Chapitre 7.7 - La géante qui aimait les trésors

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Le silence pesait sur leur petit groupe lorsqu'ils rentrèrent à la forêt.

Mamounette ne comprenait pas pourquoi son nouveau protégé, aussi vif et heureux le matin-même, paraissait soudain si assommé de chagrin. Elle et ses trois petits avaient tenté de le dérider, sans succès. Diogon s'était muré dans une solitude étrangère, et Mamounette sentait, avec cet instinct propre aux animaux, qu'elle n'y avait pas sa place, que ses barrières ne s'ouvriraient pas pour elle, pas pour quelqu'un de son monde à elle.

Elle avait pensé que le choc qu'il avait ressenti, face à la bête inconnue qu'ils avaient dévorée, était dû à une sorte de surprise glacée. Après tout, le cadavre n'avait d'un grand-cou qu'une silhouette vaguement ressemblante ; elle et ses petits s'en étaient vite rendu compte en s'approchant un peu. L'éclat de ses écailles n'était pas dû au soleil matinal ; elles étaient blanches, plus immaculées qu'aucune autre chose dans la plaine. Mamounette, décontenancée, avait vite repris tout son aplomb. Elle avait déjà vu des créatures semblables, des créatures qui, elles aussi, semblaient appartenir à un autre monde que le leur ; elles paraissaient migrer, deux fois l'an, à travers la grande plaine, puis le désert, avant de disparaître comme des spectres. Chacun les connaissait, de près ou de loin. Souvent de près, puisque ces bêtes étranges, comme eux, se nourrissaient de chair, de fruits ou de plantes, et que plus d'un petit-volant avait fini dans leurs gueules.

Et parfois, c'étaient elles qui finissaient dans celles des véloces-dentus.

Mamounette avait goûté, précautionneusement, la chair tendre et odorante de ce cousin blanc qui portait des ailes ; elle aurait voulu sauver deux plumes, deux grandes rémiges qu'elle imaginait blanches et étincelantes, mais ce cousin-là ne portait pas de plumes, ses ailes étaient de cuir pâle, d'une peau délicate et veinée de bleu, comme celle de certains grands-volants lorsqu'ils se dépouillaient de leurs duvets.

La viande était bonne, elle était même succulente, et n'avait que peu souffert des dents des véloces ; alors Mamounette avait donné le feu vert, et sa petite famille avait fait ripaille au milieu des nuages d'oiseaux et de petits-volants qui venaient chaparder quelques miettes.

Et à présent, le ventre plein et l'esprit satisfait, elle ne pouvait que regarder Diogon souffrir dans son coin, sans savoir ce qui le peinait tant. Elle soupçonnait que le grand-blanc et lui venaient du même monde, du même lointain horizon ; peut-être étaient-ils amis, peut-être avaient-ils été inséparables ?

Qu'importait. Diogon ne parlait pas, Diogon fixait la jungle avec un air sombre, plus sombre encore que son pelage de velours.

Diogon partait.

Mamounette s'en était doutée dès qu'elle l'avait vu, étalé au fond de son nid, chahuté par ses petits ; cet être n'était que de passage, il ne venait pas d'ici, il ne pouvait y vivre, et il repartirait.

Il était difficile d'expliquer cela à Ciel, Vent et Soleil, qui voulaient absolument le garder auprès d'eux ; Mamounette soupçonnait même un petit béguin de Ciel envers le géant-tout-poils qui chassait si bien le véloce.

– Tu me diras où je te laisserai, dit-elle de sa grosse voix par-dessus son épaule, à l'attention du bipède accroupi sur son dos puissant au milieu de toutes ses plumes.

– De l'autre côté de la forêt, s'il te plaît. Là où le soleil se couche. Là où l'horizon saigne.

Mamounette laissa ses petits au nid, refermant son unique entrée en poussant le rocher qui lui faisait face, avant de s'éloigner dans la jungle. On entendait les pleurs des petits, serrés les uns contre les autres au pied des arbres-fougères.

– Diogon… Reste avec nous…

La géante-à-plumes s'éloigna en silence, son cavalier muet comme une tombe.

Mais avant qu'elle ne parvienne à la sortie de la forêt, alors que la canopée s'éclaircissait au dessus de sa tête, émiettant la lumière comme un filtre émeraude, Mamounette se figea face à la plus merveilleuse vision qui lui ait été donnée de voir.

Une petite bête, une petite bête étrange se tenait là, à quatre pattes sur le sentier des géants, minuscule sous les grandes ailes des fougères et les fruits bulbeux des tout-graines. Deux immenses oreilles se dressaient sur sa tête, mais un bec pointu miroitait sur son front. Des écailles scintillantes parsemaient l'une de ses pattes, un pelage ras et gris en couvrait une autre, et des plumes d'un bleu lagon, plus intense que tout ce que Mamounette avait vu jusqu'alors, hérissaient son cou et ses flancs ; avant de déployer une corolle de ciel et de saphir, ocellée d'yeux verts, par-derrière son échine, comme une traîne majestueuse. Mamounette écarquilla les yeux. Outre les écailles et les plumes, une toison de feu et d'or se mêlait au reste, un pelage long et doux qui cascadait sur son petit poitrail en une crinière rousse, qui se déchirait, s'entremêlait, caressait les plumes céruléennes et le pelage couleur cendres dans un velours soyeux dont elle n'avait jamais vu la pareille.

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