Chapitre 17

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Cela faisait plusieurs jours qu'Ace n'avait pas quitté sa chambre. Il ne cessait de ruminer ses pensées, plongé dans le noir complet. Andreï désespérait de lui venir en aide, son ami s'était muré dans un silence profond, lâchant rarement quelques mots. Au début, il avait cru qu'il avait besoin de faire le point sur lui-même. Tyler était entré dans sa vie comme une véritable tornade, et le cyclone avait fait des dégâts. Peut-être qu'ils étaient nécessaires, que la vie d'Ace devait être bouleversée. Mais pour le moment, il souffrait et l'impuissance dans laquelle se trouvait le Russe lui faisait s'inquiéter.

Ace était allongé sur son lit, le regard fixé sur le plafond qu'il ne parvenait pas à voir. Pourtant, il continuait de le contempler, coquille vide abandonnée par son âme. Si les premiers jours, il avait ressassé sans cesse les jours précédents, le visage de Tyler venant le hanter, aujourd'hui, ce n'était plus le cas : il ne ressentait ni la faim, ni le froid et n'avait aucune énergie ni envie à combler. C'était comme s'il s'était détaché de tout, comme s'il n'existait plus. Il n'avait envie de rien, ne voulait penser à rien.


La porte de sa chambre s'ouvrit, permettant à la lumière du jour de percer la noirceur des ténèbres qui avaient envahi la pièce. Une ombre se profila sur le sol, elle n'osa pas entrer complètement. Le jeune homme ne bougea pas d'un muscle.

— Ace ?

Andreï se mordit la lèvre. Il réitéra son appel, sans succès. Son ami ne daignait même pas le regarder.

— Essaye, toi.

Des pas se firent entendre et l'ombre par terre changea.

— Ace, c'est Abby. Matthew est là aussi.

Enfin, il eut une réaction. Il fronça les sourcils, tourna la tête. Il dut plisser les yeux tant la lumière, bien que peu vive, lui brûla la rétine.

— Andreï nous a appelés. Tu... tu ne peux pas rester comme ça, éternellement. Il faut que tu sortes de là.

Abby posa un pied sur le sol de la chambre, avança jusqu'à lui. Elle lui sourit avant de s'asseoir sur le bord du lit.

— On est là pour toi. Même si tu ne veux pas nous parler de ce qui ne va pas, de ce que tu ressens et... et tout. Tu peux compter sur nous. On sera toujours là.

Elle effleura du doigt la jambe d'Ace, posa la main dans un geste réconfortant. Il baissa les yeux. La chaleur qui se dégagea de ce contact fut comme un choc : son esprit se débattit dans sa prison chimérique. Il voulait s'échapper de là, sortir de cette torpeur qui l'annihilait lentement. Continue, continue de me parler.

— On a pensé à se faire une petite soirée, tous les quatre. On ne l'avait jamais fait, ça pourrait être une petite idée. Parler de tout et de rien, jusqu'au bout de la nuit. Et Matthew a ramené quelques bouteilles, tu te rends compte, lui qui n'aime pas boire ! Elle rit légèrement. Tu nous rejoins ?

Abby lui tendait la main. Il n'avait plus qu'à la saisir. Il devait la saisir. Il voulait la saisir.

— Tu prends une douche et tu viens ? Andreï va commander des pizzas.

La voix ensorcelée de la jeune femme fit exploser les barrières de la prison. Le corps d'Ace fit un soubresaut, il battit des cils.

— T'es partant ?

Ace vit enfin son amie : il croisa son regard chocolat, aperçut son sourire chaleureux. Elle était là parce qu'elle s'inquiétait, parce qu'elle était là pour lui. Parce qu'elle l'aimait.

Ace hocha la tête. Le visage d'Abby s'illumina.

— Viens.

Elle se leva. Ace mit pied à terre. Son corps protesta en craquant, mais Ace était déjà debout. Enfant docile, il suivit Abby, et émergea dans la lumière électrique de la salle de séjour. Il plaqua un bras protecteur sur ses yeux, le temps de s'habituer à la luminosité. Matthew était assis sur le canapé, Andreï était debout, les mains dans les poches. Sur leur visage, se lisait un soulagement intense.

— La soirée n'attend plus que toi !

Ace se racla la gorge plusieurs fois avant que ses cordes vocales ne se déccidèrent à reprendre leur rôle.

— J'arrive.

Il ne reconnut pas sa voix rauque. Ses amis lui signifièrent qu'ils allaient patienter. Ace se rendit dans la salle de bains.


Lorsqu'il en sortit, Andreï arrivait en même temps avec des bières dans les mains.

— Super ! Installez-vous, je vous sers.

Il ouvrit les quatre bouteilles et les donna au groupe.

— Je crois bien que c'est la première fois qu'on prend le temps de se connaître vraiment, commence-t-il en s'asseyant à même le sol.

— C'est vrai qu'on ne se connaît pas tellement, nous trois, acquiesça Abby en la désignant avec Matthew. C'est Ace qui fait le point d'ancrage.

Elle se tourne vers lui. Il ne répond rien mais hoche la tête.

— Alors, comment ça se passe la fac ?

Matthew se tourne subitement vers Ace. Peut-être pas le sujet à aborder ce soir... L’Espagnol a le regard perdu dans le vide, il triture le goulot de sa bouteille.

— Eh bien... plutôt bien, on va dire. Le rythme est dur mais on s'accroche et on commence à avoir l'habitude.

— Vous voulez faire quoi plus tard tous les deux ?

— Je voudrais devenir juge, et si possible, me spécialiser dans les divorces et tout ce qui touche à l'autorité parentale des enfants, mais aussi le droit des mineurs.

Andreï siffla.

— C'est réfléchi !

Abby fit une petite moue.

— C'est vrai. J'ai toujours trouvé ça horrible, ses familles déchirées qui s'étripent un peu plus pour la garde de leur enfant. Les pauvres souffrent bien plus que les adultes de cette situation, alors j'aimerais faire ce qui est de plus juste pour eux, et pour leurs proches. J'ai toujours aimé les enfants. Si vous saviez à quel point j'ai cassé les pieds à mes parents pour avoir un petit frère ou une petite sœur.

— Ça a marché ?

— Non.

Elle lui lança un regard désabusé qui le fit rire.

— Et toi, Matthew ?

— Moi, j'ai une sœur (Abby soupira bruyamment ce qui les fit ricaner). Blague à part, je ne sais pas trop, encore. Je me tournerais plus vers une carrière dans l'administration fédérale, pourquoi pas la politique aussi.

— J'ai l'impression de faire tache parmi vous, avec mon école d'art, grimaça Andrew avant de boire une gorgée.

— Ne dis pas ça ! Que ferions-nous sans les arts pour nous divertir ? La musique, le cinéma, la peinture...

Matthew leva sa bière pour donner son assentiment. Abby entrechoqua la sienne.

Ace n'avait pas décroché un mot. Mais il écoutait attentivement, ses yeux allant de l'un à l'autre de ses amis. Il ne parlait pas, ne partager par ses pensées, mais il était là, dans le moment présent.

Quand la sonnette de l'appartement retentit, Andreï allait chercher les pizzas. Elles ne firent pas long feu : elles furent engloutis en une poignée de minutes par le groupe d'amis. Si Ace picorait au début, son corps réclama très vite son dû et il ingurgita sa pizza à une vitesse folle ; il ne s'était pas nourri convenablement depuis plusieurs jours.


La conversation ne s'arrêta pas une minute tandis que la nuit tombait sur la ville. Bientôt, les cartons furent débarrassés et Matthew sortit ces présents : la table basse fut envahi de bouteilles et de verres.

— Vérité !

Est-ce que tu aimerais qu'Abby soit ta muse pour ton projet ?

Andreï lança un regard surpris à Matthew, des bulles dansants déjà dans ses yeux.

— Pourquoi pas... Objectivement, elle est belle alors le tableau en serait embelli... Ne crois pas que... !

Trop tard, Matthew siffla entre ses dents tandis que les joues d'Abby s'enflammèrent.

— Arrêtez les mecs, je suis casée je vous signale.

Andreï leva les mains en signe de reddition.

— Je n'ai rien dit.

Elle lui fit une moue qui trahit son doute.

— Allez, à mon tour ! Action.

Andreï sourit de toutes ses dents. La jeune femme sut qu'elle allait le regretter.

— Puisque tu es en couple, tu as déjà dû te lier charnellement avec ton amoureux. Imite un orgasme que tu as eu avec lui.

Les lèvres de la jeune femme formèrent un O avant qu'elle ne ferme la bouche.

— Et s'il ne m'en a jamais donné ?

Un flottement parcourut l'assemblée, tous ouvraient grand leurs yeux. Soudain, ils éclatèrent de rire.

— Dis-moi que c'est pas vrai, gémit Matthew en enlevant ses lunettes pour essuyer les perles d'eau salée aux coins de ses paupières.

— Bien sûr que si, c'est déjà arrivé, les rassura-t-elle. Mais jamais je ferais cette action. Je bois. Ou alors, je sais !

Elle se leva d'un bond, faillit glisser et se rattraper in extremis à l'accoudoir du canapé, ce qui valut un nouvel élan de rire.

— Je vous fais la danse que j'ai faite à Morgan un soir pour le séduire.

— Tu bois et tu la fais, répliqua Matthew, le sourire aux lèvres.

Elle plongea ses yeux dans les siens.

— Deal.

Elle finit son verre d'une traite, grimaça sous l'effet de l'alcool lui brûlant la gorge et chuchota quelque chose à l'oreille d'Andreï. Il écarquilla les yeux.

— Tu ne vas pas...

Elle lui lança un regard de défi. Andreï secoua la tête en gloussant mais s'exécuta. Quelques secondes plus tard, Gasolinade Daddy Yankee résonna dans l'appartement. Matthew poussa un cri de stupeur, même Ace n'en resta pas de marbre. Elle n'allait quand même pas...

La jeune femme tourna sur elle-même à la recherche de quelque chose. Elle trouva et se jeta sur le balai qui traînait dans un coin de la pièce. Au même moment, les paroles de la musique se jouèrent. Abby commença à se déhancher, se servant du manche comme d'une barre de pole dance. Elle enchaîna les roulements de bassins, sous les exclamations des jeunes hommes qui l'encouragèrent. Son déhanché était à faire perdre la tête des plus braves, les origines hispaniques d'Ace en prirent un coup.

Lorsque la chanson prit fin, Abby se laissa tomber sur le canapé, épuisée, en écrasant à moitié Matthew, qui ne protestait pas, occupé à calmer son fou rire incontrôlable.

— Abby, putain, j'y crois pas...

— Tu as tout mon respect, lança Andreï en s'inclinant.

Elle lui sourit et lui fit un clin d'œil.

— À toi, s'écria-t-elle en pinçant Matthew sous elle.

— Aïe ! Action.

— Fais un petit bisou tout mignon à notre cher ami, minauda-t-elle en pointant du doigt Ace.

Le brun roula des yeux, un timide sourire aux lèvres.

— Il faut que tu lèves ton gros cul pour ça.

— Il est pas gros !

— J'en connais un qui doit être content.

—Dis donc, toi !

Matthew gloussa. Débarrassé du poids, il s'approcha d'Ace. Il prit son visage entre ses mains et lui déposa un baiser sonore sur la joue de son ami. Abby et Andreï applaudirent, Ace sourit.

— À toi.

— Vérité, répondit Ace après un instant.

Abby et Matthew échangèrent un regard avant que ce dernier ne se lance.

— Est-ce que tu vas bien, Ace ?

Son visage se ferma, ce qui n'empêcha pas son ami de continuer.

— On sait qu'avec Tyler, ça ne va pas, en ce moment. Mais il n'y a rien d'autre ?

— Non.

— Tu sais ce que tu vas faire ? Qu'est-ce que tu penses de tout ça ?

Il plongea son regard dans son verre.

— Je ne sais pas, finit-il par souffler d'une petite voix. Je suis toujours aussi... en colère contre lui. Mais... il n'est pas responsable de tout et... il a fait des erreurs, comme j'en ai fait aussi par le passé. Je devrais, oublier ?

Il leva les yeux.

— Peut-être qu'avoir une conversation avec lui serait un bon début, osa Abby.

— Il n'a rien fait d’irréversible, appuya Andreï. Vous avez chacun votre part de responsabilité.

— Peut-être.

Ses amis n'ajoutèrent rien. La discussion était close.

— À mon tour, lança Abby. Je dis... Vérité !

— Que penses-tu d'Andreï ? demanda Matthew, en regardant par dessus son verre.

— Eh bien... Je lui retourne le compliment de tout à l'heure, c'est un bel homme, et peut-être, j'ai dit peut-être qu'il m’attirerait si je n'avais déjà pas Morgan dans ma vie.

Matthew poussa une exclamation, la jeune femme mima une morsure à Andreï qui lui fit un clin d'œil.

— Mais désolé mon ami, j'ai déjà trouvé l'homme de ma vie et je ne le lâcherais pour rien au monde. Vraiment, ce mec me rend folle, il est magnifique, gentil, et il me fait rire, même s'il me tuerait pour le faire passer pour un ours en peluche.

— Et de Matthew ?

Elle se tourna vers Ace.

— Matthew ? (elle regarda l'intéressé) C'est une belle rencontre, et un très bon ami. Je suis contente de le connaître. Je sais qu'il est toujours là pour nous, qu'il m'épaulera. Et on peut compter sur lui pour prendre les choses en main quand la situation le demande.

Elle faisait allusion à la dernière fois, où Matthew avait séparé Ace et Tyler, allant jusqu'à hausser le ton.

— Bref, je l'aime !

Elle rit et se servit un verre. Ace jeta un coup d'œil au jeune homme. Il était complètement absorbé par ce qu'il y avait dans son verre mais ni ses lunettes ni ses mèches de cheveux n'arrivaient à camoufler la rougeur de ses joues.

Le jeu s’enchaîna encore de longues minutes, profitant du temps qui semblait suspendu afin que le groupe d'amis se retrouvent enfin.


Une musique apaisante était diffusée par les petites enceintes du salon, le salon était quasiment plongé dans le noir si on exceptait la fable lueur qu'apportait une lampe d'appoint. Abby et Matthew débattaient sans élever le ton sur lequel des deux avaient bu le plus de verre, Andreï s'amusant à jeter de l'huile sur le feu par des répliques bien placées. Ace regardait ses amis, assis sur le canapé. Une douce chaleur se propagea alors dans son estomac et remonta jusque dans sa poitrine. L'ombre d'un sourire aux lèvres, ses yeux pétillaient, certainement dus à l'alcool. Mais aussi à autre chose. Il se sentait plus tranquille qu'il ne l'avait jamais été après ces jours passés dans la noirceur de son esprit. Il se trouvait à sa place, ses amis étaient là pour lui et il se devait d'être là pour eux. Ils n'allaient pas l'abandonner.

Merci, pensa-t-il.

— Merci, chuchota-t-il.

Aussitôt, ils s'interrompirent et se tournèrent vers lui. Un grand sourire fendit le visage d'Abby, Matthew leva le pouce en l'air, Andreï hocha la tête.

La chaleur se mua en un doux feu, le réchauffant et chassant la froideur des ténèbres.

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