Les Envoyés du Maître
Il y a de cela six mois, deux pèlerins avaient été envoyés parcourir la terre de Cantal. Un jour, alors que le vent soufflait à vive allure, en un endroit où la neige ne fondait pas, l’un adressa pour la première fois la parole au second.
« Abritons-nous sous l’un de ces arbres.»
Il y avait cependant une odeur de bois brûlé dans l’air. L’autre ajusta son manteau et répondit :
« Non, attendons l’abbaye. Nous y sommes presque. »
Ils continuèrent leur route et eurent raison, car le blizzard se déclencha. Leurs chevaux, se dirent-ils, auraient pu en être désorientés.
Lorsqu’ils furent entrés chez l’abbé, qui ne les attendait pas le moins du monde, celui-ci leur fit grâce d’un repas des plus extraordinaires pour un moine : deux soupes de légumes dans lesquelles baignaient peu de lard salé.
Alcofribas, puisque c’était le nom de cet abbé, était muet, ce qui avait rendu son vœu de silence un peu plus simple à supporter. Alertés par le bruit des chevaux, les moines entrèrent dans la pièce et scrutèrent les voyageurs, curieux, mais pas assez pour oser leur poser de questions.
L’un d’eux portait une grande cape de fin lin, ample et sévère. Il avait l’allure des fiers guerriers de légende, ceux dont on ne disait plus d’histoires depuis la mort des Anciens Rois. L’autre était habillé d’une toge de faible facture, comme taillé d’une seule pièce, mais dans ses yeux était logé un fragment d’éternité.
Les moines l’ignoraient encore, mais les pierres, le vent et le froid le savaient déjà : ils étaient en présence des Envoyés du Maître.
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