour qu'on samuse !

Cette fois-ci, il rata un battement tandis que les lèvres de Tyler s'étirèrent en un sourire charmeur.

— S'amuser ? répéta pathétiquement Ace.

Tyler éclata de rire devant son visage effaré.

— Il faut vraiment qu'on travaille ton sens de l'humour ! C'est d'accord, j'accepte. Seulement parce que c'est toi.

Ace roula des yeux, son cœur reprenant son rythme normal. Il retrouva un peu de son assurance.

— Je t'enverrai l'adresse par message, souffla-t-il.

— Ça marche. Ah et promis, je ne te sauterai pas dessus.

Le sourire du blond s’agrandit encore avant qu'il ne tourne les talons, laissant un Ace complètement désemparé face à la sensation naissante au creux de son estomac.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Alex’s_18 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0