Chapitre 13

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Chapitre 13

  J'arrive en retard en anglais, et le prof reste silencieux tout en me dévisageant. Il ne dit rien mais son air interrogateur laisse supposer qu'il a compris que quelque chose n'allait pas. Après m'être excusé, il me dit d'aller m'asseoir et je passe l'heure à lire mon Bescherelle. Léonor me lance des regards inquiets toutes les deux minutes. À la sonnerie, Mr. B me demande si je peux venir lui parler un instant. Il salue les derniers élèves d'un « Have a pleasant weekend ! » et me questionne :

– Est-ce que tu veux me parler de quelque chose Nathan ?

– Euh non Mister, je suis juste un peu fatigué en ce moment.

– Après quelques jours de cours ? dit-il en ayant bien évidemment perçu mon mensonge.

– C'est que, je dois m'adapter au nouveau rythme français et …

  J'essaie tant bien que mal de lui cacher mon mal-être et mon histoire. Après un échange peu fructueux, il conclut sans insister :

– Nathan, je comprends bien qu'il est difficile de s'adapter à un nouveau rythme et de changer de vie. Sache simplement que l'équipe enseignante est là pour toi, et que … un fardeau partagé est toujours plus léger à porter.

  Je le remercie et le salue. Léonor m'attend dehors en faisant les cent pas. Je franchis la porte et elle m'accoste l'air inquiet :

– Qu'est-ce qu'il se passe Nate ? J'ai vu ta tête et tes yeux rougis, ça ne va pas ? Il s'est passé un truc avec Louis ? Ce n'est quand même pas votre histoire de compétition de je-ne-sais-quoi ? Parce que s'il t'a donné un gage dégueulasse, il va m'ent...

  Je la coupe en lui disant très tranquillement :

– Louis n'a rien fait de mal.

– Ben alors qu'est-ce qu'il se passe ? Je sens que quelque chose ne va pas. Tu sais quoi, vu que les cours finissent à midi, tu vas venir manger chez moi et on va discuter cet après-midi.

  L'heure de français se passe dans un flot d'images qui inonde mon esprit, allant de ce que j'ai vécu à Canterbury à mon dernier échange avec Louis, son index touchant mon menton et son regard plongé dans le mien. Les quelques secondes passées à me noyer dans son regard m’obsèdent et soulèvent d’innombrables questions. Des mots surgissent et se succèdent dans ma tête : attirance, pas normal, pas naturel, interdit, regard des autres, rejet, impossible. C'est un fardeau qui s'alourdit à mesure que je le porte.

  La cloche sonne la fin des cours et de cette semaine de rentrée. Léonor me devance et chuchote quelque chose à l'oreille d'Hugo et d'Elvira, qui partent en me faisant un signe de la main.

  Sur le chemin menant à l'appartement de Léonor, nous discutons de tout et de rien. Léonor semble vouloir me mettre à l'aise en me racontant une anecdote sur chaque rue et chaque bâtiment que nous croisons.

  Léonor habite un bel appartement avec ses parents. Nous entrons dans une immense pièce de vie aux couleurs claires qui contrastent avec une cuisine intégralement noire. Une odeur florale s'élève dans cette pièce d'un grand raffinement. Les meubles design se marient à la décoration sobre mais colorée. Elle me dit de me mettre à l'aise et de m'installer à l’îlot central qui fait également office de table.

– Je vais te préparer ma spécialité, des carbonara ! La recette authentique de chez moi, pas celle que les Français massacrent avec de la crème.

  Elle me sert de l'eau tandis qu'elle me raconte des anecdotes sur Hugo, Elvira et Louis, et d'autres camarades que je ne connais pas. Je l'écoute en l'observant et souriant machinalement de temps en temps. Alors que sa préparation est quasiment achevée, elle me dit, l'air enjoué :

– Et toi, tu n'as rien à me dire sur toi ? Une anecdote qui ne mentionne pas de montre ou de verre d'eau.

– Euh, je ne sais pas.

– Par exemple, raconte-moi comment c'était ton ancienne école ? Ça doit être très différent de Sainte Marthe, non ?

  Je lui explique comment c'était à Canterbury : les grands bâtiments, les profs toujours bien habillés, le port de l'uniforme pour tous les élèves, le conformisme, le flegme, la bienséance … Elle conclut par :

– Ça devait être un peu chiant.

  Ça me fait sourire et je dois admettre qu'elle a raison.

  Nous dégustons son délicieux plat, même si j'ai quelques difficultés avec les spaghetti, je n'ose pas les couper par crainte de commettre un sacrilège.

  Le repas s’achève par un morceau de panettone fait par sa mère, qu'elle me demande d'emporter pour le manger dans sa chambre.

– Bon alors, est-ce qu'on peut discuter Nate maintenant ?

– Ou... oui bien sûr.

– Qu'est-ce qui se passe depuis ce matin ?

  Je me résous à lui raconter mon calvaire subi à Canterbury, tel que je l'ai raconté à Louis. Pour une fois, Léonor écoute et ne dit rien, elle fronce les sourcils et ses yeux s'embuent au fil de mon récit. Je la sens pleinement compatissante. Plus j'avance dans mon histoire, plus mon envie de pleurer est grandissante, mais paradoxalement je sens comme un soulagement à mesure que je me confie à Léonor.

– C'est horrible ce qu'il t'est arrivé, tout ça parce que tu n'étais pas prêt à t'offrir à cette fille. Elle aurait pu te laisser un peu plus de temps et réessayer quand tu aurais été prêt.

– C'est bien ça le problème, je pense que je n'aurais jamais été prêt, dis-je sans réfléchir.

– Ah pourquoi ? Elle n'était pas belle à ce point ?

– Euh si, c'était une très belle fille. C'est juste que …

  Je me sens comme piégé par mes propres mots. Cette zone d'ombre que je voulais volontairement laisser planer tend à se dissiper. Léonor n'est pas dupe. Elle perçoit que quelque chose n'est pas normal dans ma façon de répondre. Avec une douceur immense, elle me demande :

– Tu n'aimes pas les filles, c'est ça ?

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