Chapitre 7.2 - La géante qui aimait les trésors

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– Mamounette, braillait Soleil sans discontinuer, agitant son petit corps pour essayer de le soustraite à ses mâchoires. Mamounette ! Lâche-moi ! On a capturé quelqu'un de bizarre ! On a capturé quelqu'un de bizarre qui tournait près du nid ! Faut que tu viennes voir !

– Arrête de t'agiter ainsi, grogna sa mère en articulant tant bien que mal. Tu vas abîmer ma nouvelle plume !

– Encore une plume ? souffla le petit d'un air exaspéré en regardant le sol brinquebaler sous lui. On va encore passer deux heures à te la mettre !

– Chut !

Elle le recracha au beau milieu du nid, ajoutant une bonne dose de salive histoire qu'il retienne la leçon.

– Maman, c'est dégueulasse ! se plaignit-il, avant de commencer à se frotter le dos contre son frère.

– Beurk mais arrête de t'essuyer sur moi !

Leur mère poussa un grondement qui résonna dans toute sa gorge. Ils cessèrent de se chamailler, et levèrent leurs trois têtes vers elle.

– Quelle pauvre bête avait-vous encore capturée ?

Le mécontentement de sa voix était purement feint. La fierté inondait son cœur chaque fois que ses enfants lui rapportaient un petit-écailleux ou un petit-à-plumes. Ils avaient même réussi à attraper un petit-volant, une fois. Mais leurs proies favorites restaient les tout-poils – d'étranges petites créatures sans écailles ni plumes, qui portaient généralement des oreilles sur la tête et dont les petits sortaient du ventre dans des effusions de sang. Le jeune trio avaient depuis longtemps compris qu'ils avaient intérêt à les tuer vite. Une fois, lorsqu'ils étaient plus jeunes, Mamounette était revenue au nid et les avait trouvés en cercle, avec un minuscule tout-poils au milieu. Il avait le ventre ouvert et les viscères étalées devant lui ; son cœur battait encore et les trois petits s'amusaient à dérouler ses intestins.

Sous le coup, la colère avait obscurci la vision de Mamounette ; elle s'était retrouvée dans une fureur si noire qu'elle avait bien failli les dévorer tous les trois. Elle s'était contentée de leur trancher la queue.

Celle-ci avait fini par repousser. Et Soleil, Ciel et Vent avaient retenu la leçon.

– On sait pas ! braillèrent-ils tous dans un bel ensemble.

– On dirait un immense tout-poils !

– Un tout-poils tout noir !

– Un tout-poils qui se tient sur deux jambes, comme nous, mais lui il est droit comme un bâton planté dans la terre !

Mamounette passa en revue toutes les créatures qu'elle connaissait, et pas grand-chose ne lui parut concluant. Il y avait bien ces tout-poils un peu plus grands que les autres, au petit visage fripé et nu, qui marchaient à quatre ou à deux pattes, et qui se montraient très agiles pour grimper dans les arbres ; mais si leur pelage était presque noir, ils n'arrivaient pas à la hauteur des trois petits.

– Bon, où est-il, votre tout-poils géant ?

Vent et Ciel trépignèrent sur leurs grosses pattes écailleuses, avant de faire un bond de côté. Mamounette ne comprit pas leur manège avant de voir quelque chose remuer faiblement à l'endroit exact où ils avaient posé leurs derrières. Quelque chose de noir.

– S'il vous plaît, dit une voix manifestement fatiguée, serait-il possible que vous me laissiez me relever, sans m'écraser immédiatement comme vous l'avez déjà fait six fois depuis tout à l'heure ?

Mamounette replia ses pattes de deux tonnes avant de poser son ventre énorme à terre. Ce qui eut pour effet de faire trembler le sol, et d'écraser quelques minuscules tout-poils qui avaient eu la malchance de traverser derrière elle à cet instant.

Puis elle tendit le cou, porta son énorme tête juste au-dessus de l'être caché tout au fond du nid, et tenta un sourire rassurant. Mais avec pareil râtelier, qui faisaient remonter ses trente centimètres de dents en un entrelacs crénelé jusqu'à ses oreilles, c'était mal parti.

– Bien sûr, relève-toi, relève-toi. Je te prie de m'excuser pour ce que mes petits t'ont fait. Quel genre de créature es-tu ?

L'être remua sous les lourdes branches entassées au sol ; il finit par en émerger tant bien que mal, se mit à quatre pattes en faisant tomber de ses épaules les squelettes de petits animaux qui tapissaient le fond du nid, avant de redresser sa stature. Mamounette leva les yeux vers lui alors qu'il se dressait sur ses deux pattes ; des membres forts et musculeux, comme un écho à celles des géants-à-plumes. Mais quand elle-même se redressa lourdement, ébranlant la terre, le nid et les arbres alentours, dépliant ses mètres de pattes jusqu'à tutoyer la canopée émiettée de lumière, tous les deux se rendirent compte que même un tout-poil aussi puissant ne pouvait rivaliser avec une géante-à-plumes. L'être bipède, aussi noir que jais, leva son regard mi-or mi-ciel vers le monstre qui le renvoyait à l'état d'insecte, qui le regardait depuis l'ombre caverneuse de ses arcades sourcilières hérissées d'écailles.

– Vous avez des plumes magnifiques, la complimenta-t-il.

Mamounette fit mine de s'éventer avec la ridicule petite patte de mouche qui lui servait de membre supérieur. Elle n'avait jamais su résister aux compliments. De toute manière, les yeux francs de la bestiole, doux et pleins d'émotions, si caractéristiques des tout-poils et si différents de ceux des écailleux, l'avaient immédiatement séduite.

– Mon espèce n'a pas la chance d'arborer un joli plumage comme les petits-à-plumes ou les grands-volants, regretta-t-elle.

Elle fit sa coquette et exécuta un tour sur elle-même, réduisant une trentaine de branches en miettes et faisant craquer sous ses pas de géant les squelettes de ses anciens repas. Les géants-à-plumes possédaient juste quelques aires plumeuses au niveau du cou, de l'échine et de la queue, sans couleurs vives ni décorum ; mais Mamounette était particulièrement fière de sa collection, qui était le fruit de vingt ans de trouvailles dans la jungle. Elle avait réussi à coincer chaque rémige, rectrice, ou duvet sous les bords légers de ses écailles, après des heures d'essais pénibles et infructueux. L'ensemble flottait au vent avec délicatesse, brassant l'entièreté de son dos dans un océan de couleurs étincelantes.

Mamounette était connue dans la jungle comme l'unique géante-tout-plumes, ce qui l'emplissait de joie et de fierté – et ce malgré les moqueries des grands-volants qui eux, n'avaient nul besoin de ramasser des plumes mortes.

– Pas besoin de ressembler aux autres, quand on a l'esprit inventif, commenta le tout-poil.

Les huit tonnes de Mamounette frétillèrent avec bonheur, avant qu'il ne poursuive :

– Pouvez-vous me dire où je me trouve ? J'ai marché des jours, j'ai vu une carrière où des hommes exploitaient la pierre, puis j'ai encore marché et la brume a recouvert mon chemin. Je suivais les statues.

– Une carrière ? répéta Soleil en glissant un œil derrière les serres gigantesques de sa mère.

– Des hommes ? dit Ciel.

– Des… statues ? ajouta Vent en fronçant les écailles qui tachetaient sa gueule.

– Tu es dans la jungle, répondit simplement Mamounette de sa voix grave et puissante. Cet endroit n'a pas d'autre nom. Je n'ai jamais vu de bête comme toi… Es-tu un tout-poils ? Est-ce que les petits de ton espèce éclosent dans le ventre de leur mère ?

Elle se mit à tourner lentement autour de la créature, penchant sa lourde tête vers la sienne.

–Tu marches sur deux pattes… Tu portes un pelage et des oreilles… Tu as des yeux de tout-poils.

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