Le Client

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Je posais mon vélo devant l’entrée dédié au personnel du Magasin. Il était tôt dans la matinée, et déjà plusieurs clients attendaient patiemment devant la porte. En cette période compliquée, nous étions un des derniers magasins ouverts des environs et la plupart des gens s’en servaient d’excuses pour pouvoir se promener plutôt que de faire des achats véritablement utiles. Si bien qu’en fin de journée, nous étions tous usés psychologiquement et physiquement.

Après une heure à préparé la totalité des rayons pour accueillir les acheteurs, je m’approchais du rideau de fer afin de permettre à la foule de s’engouffrer dans le bâtiment. Cependant en m’approchant du moniteur, je constatai en regardant à travers la baie vitrée qu’il n’y avait plus qu’un seul client à attendre alors qu’ils étaient plus d’une dizaine quelques minutes plus tôt. Il était vêtu d’un haut de forme et portait un costume bleu ciel. Surpris, je me contentai d’ouvrir la porte tandis qu’il me fixait avec un grand sourire aux lèvres. Je remarquai que le vigil n’était pas encore arrivé, alors je sortis les caddies du hall pour ensuite m’installer à mon poste, à savoir en caisse. J’en profita pour rapidement arroser la petite plante qui trônait derrière moi sur le comptoir.

Le client fit son entrée dans la boutique, admira l’ilot servant d’accueil pour se dirigea directement vers moi en demandant :

- Vous êtes le seul à travailler ici ?

Je m’apprêtais un « non » cinglant mais je m’aperçus que tous mes collègues s’étaient envolés. Je déglutis et lui répondit un timide « oui ». Il claqua des mains, semblant se réjouir de la situation.

- C’est parfait ! Je sens que vous êtes quelqu’un d’avisé en bricolage et jardinage, et j’ai besoin de vos conseils !

- Heu par contre, je ne suis arrivé dans le magasin il y a peu donc je ne suis pas sûr d’être le plus qualifié pour cette tâche, répondis-je pendant qu’il posait son parapluie multicolore contre ma caisse.

- Ah bon ? s’étonna-t-il. Je suis sûr que vous êtes modeste ! Suivez-moi !

- Je ne peux pas, je dois rester en à mos poste si d’autres clients arrivent, lui expliquais-je.

- Je vois, marmonna-t-il en se grattant le menton. Dans ce cas, je ne vois qu’une seule solution.

Il claqua des doigts, et aussitôt le rideau de fer s’abattit sur la porte qui était de nouveau verrouillé. Tout d’abord choqué par ce qu’il venait d’accomplir en un simple geste, ma conscience professionnelle reprit le dessus et je m’avançai pour dégager l’entrée de la boutique. Cependant, l’inconnu m’arrêta net en s’exclamant :

- Personne n’est venu depuis mon arrivé, et pourtant vous continuez à feindre l’évidence donc j’ai été obligé de verrouiller pour vous faire comprendre qu’il n’y aura personne d’autre que moi dans cette modeste échoppe de plusieurs centaines de m2.

Je me figeais net et je me demandai immédiatement si je n’avais pas affaire à quelqu’un soit de fou soit un psychopathe qui voulait m’assassiner pour ensuite s’amuser avec mon cadavre. Le client remarqua ma tension et s’empressa de l’apaiser avec ces quelques mots :

- Vous ne risquez rien, je veux juste pouvoir faire mes achats tranquillement pendant que vous me conseillez. Vous ne le regrettez, puis j’ai beaucoup d’argent ! Ça pourrait être une bonne justification pour votre patron !

Je poussai un long soupir puis me rendit à ses côtés pour lui faire visiter le magasin. Dans un premier temps, j’étais extrêmement méfiant. Je tressaillis à chacun de ses gestes et je tenais fermement mon portable dans ma poche, et cela malgré le fait que le réseau soit tombé étrangement en panne. Cependant, le fait qu’il contemple les rayons avec les yeux d’un enfant, et qu’il demande un conseil pour la moindre petite chose, sans se soucier que ma réponse soit juste ou pas, m’ont permis de me détendre un peu. Sa bonne humeur était communicative, et je ne pouvais m’empêcher de me sentir à l’aise à côté de cette personnalité haute-en-couleur.

Finalement, notre petite promenade nous mena dans le jardin ou de multiples plants de légumes trônaient sur des tables en bois. Il s’approcha de l’un d’eux et me questionna aussitôt sur sa nature :

- De quelle manière évolue cette chose ? Une tomate ?

- Heu … Bah c’est une tomate, lui rétorquai-je nonchalamment. C’est rouge et c’est rond si je peux résumer ça ainsi.

- Je vois, dit-il d’un air soucieux. Ça ne me parle pas trop, non pas que votre description n’était pas précise, mais j’ai besoin de quelque chose de plus concret. Vous saviez quoi ? J’ai une meilleure idée.

Il claqua une nouvelle des doigts, et l’instant qui suivit, tous les plants du jardin se mirent à pousser très vite pour aussitôt atteindre leur maturation. Le client se retrouva entouré de courgettes, tomates ou autres légumes qu’il pouvait admirer pour son grand plaisir. De mon côté, j’étais abasourdi face à ce qui était semblable à de la magie, et aucun mot ne parvenait à s’extirper de ma gorge. Le client s’en amusa et m’expliqua pendant qu’il attrapait les différents légumes qui l’entourait :

- Ça fait cet effet-là à chaque fois … Sauf cette fois ou j’ai été chassé à coups de fourches … Vous ne vendez pas de fourche ici ?

- On vend des haches … Mais pas de fourche, affirmai-je en haussant les épaules.

- Tant mieux ! souffla le client qui semblait rassuré. J’ai horreur de ça.

- Mais vous-êtes quoi au juste ? lui demandais en lui tendant un panier. Je ne connais personne qui soit capable de faire cela.

Il marqua une pause, essuya la tache de boue sur son costume puis m’expliqua après avoir attrapé le panier :

- Je suis quelqu’un qui apparait quand on a le plus besoin de moi. C’est comme que je résumerais la chose.

Intrigué par cette réponse, je tentai d’obtenir plus d’informations mais il m’en empêcha en tapotant des mains. Des planches de bois, des boulons ainsi des vis se mirent à voler pour ensuite se rassembler et devenir une cabane au style rustique. Je restai quelques secondes la bouche grande ouverte, encore une fois ébahi par ce dont il était capable de faire. Lui jugeait sa construction, sous tous ses angles, puis il me questionna une nouvelle fois :

- Vous en pensez quoi ?

- Bah c’est une cabane des plus classiques, arbitrai-je en me grattant le crâne. On en voit partout.

- C’est ça ! s’exclama-t-il. Classique ! Et c’est exactement ce que je ne veux pas ! Faisons autre chose !

Il se mit à générer plusieurs dizaines de cabanes au style diamétralement opposé. Il y a du gothique, du naturel, du moderne, du futuriste. Il s’est même permit de faire une sorte de manoir en pierre mais c’était trop pour ce qu’il souhaitait en faire, alors il se ravisa. Finalement cela dura plusieurs heures et sans que je m’en rende compte, nous étions quasiment à la fermeture. Il passa à la caisse et paya la totalité de ses produits. Une véritable fortune qu’il paya avec une carte de crédit en forme de papillon qui fut accepté par mon appareil, à ma plus grande surprise.

Je le raccompagnai près de la porte, et avant de partir, il marqua une pause. Il me fixa droit dans les yeux, puis affirma :

- Vous avez meilleure mine que ce matin.

- Ça c’est sûr, lui assurai-je. Ça a été une véritable bouffée d’air frais …

- Je vois, dit-il avec un sourire en coin. On a le droit à des moments de faiblesse. La réalité est quelque chose d’extrêmement compliqué car elle nous laisse aucun moment de répit, et nombreux sont ceux qui sombrent face à elle, car ils se laissent absorber par cette dernière.

Je restai silencieux en buvant ses paroles. Il continua sans chercher une réponse de ma part :

- C’est pour ça que je suis là. Aider des personnes qui semblent sur le poids de craquer, et c’était votre cas, si je ne me trompe.

Je ne sus quoi le répondre, mit à part qu’il avait raison. Il reprit en me faisant une tape sur l’épaule :

- Ça peut paraitre facile de dire ça pour quelqu’un qui fait ce qu’il veut en un claquement de doigt, mais vous n’êtes pas seul mon jeune ami. J’ai été comme vous. Je suis un doux rêveur qui ne souhaiterait pas grandir, rester insouciant. Il faut supporter le regard des autres, endurer leur jugement sur chacune de nos décisions et la manière dont nous menons votre existence.

Ses mots résonnaient en moi. C’était des choses que je n’avais su exprimer, et lui il y parvenait alors qu’il venait à peine de me rencontrer. Je sentais les larmes remplir mes paupières mais je faisais tout mon possible pour les contenir.

- Certains même aimeraient que comme eux l’on rentre dans des cases, et que l'on se conforme à cette réalité aseptisée … Mais qui sont-ils pour vous y forcer ? Soyez vous-même.

- Comment ?

- C’est évident, vous le savez déjà après tout. Vivez pour vous. Ne regardez plus par rapport aux autres. Vos proches vous aiment pour ce que vous êtes, alors faites de même. Et une dernière chose, n'oubliez-jamais de réver. Rêver nous fait grandir nous fait entreprendre, et nous fait aller de l'avant. Nous sommes tous des rêveurs. Certains se sont juste perdu en route.

- Je …

Il ne me laissa pas terminer ma phrase. Il posa son index sur mon front, et aussitôt je me retrouvai de nouveau devant la boite de commande de mon magasin à ouvrir le rideau de fer pour la dizaine de personnes qui s’impatientaient. Mon patron grognait depuis les hauteurs pendant que mes collègues s’afféraient pour que tout soit prêt à temps. J’eut besoin d’une minute pour reprendre mes esprits, et quand ce fut le cas, contrairement aux jours précédemment, j’avais de nouveau le sourire. J’étais doté d’une énergie nouvelle, et qui me donnait l’impression de pouvoir relever n’importe quel défi. D’un geste décidé, je fis se soulever le rideau et j’invita les chalands avec une bonne humeur qui sembla les perturber.

En m’installant à mon poste, je profitai pour de cet instant de pause avant le début des hostilités pour arroser la petite plante du comptoir. Je mis quelques temps pour trouver l’arrosoir, et lorsque ce fut fait, je claquai des doigts par réflexe. Lorsque je me retournai, je me retrouvai face à une plante de plus d’un mètre qui cachait entièrement la vue. Comment était-elle arrivé là ? Je ne pus réfléchir à la question car mon premier acheteur était déjà en train de s’agacer à ma caisse.

Pendant que j’encaissais mon client, je vis à travers la baie mystérieux ce mystérieux homme en costume bleu de l’autre côté du trottoir. Il me fait un sourire, puis disparu derrière un camion qui fallait à toute allure. Était-ce un rêve ou la réalité ? Je ne pourrais vous le dire mais une chose était sure, c’est ce que ces mots avaient à tout jamais marqué mon existence.

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