Chapitre 26

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— Ace, Ace ! Allez, réveille-toi !

Le jeune homme émergea d'un épais brouillard en grognant. Il papillonna des yeux, la première chose qu'il vit fut le visage de sa sœur penché au-dessus de lui. Il marmonna quelque chose d'incompréhensible et se retourna de l'autre côté.

— C'est pas le moment de faire la grasse mat'. Il neige dehors ! S'écria la jeune femme en bondissant sur le lit.

Elle s'agita sur la couverture, tirant dessus pour forcer son frère à se lever.

— Cassie, fous-moi la paix ! Je suis en vacances, j'ai le droit de dormir.

Il arracha brusquement le drap des mains de sa sœur et enfouit la tête en dessous.

— Tu ne veux pas profiter de ta petite sœur, c'est ça ?

Il soupira, la voix mielleuse de Cassie faisait effet.

— Tu as quinze ans, tu as passé l'âge de t'extasier devant de la neige.

— Cassie ! s'éleva la voix de leur père en bas. Descends prendre ton petit-déjeuner et laisse ton frère tranquille.

La jeune fille ronchonna en descendant du lit. Pour se venger, elle s'appuya sur les jambes de son frère.

— Je vais te tuer, menaça Ace en ravalant un cri de douleur.

Elle se précipita vers la fenêtre et l'ouvrit en grand pour laisser passer la lumière du jour et la fraîcheur de décembre.

— Cassie !

Elle s'empressa de détaler dans un gloussement. Ace aimait sa sœur, c'était vident. Mais elle pouvait vraiment se comporter comme une petite peste, quand elle le décidait.

Rassemblant tout son courage, Ace sortir de sous la couette pour fermer la fenêtre. Il regagna rapidement la chaleur de son lit, mais le mal était déjà fait. Il laissa son regard parcourir sa chambre d'enfant. Rien n'avait bougé depuis son départ ; elle était décorée selon les goûts d'un jeune ado rebelle et paumé : posters de foot et de boxe se partageaient la place sur les murs, un skateboard était posé contre son armoire et derrière une affiche d'un groupe de musique se cachait un trou qu'Ae avait fait en frappant le mur de son poing, après une dispute avec son père.

Il décida de se lever, sortir de son armoire un vieux jogging qui sentait le renfermé et s'en vêtit.

— Dias, marmonna-t-il quand il entra dans la cuisine.

— Hola cariño, le salua Felipe en déposant une tasse de café devant lui.

— Enfin, tu te lèves !

— Tu as de la chance que je ne sois pas d'humeur à te faire ta fête, minipousse, rétorqua Ace en tapotant la tête de sa sœur comme il l'aurait fait avec un chien.

Il s'assit à sa place habituelle et prit un croissant.

— Quel est le programme du jour ? demanda Cassie en croquant dans sa viennoiserie.

— Ace et moi avons pensé à aller rendre visite à mamá.

Elle hocha la tête.

— Ça lui fera plaisir.

Le sujet s'arrêta là. La matinée passa doucement, Ace profitait de sa famille et du calme bienvenue de la campagne. Il aimait les grandes villes, mais elles étaient souvent agitées et bruyantes qu'il lui arrivait d'en avoir le tournis. Il se sentait aspiré par la vie grouillante, se retrouver dans son village natal lui permettait de souffler un peu.


Peu avant le déjeuner, Ace était avachi sur le canapé à regarder la télévision lorsque Cassie le supplia de l'accompagner dehors. Devant son refus, elle utilisa sa technique imparable : elle se jeta sur lui et l'assaillit de bisous et de chatouilles. Ace se débattait comme un beau diable pour l'éloigner de lui.

La maison fut vite envahie de rires, de cris et de larmes. Felipe les regardait de la cuisine tenant le rôle d'arbitre. Mais il n'était pas impartial ; il votait secrètement pour la victoire de sa fille. Ace finit par capituler, plus pour avoir la paix que par réelle défaite. La jeune fille sauta de joie et se dépêcha de s'habiller avant que son frère ne change d'avis. Elle sortit enfin et fit les premiers pas dans la neige fraîche du jardin.

En farfouillant dans son sac à la recherche de vêtements chauds, Ace tomba sur le bonnet que Tyler lui avait acheté. Il s'assit sur son lit et passa un doigt sur la laine. Il repensa à la journée qu'il avait passée avec le blondinet. Un mois avait passé depuis, pourtant, cela lui semblait être une éternité. Leur relation avait tellement changé en si peu de temps. Il se souvint de la promesse qu'il s'était faite la veille. Il prit une grande inspiration et croisa son regard dans le miroir de sa chambre. Il allait le faire.

Il enfila le bonnet sur sa tête, se regarda et sourit. Cassie devait s'impatienter toute seule dans le froid.

Quand il sortit dehors, il appela sa sœur. N'ayant pas de réponse, il fit quelques pas supplémentaires.

— Cassie ?

Il sursauta quand il sentit quelque chose de glacé dans son cou et s'empressa d'enlever la neige qui fondait en bondissant sous la douleur.

Il se retourna vivement et aperçut Cassie, en larmes tant elle rigolait, à demi-cachée derrière la cabane en bis.

— Tu veux jouer à ça, chuchota Ace.

Il s'accroupit, prit de la neige dans ses mains qu'il tassa. Il bondit vers sa sœur, qui s'enfuit à toutes jambes.

— Ace, non ! Pardon, pardon... répétait-elle en slalomant entre les arbres pour échapper à son frère.

Mais il était plus grand, plus endurant qu'elle ; la boule de neige toucha de plein fouet sa proie qui tituba et s’affaissa au sol.

— Alors, qui est le plus fort ?

Mais elle n'avait pas dit son dernier mot. Faisant rempart avec son corps pour le cacher, elle avait rassemblé de la neige entre ses mains. D'une détente, elle lança droit sur la figure de son aîné. Mais Ace avait prévu le coup, il esquiva adroitement le projectile.

— Raté, minipousse, annonça-t-il fièrement.

— Tu triches !

Ace éclata de rire devant sa mauvaise foi. Elle avait toujours été mauvaise joueuse. Il l'aida à se relever.

— Tu t'es acheté un bonnet.

Ace détourna les yeux.

— Oui, je suis allé faire les boutiques avec un ami.

— Il te va bien, j'aime beaucoup.

Son frère lui adressa un petit sourire.

— Merci.

Tyler devait avoir bon goût. Cassie se vantait d'en connaître un rayon sur la mode et c'était rare qu'elle complimente son frère sur ses goûts vestimentaires. Elle les trouvait trop fades.

Ils entreprirent de fabriquer un bonhomme de neige. Ace s'occupait du corps tandis que Cassie se chargeait de la tête. L'Espagnol les posa l'une sur l'autre tandis que Cassie allait demander à leur père une carotte. Puis, ils choisirent deux bâtons en guise de bras et des firent même les boutons et les yeux avec des cailloux.

Quand ils eurent terminé, frère et sœur reculèrent de quelques pas pour contempler leur chef-d'œuvre. Contents d'eux, ils se tapèrent dans la main. C'est à ce moment que Felipe les appela pour prendre le repas.


Ils se préparèrent ensuite pour se rendre au cimetière. Ils passèrent chez le fleuriste pour acheter un bouquet.

— On y va ? demanda doucement Felipe quand le moteur de la voiture arrêta de ronronner sur le parking.

Ils se regardèrent et Cassie donna le départ. Ils franchirent le portail, Felipe entre ses deux enfants, Cassie lui donnant la main. Ils ne parlaient pas, ils marchèrent respectueusement entre les tombes, où une fine pellicule de neige demeurait.

Lorsqu'Ace aperçut la tombe de sa mère, au bout de l'allée, des flocons se mirent à tomber. Cassie déposé le bouquet sur la pierre, sans lâcher la main de son père.

— Buenos dias, mamá. Mira, Ace esta con nosotros, hoy. Ha vuelto para las fiestas del fin del año.

Bonjour maman. Regarde, Ace est avec nous aujourd'hui. Il est rentré pour les fêtes de fin d'année.

— Holá, mamá.

Seul le vent qui sifflait entre les branches des arbres leur répondit.

— On a fait un bonhomme de neige aujourd'hui, continua Cassie. Et Ace s'est acheté un bonnet.

L'Espagnol lâcha un petit rire.

— Nuestro hijo ha cambiado mucho desde la última vez que vino a verte, Isabella, ajouta Felipe, une lueur de fierté dans la voix. Ya no tiene nada que ver con el chico que solía ser.

Notre fils a beaucoup changé depuis la dernière fois qu'il est venu te voir. Il n'a plus rien à voir avec le garçon qu'il était. Les yeux brillants, Ace serra son père dans ses bras. D'un commun accord, Felipe et Cassie dirent au revoir à leur épouse et mère, pour laisser Ace seul un moment.

Il s'assit à même le sol, face à la pierre froide. Alors il commença à raconter tout ce qu'il s'était passé depuis septembre.

— On pourrait presque dire que tout va bien dans ma vie, ricana-t-il.

Il se sentit soudain honteux.

— J'ai rencontré quelqu'un mamá. Il s'appelle Tyler. Il est tout ce que je déteste, ajouta-t-il dans un pauvre sourire, riche, têtu, capricieux.

Il joua avec la terre, un nœud lui obstruait la gorge.

— Il est beau. Il me fait ressentir des choses que je ne pensais jamais ressentir. On s'est embrassés, deux fois. Je n'arrive pas à savoir si c'est mal, je... Papá ne le sait pas. Je ne veux pas lui en parler tout de suite. On s'est disputé. Avec Tyler, je veux dire. Enfin, je me suis emporté contre lui. Tu me connais. Mais j'ai décidé de tout faire pour qu'il me pardonne. Je veux qu'on reste amis. Je ne sais pas trop ce que je veux, en réalité. Mais je veux le garder près de moi. Même s'il m'énerve souvent, que j'appréhende à chaque fois que je le vois, que je suis sur les nerfs juste avant. Je pense que c'est normal.

Ses doigts passèrent à la pierre tombale. Il prit une inspiration.

— Je me sens coupable. Coupable d'être un peu plus heureux, à chaque fois, alors que tu n'es pas là. Je sais que tu voudrais que je le sois complètement, mais je ne peux pas. Il y a toujours cette lame qui me cisaille le cœur dès que je suis content. Tyler m'a fait comprendre que j'avais le droit d'être heureux, moi aussi. Que j'avais le droit d'éprouver d'autres sentiments que la rancœur et la tristesse. Je vais faire des efforts, parce que, pour la première fois, j'ai envie de découvrir ce qu'il peut se passer. La vie continue, n'est-ce pas ?

Le jeune homme regarda le prénom de sa mère gravé sur la pierre, comme il la regarderait, elle. Des larmes s'écrasèrent sur la neige. Ace se frotta les yeux.

— Tu me manques énormément. Mais je continuerai à vivre, pour toi.

Ces mots, Ace se les répétait encore et encore, dans les moments les plus difficiles, depuis quatre ans, maintenant. Depuis le soir où il s'était retrouvé à l'hôpital. Depuis le soir où il avait voulu que tout s'arrête.


XXX


La lumière bleue illuminait le visage d'Ace. Assis dans son lit, il tenait son téléphone entre ses mains. Cela faisait maintenant une demi-heure qu'il cherchait les bons mots. Il souffla et passa les doigts dans ses cheveux. Il n'aurait jamais pensé que ce soit aussi dur. Reportant son attention sur l'écran, il effaça rageusement les lignes qu'il avait écrites. Il pianota rapidement et appuya sur le bouton sans réfléchir avant de balancer son portable au pied de son lit, subitement honteux.


À: Tyler

11h48 pm : Pardon.


Il était complètement stupide, ce n'était pas possible. C'est comme ça qu'il comptait arranger les choses ? Quel crétin. Il méritait amplement que Tyler ne lui réponde pas et ne lui parle plus jamais. Que croyait-il ? Qu'avec un simple « pardon », il allait tout résoudre ? C'était lui qui avait merdé sur toute la ligne, et ce depuis le début, pas Tyler. Il l'avait repoussé, lui avait fait croire tout un tas de choses, avait brisé sa confiance en soi et l'avait blessé physiquement. Bon sang, comment avait-il pu l'embrasser pour lui crier dessus deux secondes plus tard ?

Après de longues minutes à espérer que son téléphone vibre, Ace dût se faire à l'idée. Soit Tyler dormait, soit il ne voulait pas lui répondre, ou l'avait bloqué, ou même les trois en même temps.

Il avait repris son téléphone lorsqu'il se mit à vibrer, le faisant sursauter. Une notification apparut. Son cœur accéléra et une onde de chaleur le submergea.


De : Tyler

00h03 am : Je sais.


Dans des gestes précipités, Ace se saisit de ses écouteurs et appuya sur le petit logo en forme de téléphone. Il attendit, les yeux rivés à l'écran et le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.

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