— Regardez qui arrive, lança Abby en se retournant subitement.

Ace, qui marchait derrière elle, manqua de lui rentrer dedans.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Tyler se dirige vers nous, chuchota Matthew.

Les trois compères venaient à peine d'entrer dans les locaux de la fac que Tyler réussit à leur mettre le grappin dessus. Ace grimaça ; il prenait son rôle d'ami très à cœur.

— J'aurais préféré que ce soit le mien... regretta Abby.

Elle lorgna Morgan, qui attendait son camarade, adossé au mur du couloir.

— Salut, vous allez bien ? s'écria Tyler lorsqu'il arriva à leur hauteur. Je ne crois pas qu'on se soit déjà présenté : je suis Tyler, le partenaire d'Ace pour le projet. Tu dois être Abby ?

La jeune femme hocha la tête, un sourire béat aux lèvres.

— Morgan m'a parlé de toi, expliqua Tyler avec un clin d'œil.

Abby s'empourpra et jeta un regard à Morgan.

— Et tu es... ?

— Matthew.

— Enchanté ! Eh bien, Abby, Matthew et Ace, j'ai une proposition à vous faire : j'organise une petite soirée samedi prochain, chez moi. Ça vous dirait de venir ?

— Mais carrément ! s'exclama Abby, folle de joie. Vous êtes partants les gars, hein ?

— Pourquoi pas, accepta Matthew dans un sourire.

— Je ne sais pas, intervint Ace. Je travaille samedi soir...

— Oh allez, le supplia Abby. Ce n'est pas souvent qu'on a l'occasion de sortir faire la fête tous les trois. On va s'éclater à cette petite soirée.

Elle jeta un regard en biais à Tyler. Second clin d'œil. Ace ne s'étonnait pas que Tyler soit un véritable Don Juan.

— Je ne peux pas, je dois bosser. Mais une prochaine fois. Et tu sais que les soirées comme ça, très peu pour moi.

— Il n'y a pas moyen de t'arranger ? Ça sera une soirée chill, avec un peu de musique et beaucoup de papotages. Ça me ferait vraiment plaisir que tu viennes, appuya Tyler.

Ace hésita, surpris par ce que venait de lui dire le blond. Il savait déjà que Dean accepterait certainement d'échanger leurs horaires, et James n'y trouverait rien à redire ; ce n'est pas la première fois que l'équipe s'arrangeait ainsi. D'un autre côté, il n'était pas du tout dans son élément dans ce type d'évènements, entouré d'inconnus bien trop alcoolisés au comportement souvent déplacé. Il regarda Abby avec ses yeux de chien battu puis Tyler, et son sempiternel sourire. Enfin, Matthew hocha imperceptiblement la tête.

Il soupira. Il ne passerait qu'en coup de vent, juste assez longtemps pour leur faire plaisir. Il se promit de déguerpir le plus tôt possible.

— Je suppose que quelqu'un acceptera d'échanger son jour avec moi.

— Super ! Je vous enverrai l'adresse. À samedi, alors, les salua-t-il avec un geste de la main, avant de rejoindre Morgan.

Abby attendit encore quelques secondes avant d'exploser de joie.

— J'y crois pas, on est invités à une soirée chez Tyler Scott !

— Ça va, calme-toi Abby, ce n'est pas le Président non plus, rétorqua Ace.

— Bien sûr que non, idiot, répondit Abby. Mais si Tyler organise une soirée, Morgan sera forcément là et je suis absolument po-si-tive que la fête sera géniale. Merci, Ace c'est grâce à toi !

Le jeune homme lui lança un regard interrogateur.

— Ce qu'Abby veut dire, c'est qu'il est ton camarade pour le programme et s'il veut t'inviter, il doit nous inviter aussi sinon il y aurait de fortes probabilités que tu n'acceptes pas, quand bien même tu es son ami.

— Tu décryptes le Abby, maintenant toi ?

— Et je rajouterais même qu'il en pince pour toi. (Elle leva les yeux sur un Ace silencieux) Crois-moi, je m'y connais sur ces choses-là ; ça crève les yeux que tu lui plais, même Matt peut le voir.

— Euuh... Peut-être, hésita Matthew en regardant tour à tour ses amis. Disons qu'il t'apprécie sinon il ne t'aurait pas invité.

— N'importe quoi, Abby, les rabroua Ace. Ce n'est pas parce qu'il est bi qu'il saute sur tout ce qu'il bouge. Et je peux vous assurer que je ne l'intéresse pas du tout. Ahora, vamos a clase.

Il s'éloigna d'un pas vif en direction de la salle de cours.

Malheureusement pour lui, les mots d'Abby ne cessèrent de tourner dans sa tête toute la journée, l'empêchant de se concentrer pleinement sur les cours. Il en venait à regretter d'avoir accepté l'invitation de Tyler. Il ne pouvait pas retirer sa parole alors il envisageait de mentir. Abby se faisait des films, comme à son habitude. Qu'elle s'occupe de son Morgan et qu'elle lui fiche la paix.

Après ce qu'il s'était passé l'autre jour, quand il avait... malmené Tyler, c'était inconcevable. Tyler avait même failli ne jamais lui pardonner et il ne faisait aucun doute qu'il avait pris sur lui pour qu'ils deviennent amis, quand bien même c'était sa volonté. Et puis de toute manière, il n'était pas pd, alors c'était réglé.

Le souvenir de l'après-midi en compagnie de Tyler chez lui ressurgit dans son esprit. Il n'avait pas passé un si mauvais moment que ça, et la conversation avait même été agréable. Mais c'était une discussion amicale, c'est tout. Ils avaient chacun appris un peu plus sur l'autre, comme devrait le faire deux amis. Abby avait tort, un point c'est tout. Et il irait à cette stupide soirée comme tout bon ami qui a été invité.

XXX

Ce soir-là, Ace travaillait, il en profita pour demander à Dean s'il acceptait l'échange. Le jeune homme, toujours prêt à rendre service, accepte de bonne grâce. De toute manière, il n'avait rien de prévu. Ace lui promit de lui rendre la pareille.

Il n'avait pas besoin de demander l'autorisation de son patron, James leur laissait une grande liberté du moment que le bon nombre d'employés étaient présents. Le samedi était la soirée où la Jouvay accueillait le plus de clientèle. Face à la bonne réputation dont jouissait l'établissement ces derniers temps, James avait embauché deux intermittents pour les seconder. La première, Rose, était une jeune femme très avenante et dynamique, mais avec un fort caractère, nécessaire dans le monde de la nuit. Le second, Ben, était un homme plus âgé qu'Ace. Lui et Jordan semblaient s'apprécier, d'après ce que pouvait voir Ace. Peut-être était-ce parce que leur emploi du temps était souvent compatible. Quoi qu'il en soit, le simple fait de les voir sympathiser n'incitait pas Ace à se rapprocher à son tour.

À la fin de son service, Ace retrouva Dean dans le vestiaire. Il le salua alors qu'il allait entrer dans les douches. Il avisa son sac de sport et soupira. Autant en prendre une tout de suite, il n'aura pas le courage de la prendre chez lui.

— Je vais prendre une douche, lança-t-il à Dean qui s'éloignait avec sa serviette contre son corps.

Dean leva son pouce en l'air avant de disparaître dans une cabine. Ace prit celle d'à côté et alluma le robinet. Aussitôt l'eau s'écoula sur lui qu'il ferma les yeux, s'abandonnait à la chaleur qui l'enveloppait. La fatigue s'abattit sur lui telle une massue, il posa les deux mains contre le mur pour ne pas se soutenir. Si la voix de Dean ne lui avait pas subitement fait ouvrir les yeux, il se serait sans doute assoupi debout.

— Je crois que je suis amoureux.

Seule l'eau chutant sur le carrelage empêchait le silence de s'installer. Ace redressa la tête, surpris. Il ne s'attendait pas à une telle annonce. Non pas qu'il était content pour son collègue, bien qu'il doute de l'amour, mais la révélation était soudaine, lui qui était convaincu il y a encore deux semaines qu'il ne pourrait pas trouver quelqu'un.

— Ace... ?

— Oui, oui je suis là. C'est formidable, Dean. Qui est l'heureuse élue ?

— Tu... tu ne la connais pas.

Il y eut un instant de silence lorsque Dean coupa l'arrivée d'eau.

— Je sais que l'amour et tout ça, ce n'est pas trop ton délire, mais j'aurais besoin de... de ton avis.

Ace comprit qu'il préférait rester dans la cabine.

— Si je peux t'aider, alors dis-moi.

— Elle ne sait pas ce que je ressens. Et j'ai peur de le lui avouer, ajouta-t-il d'une petite voix.

— Il faut que tu prennes ton courage à deux mains, Dean. Sinon, comment veux-tu qu'elle le sache ?

— Je sais. Sauf que j'ai peur de sa réaction, je ne pense pas que ce soit réciproque.

— Tu ne le sauras jamais si tu ne lui en parles pas, expliqua Ace d'une voix qui se voulait rassurante. Tu sais, ça m'est aussi arrivé de prendre des râteaux.

— Toi ? s'exclama Dean en gloussant. Tu ne me feras pas croire ça.

— Bien sûr que si ! Quand j'étais plus jeune, je ne ressemblais pas à ce à quoi je ressemble aujourd'hui. D'autant plus que j'avais un très mauvais caractère. Je suis tombé amoureux d'une fille au lycée, enfin disons plus que c'était un béguin. Quand j'ai enfin eu le courage de le lui dire après des mois à la regarder à la dérobée, à tenter de me rapprocher d'elle, elle m'a regardé avec un regard peiné en disant qu'elle ne ressentait pas la même chose. J'ai eu mal, et puis je suis passé à autre chose.

— Je crois... je crois que c'est la première fois que je suis amoureux de quelqu'un comme elle.

— Alors elle devrait se sentir flattée ! Et si ça marche, tu pourras vivre une belle histoire !

Sur ce dernier point, Ace croyait à moitié ce qu'il pensait. Toutes les bonnes choses avait une fin, l'amour n'y échappait pas. Mais si Dean croyait aux contes de fées, grand bien lui fasse.

— Hmhm, peut-être. Merci, Ace.

Il sortir des douches. Ace se lava rapidement et se dépêcha d'enfiler son caleçon propre pour rejoindre Dean.

— Tu sais, Dean, si j'ai un dernier « conseil » à te donner, (Ace mima les guillemets, ce qui fit sourire le jeune homme), c'est de ne pas trop tarder. Si tu es sûr de tes sentiments, fonce.

Dean hocha la tête.

— Merci de m'avoir aidé. J'essayerais de t'écouter, mais je ne garantis rien.

Il rangea ses affaires et se tourna une dernière fois vers lui.

— À plus, Ace. T'es vraiment quelqu'un de bien, derrière ta carapace. Je suis content de te connaître.

— Merci... souffla Ace, surpris.

Les joues de Dean rosirent avant qu'il ne s'enfuît des vestiaires. Une fois seul, Ace s'affala sur le banc. Il se sentait complètement vidé.