Chapitre 1 : Un matin d’octobre à Stornoway

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Stornoway, dimanche 1er octobre 2010.

Une fois de plus, en ce début d’octobre, le brouillard s’invitait sur les Îles de Lewis. Les toits des maisons, telle la partie émergée des icebergs, dépassaient dans cette mer de brumes. En quelques minutes, la nappe se leva, cédant la place à une averse.

Mike, debout dans sa chambre, observait la pluie qui se déversait sur la ville, le plongeant vingt ans en arrière. Le souvenir de l’accident lui fit serrer les poings. Ce jour-là, il revenait de chez Tante Beth, avec ses parents. La voiture roulait sur la route sinueuse, qui menait à Stornoway. Sa mâchoire se crispa, et une question en tête : Pourquoi ses parents lui avaient-ils été arrachés ? Au loin, les phares du livreur de journaux provoquaient l’arrivée de nouvelles images dans son esprit. Le chauffeur avait fait une embardée, empiétant sur la voie opposée, sans pouvoir éviter la quatre cent trois de son père. Tout était allé si vite.

Il se revoit ensuite, seul, abandonné de tous comme un matelot perdu dans l’océan après un naufrage. Il se rappelle du picotement sur ses jambes et ses bras, sans doute dû à la douleur des brûlures ravivée par la pluie quand il était prostré dans le fossé. Autour de lui, le monde n’existait plus. Il ne percevait rien de l’agitation et des cris. Mike avait si souvent refoulé cette colère, au plus profond de lui. Des larmes coulèrent sur ses joues.

C’était dans cette chambre, que petit garçon il avait trouvé un abri, dans lequel il pouvait se cacher pour pleurer. Adolescent, elle était devenue un refuge, pour lui le solitaire. Aujourd’hui, ce grenier que Grand-Pa avait amélioré et transformé à chaque étape de sa vie, était un point de chute où il venait se reposer entre deux stages.

Grand-Pa l’avait équipé d’une salle de bain et d’un dressing, que bien des filles pourraient jalouser. Enfin, si elles avaient pu y avoir accès. Peu de personne avait eu le droit de franchir son seuil.

Il souleva son oreiller et découvrit, dans un petit sachet brodé avec ses initiales, un gant, cadeau laissé là par Grand-Ma. Il se rapprocha du poêle, la chaleur l'apaisa. Il avait juste quatre ans, lorsqu’il fut confié à Grand-Ma Olivia et Grand-Pa Joseph. Ils l’avaient recueilli dans leur cottage au bord de l’océan. Ils l’avaient aidé à panser, jour après jour, sa blessure.

Mike regarda par la fenêtre et vit au loin son grand-père dans son imperméable trop grand. Agé de soixante-huit ans, Joseph était encore en grande forme et toujours de bonne humeur. Qu’il pleuve, neige, ou gèle, il bravait la météo sans se départir de son sourire.

C’était l’heure de sa balade matinale, en compagnie de Hugh, son labrador. Le maître et le chien arpentaient chacun à leur rythme les terres qui bordaient l’océan. Le labrador raffolait de ces promenades, jouant dans les vagues et essayant de les attraper. Joseph, lui, s’arrêtait de temps à autre, pour observer les oiseaux qui profitaient de la plage désertée.

En les regardant, on pouvait se demander qui des deux étaient le maître. Hugh ramenait le bâton sans se lasser, Joseph le renvoyant encore et encore. Mike réalisa que ce monsieur était l’exemple qu’il voulait suivre. Avec lui, chaque sortie était une grande aventure. Il lui avait transmis sa connaissance des grands espaces, lui apprenant à regarder avec attention les moindres détails de ces bords de mer fertile ou le gneiss et toutes ses roches pouvaient être identifiables à l'oeil nu. Grand-Pa lui racontait avec plaisir que les plus petites choses pouvaient cacher de grands trésors. Mike avait aussi découvert comment une simple graine avec de la patience et beaucoup de soin se transformait en fleur.

Avec Grand-Pa, il avait également passé beaucoup de temps sur les parcours de golf. Et avec lui, il n'avait cessé d’apprendre et de progresser. À la fin de la semaine, Mike pourrait concrétiser un de ses rêves. Il allait marcher sur les traces de ses pairs, Thomas Braid, Willie Park Jr ou Greg Norman, tous champions de golf en leur temps. Mais avant tout, ce qui lui tenait à cœur, c’était de rendre fier son grand-père. Il ne serait plus un simple spectateur, admirant les joueurs sur le parcours. Lui, l’amateur, avait obtenu le droit de participer à un tournoi professionnel sur les terres historiques de Saint Andrews.

Cette maudite pluie n’allait pas tout gâcher ! Mike ne voulait pas laisser sa colère le déstabiliser. Il saisit la balle posée sur le socle en forme de tee que Joseph avait taillé dans un rondin. Il ouvrit grand la fenêtre, la fraîcheur s’engouffra dans la pièce lui remettant les idées en place.

Mike enfila son jean, son polo blanc, sa veste à capuche bleu nuit et ses veilles baskets. Il descendit dans le salon et se retrouva face aux deux bibliothèques qui encadraient la cheminée. Au cœur de la pièce se trouvait une table confectionnée par Grand-Pa avec, en son centre, un échiquier. Rangées, dans les tiroirs, des pièces en acajou semblables aux figurines de Lewis que l'on trouvait au musée. Sa grand-mère les avait offertes à son mari pour leurs vingt-sept ans de mariage. Mike en entrant, découvrit Grand-Ma lovée dans sa bergère. Les années ne semblaient pas avoir d’emprise sur elle, seules de petites rides apparaissaient au coin de ses yeux. Elle avait les cheveux enroulés dans un chignon toujours tiré à quatre épingles. Olivia savourait, chaque matin, une tasse de thé aux effluves épicés dont la douce odeur envahissait la pièce. Mike admirait ce bout de femme au caractère charmant et au sourire apaisant. Elle était la plus gentille des femmes qu'il avait rencontré jusque là. Il la surnommait avec affection « Mumy », et elle serait pour toujours sa fée des Highlands.

  • Tu es déjà réveillé mon chéri ?
  • Oui.

Mike était rentré tard dans la soirée. Joseph et Olivia avaient patienté jusqu’à ce que le moteur de sa Peugeot 403 bleue s’arrête, et que le son de ses pas résonne dans les escaliers pour éteindre la lumière et s'endormir. Mike, quant à lui, avait eu du mal à trouver le sommeil. La tension de la compétition du week-end était encore vive. Il s’était relevé, s’installant à son bureau pour s’atteler à son autre projet. Après plus de deux heures à travailler, il s’était enroulé dans la couverture en patchwork constituée avec des pièces de vêtements de son enfance.

  • Je n’avais pas vu l’heure, vous auriez dû me réveiller.
  • Tu es rentré tard, tu avais besoin de récupérer.
  • Oui, un peu.
  • Tu as l’air soucieux, tout va bien ?

Olivia avait perçu, dans sa réponse, une légère hésitation. Elle, seule était capable de lire en lui.

  • C’est le brouillard puis la pluie, ils ont réveillé des souvenirs déplaisants.

Mike ne pouvait rien lui cacher et lui mentir était impensable.

  • Tu veux en parler ?
  • J’ai revu des flashs de l’accident.

Olivia, troublée par ces quelques mots, se revit ce matin d’octobre. C’est elle qui avait retrouvé le petit garçon au bord du chemin. Il était en boule, désemparé, serrant dans ses bras son petit lapin Jamy. Elle l’avait enveloppé dans son tartan pour réchauffer son petit corps si fragile, grelotant. En prenant son petit-fils dans ses bras, elle en oublia une partie de sa souffrance. La vie leur avait offert une fille et elle la leur avait volée en un clin d’œil. Elle sut à cet instant qu’elle devrait s’occuper du petit garçon.

Aujourd’hui, il était devenu un jeune homme sûr de lui, pourtant la blessure était toujours présente. Le chagrin s’estompait au fil des ans, sans pour autant s’effacer. Mike avait été le plus doux des enfants, studieux, respectueux et un rêveur souvent solitaire. Il avait partagé ses jeux d’enfants avec Joseph et avait accordé très peu de place à ses camarades de classe. Il voulait garder ses secrets enfouis en lui, ne voulant pas que l’on s’apitoie sur son sort. Joseph s’occupait de son petit-fils. Il l’emmenait partout, partageant avec lui sa passion pour la pêche. Ils jardinaient ensemble et avaient construit un beau potager, qu’ils avaient encadré de rosiers et de chèvrefeuilles. Olivia adorait les voir, si complices. Hugh les accompagnait dans toutes leurs sorties. Ce chien leur avait tout de suite apporté un réconfort important. Elle avait souvent retrouvé Mike endormi sur le tapis du salon, Hugh lui servant de coussin.

Olivia regardait Mike, admirant une photo qui était posée sur la cheminée. Il était encore tout bébé, et se trouvait blotti dans les bras de ses parents. Plongé dans ce souvenir, Il semblait à mille lieues de là.

Elle se souvenait avec tendresse comment Joseph s’était rapidement attaché à son gendre Jerry. Il appréciait ce jeune homme, qui avait comblé sa fille pendant leurs dix années de vie commune. Il racontait souvent avec amusement leur première rencontre. Un frisson l’a parcouru, c’était aussi en octobre, et il avait également plu. Joseph avait chaussé ses bottes et son imperméable, prêt pour sa balade avec Gramy, leur berger Shetland. Une Peugeot 403, s’était avancée dans l’allée. Avant même que le moteur ne se soit arrêté, Julia en était sortie, pour courir dans les bras de son père et l’embrasser. Jerry était arrivé à son tour et, au moment où il allait serrer la main de Joseph pour se présenter, il s’était retrouvé sur les fesses dans la flaque de boue avec Gramy dans ses bras. La chienne qui était affectueuse, ne s’était pas privée d’une occasion de le montrer. Julia avait aidé Jerry à se relever, il était trempé de la tête aux pieds. Joseph dut retenir Gramy, qui n’avait qu’une envie renouveler le câlin. Jerry était rentré dans la maison, sans pouvoir arrêter son fou rire. Cela avait été un moment inoubliable. Une bonne heure après, la pluie avait cessé et Jerry avait demandé la main de Julia à Joseph. Olivia souriait en repensant à la scène, ses yeux brillèrent et son cœur s’apaisa. Olivia et Joseph racontaient régulièrement des anecdotes à Mike, partageant avec lui le souvenir de l’amour de ses parents. C’était aussi une façon pour eux de ne pas les oublier. Mike leur ressemblait tant. Il avait l’espièglerie et la détermination de son père et dans ses yeux, la douceur de sa mère.

Un silence oppressant avait envahi le salon, Olivia le rompit en demandant avec cette voix chantante qui n’appartenait qu’à elle :

  • Tu veux bien me servir une nouvelle tasse de thé.
  • Oui, avec plaisir Mumy.

Sa voix était plus sereine. Il était temps de sortir de cette mélancolie.

  • Que souhaites-tu faire dans les jours à venir ?
  • Cet après-midi, je vais aller faire un tour sur le parcours et travailler mes approches.
  • Et tu sais, que demain, Grand-Pa m’accompagne pour faire du shopping.
  • Rien d’étonnant, il trouverait n’importe quelle excuse pour passer du temps avec toi.
  • Il veut surtout me transformer en gentleman !

Cette dernière remarque fit sourire Olivia, son petit Mike avait tout d’un Lord depuis bien longtemps.

  • Ensuite, nous mangerons chez Henriett avant de nous entraîner.
  • Tu as vérifié tout ton matériel ?
  • Oui, et puis tu connais Grand-Pa, il fera une nouvelle vérification avant le départ.

Olivia était comblée, les deux hommes de sa vie la rendaient heureuse. Elle se souvenait des premiers pas de Mike sur les greens, suivant son grand-père. Il portait son sac de clubs pourtant bien plus grand que lui. Olivia s’était toujours demandée comment ce petit bonhomme pouvait transporter ce caddie. Elle se souvint d’un après-midi, où elle les avait accompagnés. Elle se tenait à l’écart, assise sous un arbre et elle avait sorti ses pastels et une toile. Elle aimait croquer les scènes qui se jouaient devant elle, et c’est ce qu’elle avait fait ce jour-là. Elle avait peint Joseph, il était au départ du trou onze, un des par cinq du parcours. Le driver en main, il réalisait quelques coups préparatoires avant de se lancer. Mike était appuyé sur le caddie posé dans l’herbe,. En regardant de plus près, on pouvait voir que le petit garçon s’était endormi. Sur la toile, Grand-Ma avait dessiné son mari, le club en suspens, le caddie et l’enfant. Elle avait perçu le râle du genêt. Redressant le cou au-dessus des herbes où il s’était tapit, il surveillait les alentours. Quand Joseph frappa, débusqué, l’oiseau s’était envolé à la hâte sur quelques mètres seulement, les pattes pendantes, avant de retomber dans l'herbe proche du caddie. Le soleil déclinait au loin, Olivia avait donné une douce lumière de crépuscule. Cette toile était depuis ce jour-là, au-dessus de la cheminée dans le salon. Olivia n’avait pas voulu l’exposer, le directeur de la galerie l’avait pourtant souvent sollicitée pour cette œuvre. Il avait espéré qu’elle accepte de la lui céder, mais il n’en n’était pas question. Olivia ne voulait pas la vendre. Mike avait posé à son tour le regard sur le tableau, un même sourire éclaira son visage.

  • Lundi, j’ai rendez-vous avec le Comte. Je dois avancer sur l’agencement du jardin botanique du Château de Lews, annonça Mike.
  • Tu auras le temps de le finaliser ?
  • Oui, il le faudra, je n’ai pas le choix.
  • Pourquoi ?
  • Il vient de m’annoncer que l’inauguration se fera pour Hogmanay.
  • Si tôt, ce n’est pas un peu précipité.
  • Je ne sais pas, il a juste précisé qu’il y aurait un invité prestigieux.
  • Qui ?
  • Il doit m’en parler demain.
  • Une bonne nouvelle si je comprends bien.
  • Cela semblait important pour lui.
  • Et pour toi, aussi.
  • Je ferai tout pour être à la hauteur. D’ailleurs, nous avons déjà bien avancé.
  • Tu peux être fier du travail que tu as accompli.
  • Mercy Mumy, et puis Grand-Pa vient m’aider de temps à autre.
  • Oui, il a besoin de se rendre utile.
  • Et, surtout, de mettre les mains dans la terre.
  • Ce qu’il préfère, c’est avant tout de pouvoir passer du temps avec toi.
  • J’ai demandé au Comte s’il était d’accord pour qu’il supervise les travaux, si je venais à m’absenter.
  • Ne te fais pas de soucis, ils se connaissent depuis longtemps.

Mike marqua une pose.

  • Je t’aime Grand-Ma. J’ai tant de chance de vous avoir.
  • C’est nous qui sommes heureux de pouvoir t’accompagner dans ta vie.

Mike déposa un tendre baiser sur la joue d’Olivia. Elle avait soigné toutes ses blessures, celles du corps comme la première fois où il l’avait aidé en cuisine à découper les carottes, son petit doigt en avait gardé une cicatrice. Et celles de l’âme lorsqu’il faisait des cauchemars pour appeler son père, et qu’il se réveillait en larmes dans les bras de sa grand-mère qui le consolait. Elle l’avait poussé pour aller au bout de ses rêves en l’écoutant avec bienveillance. Elle avait été la première à croire à ses projets : professionnels et sportifs.

Olivia posa sa tasse et lui demanda en douceur.

  • Tu peux me réserver ton mercredi.
  • Oui, pourquoi ? Que veux-tu que nous fassions ?
  • Que nous allions voir le lever du soleil sur l’océan. Tante Beth, nous recevra pour le brunch et nous pourrions finir par le coucher du soleil sur les Black Houses.
  • Quelle merveilleuse idée !
  • J’aime beaucoup les variations de couleurs en cette saison.

À cette idée, le cœur de Mike se réchauffa instantanément comme ses mains au contact de la tasse de thé un peu plus tôt. Cela lui redonnait un coup de fouet, après ce début de matinée morose.

  • J’espère que la pluie nous laissera tranquille, ajouta Mike.
  • Ne t’en fais pas le soleil sera au rendez-vous.
  • Tu m’accompagneras à Saint Andrews ?
  • Bien sûr, mon chéri, je ne raterais pas cet évènement, pour rien au monde.
  • J’ai déjà réservé le ferry.
  • Très bien.
  • Nous prendrons ma voiture, je conduirai comme ça vous pourrez profiter du voyage.
  • C’est gentil de ta part.

Olivia prit Mike dans ses bras, et finit de le consoler de toutes ses angoisses du matin. Grand-Ma l’enveloppa dans son tartan comme elle l'avait fait tant de fois quand son garçon en avait eu besoin.

Grand-Pa et Hugh entrèrent dans le salon, le chien se coucha sur le tapis, la truffe humant l’odeur du bois brûlant dans la cheminée. Joseph se servit une tasse de thé pour se réchauffer. Il s’installa dans son fauteuil, profitant de ce moment de tendresse. Il n’avait pas le talent de sa femme pour dessiner, aussi il saisit l’appareil photo qui était posé sur le guéridon à côté de la boite de pastel et pris une photo.


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