Une Cinquante-neuf Cinquante-Neuf

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« Le but de la vie c'est d'être heureux, c'est pour ça que je crois à une vie calme, simple, modeste. Vivez simplement, entraînez-vous durement et menez une vie honnête, alors vous serez libre. »

Eliud Kipchoge, marathonien.

Circuit de Formule Un de Monza, Italie. Non, je ne suis pas là pour une course automobile, mais pour une course à pied.

C'est le grand jour, tous le monde compte sur moi. Sur nous. Nous sommes trois. Un trio de marathoniens.

L'un d'eux, une star montante, a remporté deux marathons de Boston.

Et l'autre est le meilleur coureur d'endurance, détenant le record mondial de semi-marathon.

Aujourd'hui, nous sommes des cobayes pour les scientifiques. La grande question qu'ils se posent :

« Un être humain peut-il courir le marathon en moins de deux heures ? »

Le record jusqu'à présent était de deux heures deux minutes et cinquante-sept secondes.

Ils veulent nous faire courir quarante deux virgule deux kilomètres en deux heures.

Sur mes huit marathons, j'en ai remporté sept. À trente-deux ans, je veux devenir cet homme qui aura couru un marathon en moins de une cinquante-neuf cinquante-neuf.

Ils ont tous les données possibles et imaginables concernant mes caractéristique physiologique, ma résistance au vent, les caractéristiques de mes chaussures, ma consommation d'oxygéne pendant une épreuve. Mais ils sont démunis face à mon mental. Ils ne savent rien de ce qui se passe "là-haut". C'est le vide pour eux. Ils ne peuvent pas mettre un chiffre, une donnée quelconque dans cette case. Comment quantifier ma capacité mentale selon mes critères physiologiques ?

Ils sont surpris par ce que je peux accomplir. Il n'y a pratiquement rien qu'ils peuvent améliorer chez moi durant les entraînements. Mes aptitudes les surprennent.

Là, je suis sous pression, mais c'est une bonne pression. Elle me motive, me carbure. C'est elle qui va me pousser, me mener jusqu'à la victoire. Ce record à battre.

Le marathon n'est pas une question de jambes, c'est une question de cœur et d'esprit. Je veux dépasser les limites humaines en courant sous les deux heures. Pour l'instant mon record personnel est de deux zéro trois zéro cinq.

Le parcours, un dénivelé presque idéal et aucun virage serré.

Pendant l'épreuve, des coureurs appelés « lièvres » donnent le rythme, ils sont les métronomes. Je me cale à leurs rythmes. Ils ralentissent, je ralentis. Il augmentent la vitesse, je fais de même. Formation triangulaire. Les lièvres se relayent à chaque tour. Leur changement ne me dérange pas. Ils se mettent en place aussi vite que possible. Je suis la cadence. Toujours concentré. Ils donnent l'allure.

Premier tour, devant les tribunes, des cris d'encouragements et après plus rien. Pendant le reste du trajet, que les bruits de nos pas, des deux voitures, une en tête qui donne l'allure aux lièvres et l'autre sur la droite et des cyclistes. J'entends quelqu'un lancer des encouragements de temps en temps, à moi peut-être ou aux deux autres. Je ne sais pas. Je suis concentré, dans ma course, dans ma tête.

Mes pieds font le boulot, mais c'est sur mes bras que je me focalise. Gauche, droite, gauche, droite. Montée, descente, montée, descente. Ce sont eux qui font fonctionner tout le reste.

Mon automatisme s'est déjà enclenché, je tends mon bras, un cycliste me donne à boire. Il faut que je boive tout, ça sonne comme un ordre, j'exécute, je suis dans ma bulle.

À chaque tour, les applaudissements et les soutiens.

On me parle, on prononce mon nom, on me crie : « cinq kilomètres ». C'est la distance qui me sépare maintenant de l'arrivée. Il y a bien un chrono sur la voiture de tête mais, ça n'a aucune importance, je ne m'en préoccupe pas.

Beaucoup de gens craignent qu'en courant en deux heures, on risque de mourir. Je n'y crois pas.

Je sens une fatigue dans mes jambes. Je dois me reprendre. Je veux être cet homme des cent vingt minutes.

Il reste deux tours et j'en ai encore sous le pied et dans la tête.

Ce doit être maintenant le dernier tour, car j'entends que l'engouement des spectateurs est plus soutenu. La tension est palpable. Souffler. Les bras. Gauche, droite. Je ne dois pas relâcher. Les lièvres ont changé de rythme. C'est monté d'un cran.

Je ne perçois plus mes deux autres coéquipiers depuis un moment. Il y a moins de bruits de pas sur le bitume. Sont-ils loin derrière ? Je dois me recentrer. Ne pas lâcher maintenant. J'y suis presque.

Je la vois enfin, cette ligne d'arrivée, les lièvres me laissent continuer seul et m'encouragent. Des cris dans les tribunes.

Je franchis la ligne. Deux heures et vingt-cinq secondes.

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