Chapitre 4 – Ce que cachent les cendres

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Il courut.
Sans penser, sans parler, sans respirer vraiment.

Le tissu brûlait contre sa peau. Il l’avait dissimulé dans la doublure intérieure de sa manche, cousue en secret par Adra pour y cacher des bribes interdites. Mais cette fois, ce n’était pas un fragment de texte ou un bout de papier jauni.
C’était de la mémoire vivante.

Chaque pas résonnait dans les rues vides. Il n’était pas censé sortir à cette heure. Les travailleurs du Centre de tri restaient jusqu’au dernier signal sonore. Quitter son poste sans autorisation, c’était s’exposer à une enquête. Mais il ne pouvait pas rester là-bas. Pas maintenant.

> Regarde.


Le murmure résonnait encore dans sa tête. Il n’avait pas rêvé. Il n’avait pas inventé. Le tissu avait parlé. Ou plutôt… il avait éveillé quelque chose en lui. Un souvenir volé. Une flamme ancienne.

Il traversa le vieux pont, dérapa dans la ruelle, poussa la porte de bois. Deux coups, un. Deux.

Adra ouvrit immédiatement. Elle sentit la panique avant même qu’il ne parle.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

Il entra, referma, s’adossa au mur, haletant.

— Ils m’ont contrôlé, dit-il, la voix brisée.

— Encore ?

Il hocha la tête. Et tendit lentement la manche. Il retourna le tissu intérieur.
Et laissa tomber la soie rouge dans la paume ridée d’Adra.

Elle ne dit rien.

Elle le regarda longuement, le tissu dans ses doigts, comme si elle avait vu un fantôme. Puis elle s’assit.

— Où as-tu trouvé ça ?

— Dans un dossier. Caché. Il m’a montré… quelque chose.

— Quoi ?

Il ferma les yeux.

— Des voix. De la lumière. Des gens qui… riaient. Des couleurs partout. Et puis, le feu. Et la peur. Et après… plus rien.

Le silence tomba dans la pièce. Un silence lourd, presque sacré.

Adra porta le tissu à son front. Elle le garda là un instant, les yeux fermés.

— Ce n’est pas un souvenir, murmura-t-elle. C’est un éclat.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle releva lentement les yeux vers lui.

— Il y a longtemps, bien avant le Silence, bien avant que les mots ne blessent, on disait que certaines choses pouvaient contenir des fragments d’âmes. Des objets qui gardaient la mémoire d’un instant, d’une émotion, d’un rêve. On les appelait éclarâmes. C’était rare. C’était sacré. On les tissait, on les écrivait, on les chantait.

Il trembla.

— Tu crois que c’est ce que je suis ? Une de ces choses ?

Adra secoua la tête.

— Tu n’es pas une chose. Tu es un être vivant qui les perçoit. C’est pire encore pour eux.

— Pourquoi ?

— Parce que tu es la preuve qu’ils n’ont pas réussi à tout éteindre.

Elle se leva, farfouilla dans une cache dissimulée sous les planches du sol, et en sortit un vieux carnet. Relié de cuir écaillé. Des pages raturées. Des schémas. Des mots anciens.

Elle le lui tendit.

— Il faut que tu partes.

— Quoi ?

— Pas maintenant. Pas cette nuit. Mais bientôt. Tu dois sortir de cette cité. D’autres fragments existent. D’autres éclarâmes. Si ce tissu est revenu à toi, ce n’est pas un hasard.

Il secoua la tête.

— Je ne peux pas… Je n’ai jamais quitté les murs.

— Tu le devras. Car ils vont revenir. Les Sentinelles n’oublient pas deux anomalies en deux jours. Elles ont senti quelque chose. Peut-être qu’elles ne comprennent pas encore. Mais elles sentent.

Il recula, s’assit au sol, pris de vertiges.

— Je ne veux pas être ce symbole. Je veux juste… vivre.

Adra posa une main sur sa tête, doucement.

— Alors commence par vivre pleinement. Ce que tu portes, ce que tu vois, ce que tu entends… ce n’est pas une malédiction. C’est une mémoire. Et les mémoires, même brisées, peuvent réveiller les mondes.

Ils restèrent là un long moment.

Dehors, la nuit tombait. Un ciel sans étoiles. Un monde sans rêve.

Mais dans un coin du refuge, posé sur un tapis poussiéreux, un carré de soie rouge semblait battre. Comme un cœur oublié.

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