Baiser mortel

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Assise là, à même la moquette, le souffle haletant, je peinais à me ressaisir. J’essayais tant bien que mal de contrôler mes émotions, mais cette fois, aucune larme n'a coulé. Tu étais là, accroupie devant moi, tu me dévisageais, sourire aux lèvres. Tu restais immobile. Je sais que tu attendais une quelconque réaction de ma part, mais je n'ai pas flanché, je n'ai rien laissé paraître. Je ne t'ai pas donné ce plaisir. Il y a quelques minutes, tu m’assenais tes violents coups de ceinture. Tu sais, cette ceinture de cuir marron, tu me répétais sans cesse qu'elle était souple et facilement maniable. Je n'ai pas oublié l'odeur de cette abominable sangle.

Ce soir là, j'ai osé soutenir ton regard, te souviens-tu ? Cela m'avait valu une gifle monumentale. Pourtant je savais que je ne devais pas te regarder quand tu étais en colère. Je savais que lorsque tu me sermonnais, je devais regarder le sol. Mais cette nuit là, j'avais été insolente. Et tu m'as punie, comme il se devait. Tu m'as giflée. Sonnée par la violence du coup, je me suis écrasée sur le carrelage. Et j'ai su. J'ai su que tu n'allais pas en rester à une simple gifle, car pour avoir osé te regarder, il fallait m'attribuer une correction digne de ta folie. Oui, tu étais folle. Tu m'as empoignée par le peu de cheveux qu'il me restait, puis tu m'as traînée jusque devant mon public. «Cela vous servira d'exemple» leur avais-tu lancé.

Je les ais regardés, un par un. A ce moment là, je voulais qu'ils lisent dans mon regard que pour les protéger, j'étais prête à recevoir toute la violence du monde. C'était le seul instant où on ne devait pas baisser les yeux, nous devions nous regarder, sans jamais détourner le regard. Tu t'es positionnée derrière moi, tes deux pieds bien vissés sur le sol. Tu as soulevé mon t-shirt, puis tu nous as rappelés que nous devions tous compter à voix haute. Tu t'es assuré que nous avions bien compris, puis la première morsure est tombée, sans prévenir. La deuxième ne s'est pas faite attendre, ni la suivante. Ils sursautaient, à chaque fois que la ceinture heurtait ma peau, ils sursautaient. Tu les terrifiais et je t'en voulais. J'encaissais les coups, sans sourciller, sans leur montrer à quel point je souffrais. Je les avaient protégés de ta colère, j'avais gagné.

Nous nous sommes arrêtés de compter à dix, tu aimes les chiffres pairs et dix est ton chiffre préféré. Tu as rangé ta ceinture, puis tu as admiré ton chef-d’œuvre, le temps de finir ta cigarette. Ensuite, tu les as consignés dans leur chambre respective, puis tu as traîné tes savates jusqu'à la cuisine où tu t'es servis un verre de vodka pure. Toutes ces choses que tu nous as faites, je m'en souviens. Tout est gravé à jamais dans notre mémoire.

Maman, tu nous as pourris l'existence et sache que ta mort est le plus beau cadeau que tu nous as offert.

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