Chapitre 14 - Les Connaissances de Tata Simone

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 Lorsque Hector acheva son histoire, personne ne dit plus un mot. Mathilde, qui avait décroché, n’avait pas tout de suite réalisé que c’était fini. Dans la pénombre, elle pouvait distinguer Charles, recroquevillé sur sa chaise, et Tatiana sur le canapé, plaquée contre le dossier, comme si elle essayait de rentrer dedans. Il n'y avait qu'Hector qui semblait tranquille.

 — Je ne sais pas pour vous, articula enfin le professeur, mais moi, je crois que les histoires qui font peur, j'en ai assez pour la soirée.

 « Sérieusement ? » se demanda la jeune fille.

 — Oui, approuva Tatiana en réponse à son voisin, moi auss…

 Elle ne finit pas sa phrase ; un bruit de clé venait de retentir.

 Quelqu’un ouvrait la porte d’entrée.

 La réaction de madame Lamatora et de Charles ne se fit pas attendre : ils hurlèrent de concert – persuadés qu’il s’agissait d’un revenant venu prendre leurs organes – et se cachèrent sous la table. Ahuris par le vacarme, Hector et sa sœur plaquèrent leurs mains sur leurs oreilles.

 Alors que Tatiana et son voisin se taisaient, trois silhouettes s’engouffrèrent dans le salon… Quand l’une d’elle prononça distinctement :

 — Les enfants… Qu’est-ce que vous pouvez bien fabriquer dans le noir ?

 Elle ponctua sa question en appuyant sur l’interrupteur. Il s’agissait de madame Langeard, accompagnée de son époux et d’une vieille dame qui tirait une valise, et dans les bras de laquelle Hector se jeta :

 — Tata Simone !

 — Mais c'est moi, Tata ! s'indigna madame Lamatora, après quelques secondes d’hébétude.

 Elle s’extirpa de sous la table, sous le regard abasourdi des nouveaux arrivants. Mathilde jugea bon de lui préciser :

 — Non… Tata Simone est notre grand-tante…

 — Heu… Mathilde ? C’est qui ? bégaya son père. Il y a quelqu’un d’autre, là-dessous ? interrogea-t-il, regardant sous la table où Charles, recroquevillé contre l’un des pieds, lui adressa justement un immense sourire.

 — Heu… Ce sont les voisins… Madame Lamatora, la voisine d’en dessous, et monsieur Bourdeaux, celui d’au-dessus… Enfin, de l’étage au-dessus de celui d’en haut, je veux dire…

 — Ah ! Vous avez invité les voisins ! résuma Tata Simone, posant son sac à côté du canapé.

 — Ouais, ‘fin ce sont surtout eux qui se sont invités, marmonna sa petite-nièce.

 — Pourquoi vous les avez faits venir ? demanda monsieur Langeard, qui ne l'avait pas entendue. Vous vous sentiez seuls ? Cela ne vous embête pas, au moins, monsieur et madame…

 — Charles Bourdeaux, monsieur.

 — Et moi, c'est Tatiana Lamatora. Enchantée !

 Elle serra la main des nouveaux arrivants. Le professeur en profita pour prendre discrètement à part Mathilde :

 — On ne dit pas que vous avez noyé Héléna, et tu ne dis pas qu'on a failli vous empoisonner en vous préparant à manger ! Ça marche ?

 — OK. Et on évite de signaler que les Dubreuil ont failli nous tuer…

 — Tiens ! s’exclamait pendant ce temps sa mère. Je rêve… Où la lampe éclaire différemment ? Vous l'avez bricolée ?

 — Non, non, pas du tout ! s'empressa de répondre Tatiana.

 — Papa, maman, pourquoi vous rentrez aussi tard ? fit Hector, changeant de sujet.

 — Eh bien, on voulait vous faire une surprise en invitant Tata Simone. On a donc prétexté qu'on allait faire les courses. Nous sommes allés à l'aéroport, et vous savez qu'il est loin…

 — Sans parler des bouchons, et de l’accident qu’il y avait sur l’autoroute…

 — Et mon avion a eu beaucoup de retard…

 — On n'a pas pu vous prévenir, parce qu'on n’avait pas de réseau.

 — Du coup, comme il était déjà tard, on a acheté à manger à l'aéroport. D'ailleurs, les enfants, vous n'avez pas trop faim ? On va vous faire à manger.

 — Pas la peine, coupa Tatiana. On a déjà dîné.

 — Ha… OK. Mais on vous a acheté un gâteau… Vous n’en voulez vraiment pas ?

 Les quatre se consultèrent du regard se consultèrent du regard. Finalement, Mathilde se hasarda :

 — Heu… Ouais ? pourquoi pas ?

 — Je vais aller chercher… On est combien ? Sept ? Alors, sept assiettes…

 Alors que madame Langeard s'éclipsait pour mettre la table, la sonnette se déclencha à nouveau. Son mari alla ouvrir… et tomba nez à nez avec Janine et Bernard, ce dernier armé de son fusil :

 — Oh ! La bande de faquins ! Z’avez pas bientôt fini votre tohu-bohu ? L’est au moins dix heures du soir !

 — Rangez votre arme ! pâlit monsieur Langeard. Vous allez tuer quelqu'un avec !

 — C'est qui ? cria Tata Simone.

 — Non, Simone ! Ne viens pas ! Il y a un fou avec un fusil !

 — T'en fais pas, mon petit ! Je vais te le mater ! Les cinglés, les dérangés qu’ont du clafoutis sous le caloqué, ils m'ont jamais fait peur !

 Elle se dirigea vers l’entrée, où elle poussa un rugissement à la vue du couple de retraités :

 — Bébert, Jaja !

 — Momone ? C'est bien toi, vieille branche ?

 — Eh oui… Ça fait longtemps !

 — Tata Simone ? couina Mathilde, passant prudemment la tête par la porte. Tu les connais… ?

 — Ben oui ! Ce sont des fous ! On étaient profs ensemble, avant. Mais, pourquoi vous ne m'avez pas dit qu’ils sont vos voisins ?

 — Mais ils ont failli nous tuer, tes vieux potes, avec leur fusil !

 — Ils n’ont sûrement pas fait exprès ! Mais, dites, les vieilles branches, pourquoi vous ne m'avez jamais écrit ? Moi, j'pouvais pas, z'aviez déménagé et j'avais pas votre nouvelle adresse. Mais vous ?

 — Beh, on n’allait pas gaspiller du papier pour te dire qu’on avait un pet de travers…

 — Z'avez raison. Faut pas tuer les arbres ! Économisons le papier !

 Soudain, un cri s'éleva du salon. Mathilde et son père accoururent : en fait, il s’agissait de l’épouse de ce dernier, qui s’épongeait le front :

 — Ouf, j'ai eu peur ! Je ne l'avais pas remarquée en entrant… !

 Elle désigna du doigt Holly, qui se léchait une patte. Madame Langeard s’accroupit pour la caresser. Charles se pencha vers sa jeune voisine :

 — Mais qu’est-ce que tu me racontais ? Ta mère, elle n’a rien contre les chats !

 Elle approuvait, quand sa mère se redressa, sévère :

 — Mathilde ? Depuis quand tu laisses rentrer des chats dans l’appartement ?

 — Quoi ? Mais j'ai rien fais, maman ! C'est juste que…

 C’est alors que Charles décida de se dévouer : il prit l’animal dans ses bras, et plaida d’une voix conciliante :

 — Je suis désolé, madame Langeard. C'est juste Holly, ma chatte. Je l'ai trouvée, un jour. Elle se promenait sur le toit en face de mon studio, et elle était maigre comme un lacet. Je l'ai récupérée, et depuis elle squatte le studio. Je ne voulais pas la laisser seule, elle adore quand il y a du monde. Mais si vous voulez, je peux la ramener chez moi !

 — Pour être honnête… Oui, ça ne serait pas de refus.

 Chat et son maître quittèrent donc l’appartement, pendant que Simone découvrait qu'elle connaissait particulièrement bien Tatiana :

 — Tu as grandi, depuis le CP ! Et aussi, quel changement de style ! Je te revois encore avec tes blazers et tes chemises !

 Hector et sa grande sœur échangèrent un regard incrédule. Impossible d'imaginer leur extravagante voisine habillée d’élégantes vestes. Quelques minutes plus tard, alors que Charles revenait, Simone exigeait que l’on rajoute des assiettes supplémentaires pour Janine et Bernard :

 — Il ne faut pas oublier non-plus Charles et Tatiana ! ajouta madame Langeard. Il faut les remercier d'avoir gardé nos deux Schtroumpfs !

 — Ah, oui ! marmonna le professeur, lorgnant madame Lamatora d'un œil désespéré. Quelle soirée !

 Tous prirent place autour de la table, devant une part du gâteau – qui il était, il faut le dire, bien meilleur que celui de Tatiana Lamatora.

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